« Retourner au Maroc… Mais pour faire quoi !? » s’exclame Saïd Idmalak, l’air fatigué. Depuis 18 mois, ce salarié et 34 de ses collègues, de nationalité égyptienne et marocaine, travaillent au black dans l’entrepôt de palettes AT France de Bondoufle. Mais mi-octobre ces employés, qui représentent à eux seuls la moitié des effectifs de l’entreprise, ont reçu une lettre, ou plutôt un ultimatum, de leur boîte : AT France demande à ces salariés qu’elle a elle-même fait venir d’Italie, de « justifier d’un titre de séjour » dans un délai d’un mois. Sans quoi leur boulot en France prendra fin. Le hic, c’est que ce titre de séjour, il est quasi-impossible à obtenir pour Saïd et ses collègues puisqu’ils travaillent en France sans contrat de travail !
Welcome to Bondoufle Saïd, 30 ans, a quitté le Maroc en 2004 pour s’installer en Italie. Après avoir enchaîné des petits jobs, il est embauché en 2010 par l’entreprise de logistique italienne AT International, propriété du groupe Antonio Ferrari. Pendant un an, il travaille la palette à Milan, où il obtient une carte de résident longue durée du gouvernement italien. Le taf lui « plaît », assure-t-il, même s’il vit mal l’éloignement avec sa famille restée au bled.
Mais en 2012, Saïd est « détaché » par AT International chez son sous-traitant français AT France. « C’était ça ou rien », se souvient-t-il. Le Marocain arrive donc à l’entrepôt de Bondoufle en juin 2012, comme ses 34 collègues, Égyptiens pour la plupart.
Sans-papiers Au début tout va bien. L’entreprise est ravie d’accueillir des salariés déjà formés et eux sont contents de garder leur job. Sauf qu’au bout de 6 mois, la préfecture d’Évry découvre à la suite d’un contrôle dans l’entreprise que les travailleurs n’ont pas de papiers en règle. Leur « carte de résident longue durée » italienne ne leur permet pas de travailler en France plus de 3 mois.
Plusieurs d’entre eux sont conduits en centre de rétention suite à un arrêté du préfet. Ils ne seront pas expulsés par décision du Tribunal administratif mais la préfecture ne lâche pas l’affaire : en appel, elle demande leur reconduite à la frontière italienne. Aujourd’hui, AT France « ne pouvant prendre le risque d’employer des étrangers en situation irrégulière » leur donne un mois pour être régularisés. A défaut, ils seraient « contraint de mettre fin au détachement les concernant. »
Employeur voyou « On leur demande de venir travailler ici sans les régulariser et quand on s’en rend compte, on les congédie. C’est ça qui est dégueulasse ! », s’indigne Olivier Champetier, syndicaliste de la CGT 91. Car les salariés ne sont pas en mesure de pouvoir demander leur régularisation comme leur demande leur entreprise, puisqu’ AT International a agi en dehors du cadre légal :
> En France, les salariés ont toujours été payés au black, sans jamais n’avoir signé de contrat. Leur salaire : 9 euros de l’heure. Joint par StreetPress, Alexandre Onomo, gérant de la filiale française depuis le 31 août dernier, charge la maison mère AT International pour n’avoir jamais fait signer de contrats aux employés. Il l’accuse aussi de « ne donner aucune nouvelle depuis le début du conflit ».
> Quand une entreprise étrangère envoie des salariés vers un de ses sous-traitants français, la Direction régionale des entreprises (Direccte) doit donner son accord. Ce qu’elle n’a jamais fait dans le cas du transfert d’AT International vers AT France. Alexandre Onomo assure pourtant qu’une demande de détachement a été faite par AT International. Selon lui, c’est la Direccte qui aurait failli à ses obligations en ne donnant pas de réponse.
En attendant, les salariés sont des clandestins : « Sans autorisation de travail, pas de contrat. Et sans contrat pas de carte française », conclut Jean-Louis Betoux, secrétaire de l’union locale de la CGT à Evry.
Grève L’entreprise n’en est pas à son coup d’essai. En 2009 déjà, AF Interlog – le premier sous-traitant du groupe Ferrari en France dont AT France a pris la suite, a dû régulariser plus de 30 salariés, des Maliens pour la plupart, après une grève de 4 jours. Bilan : ils avaient obtenu des cartes de séjour auprès de la préfecture.
Du lundi 21 au mardi 29 octobre, Saïd et les autres sans-papiers de AT France tenaient le piquet de grève jour et nuit dans l’entrepôt de Bondoufle. En 10 jours de grève, AT France aurait perdu « plus de 250 000 euros », selon Alexandre Onomo. Le gérant de l’entreprise sous-traitante est aussi inquiet de la possible perte de plus de 50 % de ses employés, sans qui « il ne pourra pas assurer la suite ». Aujourd’hui il s’est enfin engagé à fournir tous les documents nécessaires à la préfecture et payer les frais des cartes de séjour. Il a aussi délivré des attestations d’employeur. Joint par Street Press, la préfecture de l’Essonne n’a pas donné suite à nos demandes d’interview mais Olivier Champetier assure que « la préfecture va étudier maintenant chaque dossier individuellement au plus vite ». Saïd, lui, a repris le taf mercredi avec ses collègues grévistes, en espérant être régularisé.
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