« Méthodes fascistes », « putschistes », « vassaux de la mairie »… Aïe ! Jawad Bouhabel, un des résidents du squat conventionné de la rue Saint-Charles (Paris 15e), est remonté comme un coucou quand StreetPress lui demande ce qu’il pense d’une partie de ses ex-camarades avec qui il partage sa résidence artistique. La tension est à son comble dans la résidence d’artistes depuis que les occupants doivent être relogés par la mairie de Paris dans un nouveau bâtiment. Installé au 61 rue Saint-Charles depuis 2010, le collectif « Jour et Nuit culture » doit quitter son squat conventionné le 30 septembre en vertu d’un contrat signé avec la ville. Un mal pour un bien puisque la mairie de Paris propose de reloger les artistes… au 9, place Saint-Michel, en plein cœur du quartier latin ! Le spot est über-prestigieux et pourrait bien devenir un des fleurons de la vie culturelle à Paris. Mais il aiguise aussi les appétits des uns et des autres car il n’y aura pas de place pour tout le monde.
Success story C’était pourtant une belle histoire que celle de la résidence artistique Saint-Charles. D’abord investi par une team de squatteurs à la force du pied-de-biche et du tournevis en novembre 2010, le bâtiment s’est imposé comme un des spots alternatifs les plus dynamiques de l’Ouest parisien.
Au 61 rue Saint-Charles, c’est un immeuble de plus de 1.700 mètres carrés que se partageaient les artistes du collectif « Jour et Nuit culture ». Espace photo, salle de répétition, ateliers : le squat accueille jusqu’à 25 résidents et ses événements font des cartons auprès des habitants du quartier. Même la mairie UMP du très conservateur 15e arrondissement a été séduite. «C’était la première fois qu’on avait un squat, et ça a été vraiment une super expérience. Ils ont fait énormément pour s’intégrer à la vie locale», se souvient, jointe par StreetPress, Ghislène Fonlladosa, l’adjointe à la culture, qui ajoute: « Moi, j’aimais beaucoup les installations d’Alexandre. Morgane Planchais aussi. Et les peintures de Bodo ! Mais la liste pourrait être longue. »*
En novembre 2011, un an après son ouverture, la mairie de Paris propose une convention d’occupation au collectif pour le remercier du travail accompli. Avec en bonus, la promesse de les reloger au moment de leur départ le 30 septembre 2013. Jackpot pour les gentils squatteurs !
L’entrée du squat, au 61 rue Saint-Charles
Récompense Aujourd’hui, le service culture de la mairie de Paris a des objectifs encore plus ambitieux pour reloger son collectif chouchou : lui donner les clés d’un bâtiment dont une façade est classée aux monuments historiques, pile-poil sur la place Saint-Michel. « Ça pourrait ressembler à un 59 rue de Rivoli de l’autre côté de la Seine », ambitionne-t-on au cabinet de Bruno Julliard, l’adjoint à la culture de Bertrand Delanoë, en référence à la résidence d’artistes la plus hype de la capitale, située entre Châtelet et le Louvre.
6 étages, 400 mètres carrés, vue sur le quartier latin… le spot, en plein cœur du Paris touristique, est imbattable. Avec en prime un gadget ultime : la pompe de la fontaine Saint-Michel au rez-de-chaussée de l’édifice.
« Même moi, je n’arrive pas à y croire ! » s’enthousiasme Alexandre Grey, un des fondateurs de « Jour et Nuit culture ».
Cela pourrait aller vite puisque la mairie de Paris « espère voir s’installer le collectif avant la fin de l’année », après un vote au conseil de Paris au mois de novembre. « On est super content de pouvoir faire ça avec eux », continue, joint par StreetPress, un cadre de l’équipe municipale, qui insiste sur « la confiance » qu’il accorde à « Jour et Nuit culture » : « en attendant leur installation, on va leur trouver un lieu de stockage gratuit et organiser une exposition. »
Même moi, je n’arrive pas à y croire !
Putsch Problème : une partie des fondateurs du collectif accuse ses anciens camarades d’avoir « fait un putsch » pour évincer certains artistes du projet de relogement au 9 place Saint-Michel. Alexandre Grey, plasticien et calligraphe, cofondateur de « Jour et Nuit culture » :
« Les membres qui ont été désignés comme “actifs” dans l’association votent le projet. C’est là que ça me gêne. Il n’y a pas eu de concertation pour définir ce qu’était un “membre actif”. Et comme par hasard, ce ne sont que des plasticiens ! »
Jawad Bouhadel, qui était encore vice-président de l’association au mois d’août, se dit, lui, « dégouté » par « les méthodes fascistes » qui auraient été employées contre lui :
« Ils ont changé les codes Gmail pour que je n’ai plus accès à rien ! Tout ça parce que j’avais voulu organiser une concertation à propos du futur projet. Leur argument : “tu te positionnes contre les intérêts de l’association” ! »
Le garçon de 30 ans, qui se présente comme « un explorateur urbain », s’est « auto-exclu » du bureau de l’asso – il ne reste plus que 3 membres sur les 6. Comme Alexandre, également démissionnaire, il dit dorénavant représenter « le collectif » qu’il estime à une centaine d’artistes.
Ils ont changé les codes Gmail pour que je n’ai plus accès à rien !
Ferrero Rocher Pourquoi tant de haine ? C’est que la future résidence d’artistes la plus stylée de la capitale fait 400 mètres carrés… alors que l’ancien squat de « Jour et Nuit culture » en faisait 1.750. En fait les places sont chères pour en être et le projet proposé à la mairie par l’équipe qui aurait « pris le contrôle de l’association » ne permet que de loger 12 artistes. Pour Alexandre, « ils préfèrent avoir de grandes pièces pour peu d’artistes alors que nous voulons optimiser l’espace et faire rentrer un maximum de résidents. »
Ils regrettent aussi que « des personnes non-précaires bénéficient du relogement ». Car parmi ceux qui vont s’installer dans le squat conventionné, il y a « les éditeurs du Charlie Hebdo turc » ou encore la femme de l’ambassadeur de Costa Rica. Alexandre est énervé :
« Ils vont avoir un espace hyper pas cher, gagné par des précaires, qu’ils vont utiliser de temps en temps ! Nous, on est là depuis le début, on s’est battu en justice… On a l’impression de tout apporter sur un plateau ! »
Ego Jointe par StreetPress, Morgane Planchais, présidente de ce qu’il reste de l’association « Jour et Nuit culture » se défend. A propos de présence de la femme d’un ambassadeur dans un squat conventionné :
« Tous les artistes qui cherchent des ateliers sont dans la précarité. Je ne sais pas ce qu’ils ont contre cette femme. Ici on accepte tout le monde. Les différences, c’est ce qui fait la force de notre collectif. »
Sur la sélection des résidents au 9 place Saint-Michel, la cofondatrice explique :
« On est obligé d’adapter, c’est plus petit. Il y aura 12 ateliers en résidence tournante et un étage pour accueillir des artistes de passage. »
Quant à savoir si Alexandre et Jawad, fondateurs sécessionnistes de « Jour et Nuit culture », feront partie de l’aventure, elle ne veut pas répondre. « Le projet n’a même pas été encore été accepté au conseil de Paris. » La danseuse et plasticienne de regretter qu’à cause d’un si beau projet « certains fassent des plans sur la comète ».
Ça ne rigole pas, pour obtenir les rares places au pied de la fontaine Saint-Michel…
- Edit du 27.10 à 19h : Citation modifiée à la demande de Ghislène Fonlladosa
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