Soutenez StreetPress
💌
 Nos newsletters ici

En ce moment

    29/01/2025

    Ils vivent au Pakistan ou en Iran, dans la peur d’être renvoyés chez les talibans

    Pourquoi la France refuse d'accorder l'asile à 16 journalistes afghans ?

    Par Ana Pich'

    Des avocates, soutenues par des syndicats, ont saisi en urgence le tribunal administratif de Nantes pour faire annuler les refus de 16 visas de journalistes afghans exilés par le ministère de l’Intérieur. Ils cherchent l’asile en France.

    Tribunal administratif de Nantes (44), 28 janvier 2025 – Pendant près de trois heures, les cinq avocates se sont succédé à la barre pour tenter d’humaniser leurs clients. 16 journalistes afghans et leurs familles, coincés à plusieurs milliers de kilomètres, après avoir fui en Iran ou au Pakistan, qui viennent de se voir refuser des visas de la part du ministère de l’Intérieur après une demande d’asile. Ils s’appellent Hussain, Zahra, Shazada, Ahmad, Mostafa, Najba… Cette dernière a tout quitté avec son bébé de quinze mois sous le bras. Zahra a accouché il y a à peine quelques jours au Pakistan, accompagnée de son conjoint et de leur fille de quatre ans. Placés dans des conditions d’extrême précarité et d’insécurité dans ces pays voisins, ces journalistes risquent à tout moment le renvoi de force à la frontière, où ils seront remis aux talibans. D’où cette audience en référé, saisie par les cinq robes noires, soutenues par le syndicat des avocats de France (SAF) et le syndicat national des journalistes (SNJ).

    Des journalistes pas « en danger » mais déjà torturés

    Avant l’audience, plus d’une vingtaine de personnes se sont rassemblées devant le tribunal pour soutenir les journalistes afghans. La petite salle du tribunal administratif, habituellement déserte, est pleine. Une partie du public est contrainte d’attendre derrière l’entrebâillement de la porte restée ouverte. Tous écoutent les arguments serinés par le représentant du ministère de l’Intérieur. L’homme aux cheveux gris estime qu’il n’existe pas assez de preuves pour démontrer les risques qui pèsent sur ces journalistes déjà sortis d’Afghanistan, et met en doute le caractère urgent de la demande de visas. « Le ministère de l’Intérieur tente de détourner le débat ! Il soutient qu’il s’agirait d’une faveur, qui ne devrait même pas être soumise à l’examen du juge administratif. Il soutient qu’il n’a pas de compte à rendre ! C’est le fait du prince : “Je dis oui à untel, non à untel, et je n’ai pas à l’expliquer” », tonne maître Fleur Pollono :

    « Ces décisions sont manifestement illégales ! C’est une procédure opaque, sans motif ! »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/numeriser_3.jpg

    / Crédits : Ana Pich'

    Chaque situation est scrutée minutieusement, bien qu’elle semble parfois évidente. Pour un des journalistes, le représentant argue par exemple qu’il n’apporterait « aucune preuve qui montrerait qu’il soit en danger ». « Il ne fait état que d’une perquisition à son domicile », fait-il. Son avocate, maître Camille Neve, contre-attaque directement :

    « Il est recherché ! Comme en font état les tortures qu’a subies son frère ! »

    Plusieurs des 16 journalistes ont également déjà fait l’objet d’actes de tortures et de menaces. « Ça peut être des détentions très courtes, mais avec l’utilisation systématique de la torture, pour instaurer un climat de terreur. Certains nous ont raconté avoir été forcés de signer un document qui les engageait à ne plus jamais exercer leur métier et ne jamais quitter le pays », explique maître Camille Neve. Un rapport de l’ONG Amnesty International montre notamment que les cas de détention arbitraire, de torture, de disparitions forcées ou d’assassinats se multiplient à l’encontre des journalistes afghans.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/numeriser_6.jpg

    / Crédits : Ana Pich'

    « L’honneur » de la France

    « Il y a beaucoup d’éléments contradictoires dans les dossiers de vos clients », affirme à nouveau l’agent de Beauvau. « Ils ont toujours réussi à obtenir le renouvellement de leur titre de séjour en Iran ou au Pakistan » « Il y a une situation d’urgence », pointe de son côté maître Clémentine Danet. « Il n’y a que le ministère de l’Intérieur pour refuser de le reconnaître. À tout moment, à l’heure où l’on parle, nos clients peuvent faire l’objet d’une expulsion vers l’Afghanistan. 800.000 renvois forcés du Pakistan ont été comptés. » Elle ajoute :

    « Les Afghans sont traqués ! »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/numeriser_7.jpg

    / Crédits : Ana Pich'

    À court d’arguments, l’agent de l’État renvoie simplement la responsabilité de la prise en charge à d’autres pays d’Europe. « Il n’y a pas que la France qui délivre des visas ! » Il considère « qu’aucun des journalistes ne fait valoir un lien particulier » avec l’Hexagone. À la suite de la prise de Kaboul par les talibans en 2021, le président Emmanuel Macron avait pourtant assuré le soutien du pays à ces journalistes, évoquant même « l’honneur » de la France. Une promesse d’abord tenue, comme l’a rappelé l’Humanité, avant que la situation ne se dégrade à l’été 2024. L’avocate Alice Benveniste s’interroge :

    « C’est comme si, une fois l’effet médiatique passé, la situation en Afghanistan retombe dans l’oubli et que ça n’intéresse plus les juges… Mais la situation se dégrade de jour en jour là bas. »

    La décision du tribunal est attendue dans les quinze prochains jours. « L’enjeu est énorme », confie maître Clémentine Danet. « Si le juge des référés refuse la réexamination des demandes des journalistes afghans, la décision du juge du fond sera repoussée entre quinze et dix huit mois. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/numeriser_9.jpg

    / Crédits : Ana Pich'

    Illustrations de Ana Pich’.

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER