Le maire de Sevran sort du studio de LCI pour arriver pile à l’heure dans celui de StreetPress et Radio Campus Paris, lundi soir. Une cravate (on imagine que c’était pour LCI) et le tutoiement au bout de quelques minutes d’interview. Le lendemain, un comité interministériel doit faire ses annonces sur la rénovation urbaine des quartiers difficiles. C’est sur ce sujet que Stéphane Gatignon avait affronté le gouvernement pendant sa grève de la faim en novembre dernier. Au terme de 6 jours sans rien avaler, le maire de Sevran avait obtenu que le gouvernement verse finalement à la ville l’argent qu’elle avait avancé pour l’Etat dans ses projets de rénovation urbaine.
1 Ré-écoutez le podcast de l’émission
1 Les extraits de l’interview
Concrètement quand on parle de « rénovation urbaine », on parle de quoi?
« Retravailler l’urbain », c’est pouvoir vivre dignement, par exemple pouvoir inviter des gens à venir chez soi ! A Sevran, l’ANRU 1, c’est 150-180 millions d’euros pour refaire des bâtiments, démolir, reconstruire, refaire toutes les écoles des quartiers d’habitats collectifs, des équipements sportifs…
Entre la rue du Bac ou se situe le ministère de la ville dans le 7e arrondissement de Paris, et un quartier de Sevran, quelles différences sautent aux yeux ?
C’est plus fun à Sevran ! Après, ce n’est pas la même histoire en terme urbain ; à Sevran il y a le monde entier qui a rendez-vous chez nous, avec 73 nationalités pour 51.000 habitants. C’est la 2e ville la plus jeune d’Île-de-France. On a 28% de moins de 14 ans, c’est énorme ! C’est l’avenir, comme toute la Seine-Saint-Denis est l’avenir de la région parisienne.
Vous parlez souvent de développer l’ « empowerment » pour les quartiers…
L’empowerment, c’est un concept anglo-saxon qui est qu’en gros les gens se prennent en main. Mais c’est une vieille idée, y compris du monde communiste qui est qu’à travers tout un tas d’associations de parents d’élèves, de locataires, de jeunes qui se prennent en main dans le quartier pour faire des choses, petit à petit on recrée des dynamiques collectives à partir des populations et des gens qui sont sur le terrain. C’est toute la stratégie qu’a mis en œuvre Obama à Chicago. La question, c’est comment une partie de la population se prend en main, pour essayer de faire avancer les choses.
Lundi 18 février, Martin Bodrero de Radio Campus a interrogé l’équipe municipale et l’opposition sur les chantiers en suspens de Sevran.
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L’idée c’est qu’on n’attend plus que les solutions viennent d’en haut ?
Je crois que se dire que les choses viennent d’en haut ou d’en bas, c’est bidon. On ne peut pas faire de pratique sans théorie. On ne peut pas faire la rénovation urbaine si en bas, il n’y a pas la population qui se mobilise. (…) Notre société française, elle est cuite, elle est morte. La société qu’on a connue, la société à la papa, c’est fini. On est dans une crise qui n’est pas simplement économique et sociale, c’est une crise de civilisation.
Et votre solution, c’est…
C’est d’abord : le politique doit faire de la politique, avoir une vision du monde et de la société et essayer de faire avancer les choses. Et ensuite, c’est le lien. Comment on crée des dynamiques pour que les gens se mobilisent.
Et puis il y a les questions économiques…
[La population du 93] est extrêmement dynamique au niveau économique, avec des gens qui créent leurs entreprises, qui créent leurs commerces, qui essaient de trouver des trucs. Mais depuis 10 ans je constate que si on veut investir, il faut aussi trouver un système financier, des banques qui te prêtent. Et ce que je remarque, c’est que quand les gens créent leur entreprise chez nous, et bien qu’est-ce qu’ils ont en face d’eux ? Jamais un vrai banquier. On va leur donner quoi ? Des trucs ça va être Planetfinance [qui favorise le micro-crédit, ndlr], ça va être les micro-projets et tout ça. Alors qu’on a besoin de vrais financements. C’est comme pour l’emploi, les gens chez nous ont un tronc, deux jambes, deux bras, une tête : Ils peuvent faire un vrai travail, mais on va toujours te renvoyer sur la question de l’insertion.
