Place Edmond Michelet – Paris 4e. « C’est une honte ! Et tout ça c’est parce qu’ils sont musulmans ! Les musulmans sont génocidés à souhait. Le problème, c’est le comportement colonial de l’Occident contre les musulmans ! » Grosse colère : devant le centre Pompidou à Paris, une femme voilée interrompt brutalement le discours – qu’elle trouve visiblement trop tiède – des organisateurs d’une manifestation de soutien aux Rohingyas. La petite centaine de manifestants, regroupée devant une banderole « Nous sommes tous des Rohingyas », acquiesce en silence. Ils se sont réunis ce samedi 10 novembre en fin d’après-midi pour protester contre « l’indifférence » que suscite le sort de cette ethnie musulmane de Birmanie.
Ce qu’on sait Les Rohingyas seraient 800.000 en Birmanie, installés en majorité dans l’Etat d’Arakan, qui longe la frontière du Bangladesh. Ils sont présents dans le pays depuis plusieurs siècles – avant même la colonisation du pays par les Britanniques en 1823 – et parlent une langue proche du Bengali.
Mais ils sont discriminés depuis que la Birmanie est Birmanie :
> Ils n’ont pas la nationalité, et donc sont apatrides
> L’Onu les a auréolés de « minorité la plus persécutée du monde »
> 300.000 d’entre eux vivraient au Bangladesh – dont beaucoup dans la plus grande précarité – après avoir fui des vagues de persécution en 1979 et en 1992.
Depuis juin 2012, et le lynchage de 10 musulmans en représailles au viol et au meurtre d’une femme bouddhiste par des Rohingyas, ils sont victimes d’une nouvelle vague de répression. On parle d’environ 200 morts, de 110.000 déplacés et d’un cantonnement dans des ghettos fermés. L’ONG Human Rights Watch dénonce la complicité de l’armée dans les exactions, tandis que le Bangladesh voisin a fermé ses frontières pour ne pas accueillir les réfugiés.
Vidéo – Le reportage de France 24 sur les Rohingyas
Le Bangladesh voisin a fermé ses frontières pour ne pas accueillir les réfugiés
Hashtag Il y a 3 mois, Souhaib K., 25 ans, ne « connaissait rien du tout de la Birmanie. » Aujourd’hui, il est un des organisateurs du rassemblement avec une petite dizaine de militants. Pour StreetPress, il se souvient de la première fois qu’il a entendu parler des Rohingyas :
« C’était devant mon ordinateur, sur Facebook, début juillet. C’était une photo qui tournait sur des groupes musulmans, et qui parlait soi-disant de gens morts, quelque part, dans un pays bizarre, la Birmanie. Et puis j’ai vu une autre info, puis une autre. Alors j’ai décidé de me pencher sur la question et de m’investir. »
Comme lui, la grande majorité des manifestants a entendu parler des Rohingyas grâce à Facebook ou des sites communautaires musulmans où le tag #Rohingyas est un des trending topics. Parisi – c’est un surnom – éducateur à Fontenay de 42 ans, a sa petite théorie :
« Il n’y a que Facebook qui peut marcher. Les médias traditionnels ne sont pas là pour filer l’info. Mais c’est logique. A qui ils appartiennent ? Aux vendeurs d’armes et aux conservateurs. Dassault (ndlr, propriétaire du Figaro) a eu assez de phrases dures sur l’Islam. »
Souhaib K., administrateur du groupe Facebook Halte au massacre en Birmanie et organisateur du rassemblement du jour, de rajouter :
« Comment ça se fait que moi, étudiant de 25 ans, qui s’intéresse à la culture, n’ait jamais entendu parler des Rohingyas ? Pourtant, très peu d’autres minorités peuvent dire avoir autant été persécutées ! »
« Deux poids, deux mesures » L’expression est sur toutes les lèvres. Quand ce n’est pas la Syrie dont « on nous rabâche les oreilles matin, midi et soir », c’est la prix Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi qui en prend pour son grade. Bilel, 20 ans, combo barbe et djellaba :
« La prix Nobel de la paix birmane a été glorifiée pour un combat juste, certes, mais des faits d’armes très moindres par rapport à ce que subissent les Rohingyas. »
Les manifestants moquent les expressions « égérie de la démocratie », certains parlent « d’idole de l’Occident » :
« Elle était assignée à résidence chez elle… C’est une taule, bon, mais c’est une taule à la maison ! »
Une femme brandit une pancarte « Prix Nobel de l’horreur » avec une photo de la dame de Ragoun, toute droit sortie d’un film de George Romero. C’est qu’Aung San Suu Kyi n’a jamais évoqué les discriminations contre les Rohingyas en Birmanie pendant sa récente tournée mondiale.
Comment ça se fait que moi, étudiant de 25 ans, qui s’intéresse à la culture, n’ait jamais entendu parler des Rohingyas ?
Guerre globale Parmi les manifestants, un petit groupe se revendique du Collectif Cheikh Yassine – groupuscule pro-palestinien régulièrement interdit de manifestation, qui porte le nom du fondateur du Hamas. Nelly Sefrioui, épouse du leader Abdelhakim, est invitée à prendre la parole. Elle harangue le public au nom de « la cause globale de l’Islam », appelle les Rohingyas « les Palestiniens de l’Asie » avant de comparer leur situation à celle des Ouïghours, des Tchétchènes et des Bosniaques.
Nassim, 27 ans, membre du collectif et qui prône un « Islam politique », explique à StreetPress :
« Faut pas avoir peur des mots : il y a une guerre généralisée contre l’Islam. L’impérialisme aujourd’hui il touche une religion : c’est l’Islam. »
Bilel, étudiant en philosophie, ajoute :
« On a les Etats-Unis qui massacrent les musulmans partout dans le monde. Et de par leur contrôle sur les grandes organisations – comme l’Onu – on assiste à un mutisme total. On voit bien qu’il y a toujours une corrélation entre l’impérialisme et la guerre contre l’Islam. »
L’organisateur, Souhaib, dont le look d’étudiant en école de commerce tranche avec le style religieux de Nassim et Bilel, préfère parler de « problème politique » plutôt que « de guerre à l’Islam » :
« Dès que ça ne touche pas à l’Occident, ce n’est pas médiatisé. On dirait qu’il y a deux catégories d’humains : les civilisés de l’Occident et ceux du reste du monde. »
Les seuls journalistes qui sont venus pour couvrir la manifestation sont ceux de Press TV et HSpain TV… la télévision d’état iranienne à vocation internationale.
Clown Le ressentiment des organisateurs est amplifié par la réaction des acteurs humanitaires traditionnels qui, d’après Souhaib, « les ont pris pour des clowns. » « Mais maintenant, ils voient que nous arrivons à mobiliser et que des journalistes viennent. » Les critiques se concentrent sur Amnesty International, dont Djebril, un des autres organisateurs, avait demandé le soutien par courrier pour une précédente manifestation qu’ils avaient organisé :
« Ils ont rebondi à notre communiqué parce qu’il y avait le mot ‘‘génocide’‘ dedans. Direct ils n’ont répondu que sur ce mot : ‘‘Non, non, vous parlez de génocide. Mais la position de l’État français, ce n’est pas ça. On ne peut pas se mouiller là-dedans’‘. A quel pourcentage de morts, on parle de génocide ? »
Joint par StreetPress, Mireille Boisson qui suit les dossiers birmans pour l’ONG depuis 40 ans se justifie :
« Génocide, c’est un terme défini juridiquement par le droit international. Nous, on a tendance à ne pas utiliser des mots à tort ou à travers si on veut mener une action crédible. »
Intox La sexagénaire, qui a accompagné dans ses démarches pour recevoir l’asile politique un des 4 Rohingyas qui vivent en France, rappelle qu’il n’y a aucun journaliste en pays Arakan pour vérifier les informations :
« Il y a une vraie guerre d’intox avec des informations qui ne viennent que des parties prenantes. »
Souhaib confesse d’ailleurs que les premières images qu’il a vu sur les Rohingyas et qui lui ont donné envie de se mobiliser étaient des faux :
« C’était des images de Thaïlande ou d’Afrique du Sud. »
Amnesty International préfère se mobiliser pour dénoncer la loi illégale de 1982 qui rend apatride les Rohingyas, et pour mettre la pression sur le Bangladesh qui leur a fermé ses frontières.
« Car il ne peut pas y avoir de mobilisation générale sur des informations non-vérifiées. »
On voit bien qu’il y a toujours une corrélation entre l’impérialisme et la guerre contre l’Islam
bqhidden. « Il ne peut pas y avoir de mobilisation générale sur des informations non-vérifiées. »
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