Le micro-crédit, ça ne suffit pas…
Le micro-crédit , c’est bien à un moment, mais ça ne suffit pas. Des marques comme Airness, ça vient de la Seine-Saint-Denis. Tu es quand même dans un lieu où les choses se créent. Donc aujourd’hui le problème des créateurs, c’est vraiment comment on arrive à les soutenir, pour aller au bout. Ça vaut aussi pour des entreprises du bâtiment ou d’électricité, des commerçants…. Il faut aujourd’hui que le système financier français s’adapte et aide les gens en banlieue. (…) Les banquiers, quand ils viennent, à chaque fois on a ces réunions avec Planet Finance… C’est bien un moment, mais ça n’est pas tout. Il n’y a pas de banque en face qui soit là pour répondre aux entrepreneurs
Une mesure simple – pour aider la banlieue mais au-delà – et relancer l’économie : la question des charges sur les petites entreprises. Je pense qu’il faut aujourd’hui décharger totalement les entreprises de zéro à trois salariés. Et il faut décharger partiellement les entreprises de trois à cinq salariés. C’est le seul moyen aujourd’hui de contenir la crise, notamment chez nous. Parce que ce sont ces entreprises qui emploient le plus de salariés aujourd’hui en banlieue. Et c’est aussi un moyen de relancer l’activité et notamment sur toutes ces petites boites qui peuvent se créer.
Quand les gens créent leur entreprise chez nous, et bien qu’est-ce qu’ils ont en face d’eux ? Jamais un vrai banquier
Stéphane Gatignon, ze story
> 1969 – Naît à Argenteuil de parents communistes> 1984 – Adhère aux Jeunesses Communistes
> 2001 – Devient à 31 ans maire de Sevran, sera réélu en 2008
> 2009 – Rejoint les Verts
> 2011 – Demande des casques bleus contre les bandes
> 2012 – Entame une grève de la faim devant l’Assemblée Nationale
6 Français se sont immolés par le feu ces derniers jours. C’est le signe de quoi ?
La société française aujourd’hui a un problème, c’est qu’on ne se comprend plus. Je vis l’écart qu’il y a entre « la banlieue » et les gouvernants : Il y a une incompréhension totale. Je l’ai vu à travers les discussions dans les ministères… J’ai eu des discussions complètement ubuesques au ministère chez François Lamy [le ministre délégué à la ville, ndlr]. Il y avait une méconnaissance, surtout des techniciens autour, et ce sont les technos qui tiennent les rênes.
Quand je dis qu’on est dans une crise de civilisation, je le pense vraiment. Je pense que ces ruptures ne sont pas analysées. Du coup, on ne fait pas les choix politiques nécessaires.
Quand vous demandez l’intervention des casques bleus à Sevran ou vous démarrez une grève de la faim, est-ce que vous n’en faites pas trop?
Le problème c’est que nous comme on n’est pas entendu, il faut taper pour se faire entendre. Au-delà, le problème c’est qu’il y a une absence de débat et de réflexion politique. Les partis politiques ne jouent plus leur rôle de débat et d’organisation de la vie démocratique. Donc t’es obligé d’utiliser la presse, de faire des coups, mais aussi des coups pour survivre.
Après quand tout a été réglé, moi vous ne m’avez plus entendu sur ce sujet-là ! Mais la question c’est qu’à un moment, il faut régler les problèmes. Et nous les politiques, on est là aussi pour régler les problèmes.
Vous réclamez la légalisation du cannabis. Que vont devenir les dealers?
La dépénalisation est de fait aujourd’hui en France. Aujourd’hui, si tu fumes un joint dehors, on ne va rien te dire, car il y a quand même 4 millions de consommateurs réguliers. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il faut réguler cette question du cannabis. Je ne suis pas simplement pour la dépénalisation, qui existe de fait, je suis pour la légalisation et l’organisation, c‘est-à-dire la régulation du marché. Je pense qu’on ne peut pas s’en sortir autrement.
On a 100.000 petits dealers en France. Ils ne feront pas autre chose. Aux Etats-Unis, quand il y a eu la sortie de la prohibition en 1933 par Roosevelt, il a associé la sortie de la prohibition avec une relance économique qui s’appelait le New Deal.
La société française aujourd’hui a un problème, c’est qu’on ne se comprend plus
[Vidéo] Les députés jugent la grève de la faim de Stéphane Gatignon
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