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    20/12/2024

    Ils ont dégradé la statue de Simone Veil

    Après une action anti-avortement, neuf militants d’extrême droite jugés en Vendée

    Par Ana Pich'

    Neuf membres de l’Action française, âgés de 18 à 23 ans, ont comparu ce jeudi 19 décembre 2024, pour avoir dégradé la statue de Simone Veil, à l’occasion d’une action anti-avortement en marge du vote de l’IVG dans la constitution.

    Tribunal correctionnel de La Roche-Sur-Yon, Vendée (85) – Quadrillé de policiers, l’ambiance est tendue au tribunal de la Roche-sur-Yon. La salle d’audience est comble avant même que celle-ci ne commence. L’avocat des prévenus, maître Fabrice Delinde est un habitué de la défense des groupuscules d’extrême droite, et proche du Rassemblement national. Il demande à la juge d’ordonner le huis clos, en raison de menaces de « groupuscules d’extrême gauche » qui pèseraient à l’encontre des prévenus : des militants royalistes de l’Action française. Le 8 mars dernier, à l’occasion de la journée pour le droit des femmes et en marge du vote de l’IVG dans la Constitution, les membres de « l’AF » – une des plus importantes structures d’extrême droite dans le pays, et la plus vieille – ont vandalisé la statue dans une mise en scène macabre. Le bassin adjacent au buste de la statue de Simone Veil y a été rempli de faux sang, des poupées ensanglantées ont été disposées autour du monument, des pancartes anti-IVG et des stickers de l’Action française y ont été collés. Un des écrits indique :

    « La Constitution tue nos enfants. »

    L’acte de vandalisme fait suite à une première dégradation en décembre 2019, où de la peinture bleue avait été projetée sur le buste de la statue peu après son installation. Les neuf militants ont été identifiés par leur propre vidéo diffusée sur les réseaux sociaux où ils revendiquaient l’action. Johannés C., Julien D., Faustine-Marie L., Anselme F., Romain B., Jeanne B. ou Mayeul d-R-d-M., à la double particule, tous sont actifs au sein de l’Action française Vendée. Il y a aussi Louis et Anne-Claire de Cibon, frère et soeur de Maylis de Cibon, ancienne assistante parlementaire de plusieurs députés RN ces derniers mois et également membre du syndicat étudiant d’extrême droite la Cocarde et du groupuscule néofasciste parisien Luminis.

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    L'audience s'est déroulée en huis-clos partiel. / Crédits : Ana Pich'

    Première surprise de l’audience : la juge, en accord avec la procureure, accepte la demande de l’avocat des militants, avec la condition d’un huis clos partiel, ouvert à la presse.

    À VOIR AUSSI : Facs, saluts nazis et agressions, enquête sur le syndicat étudiant la Cocarde

    Étudiants à l’école fondée par Philippe de Villiers

    La présidente enchaîne et aborde un nouvel élément qui réunit les prévenus : leurs liens avec l’Institut catholique d’études supérieures (Ices), école fondée dans les années 90 par Philippe de Villiers, à la réputation très droitière. L’Ices serait d’ailleurs « connu par les services de police pour être fréquenté par des membres de l’Action française », révèle la juge au cours de l’audience. Sept des prévenus fréquentent ou ont fréquenté cet établissement, et un de leur prof’, Guillaume Bernard (également chroniqueur pour Valeurs actuelles) est même présent dans la salle.

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    Les militants d'extrême droite ne regrettent rien. / Crédits : Ana Pich'

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    Durant l'audience, la présidente confond à plusieurs reprises l'Action française avec le groupe Action directe. / Crédits : Ana Pich'

    À la barre, certains bafouillent et s’enfoncent dans des versions contradictoires. Mais tous reconnaissent néanmoins leur participation… Tout en niant le caractère prémédité de l’action. Une spontanéité peu crédible au vu de l’organisation et du matériel utilisé. Les militants minimisent les faits, ricanent même parfois à la barre. Ils revendiquent avoir « fait usage de leur liberté d’expression » afin de dénoncer « la réalité de l’avortement » et n’expriment aucun remords. Une des femmes considère qu’aucune dégradation n’a été commise et assume :

    « C’est en adéquation avec mes convictions. »

    « Et vous croyez qu’un embryon, ça fait la taille de ces poupées ? », demande la magistrate. « Ah oui, ça dépend… Un foetus reste un enfant », lance un des prévenus, qui se frotte machinalement les fesses dans les poches arrière de son jean. Seule Anne-Claire de Cibon s’exprime plus distinctement à la barre sur ses revendications politiques, un sourire en coin durant toute l’audience. La jeune femme, étudiante à l’Ices, n’en est pas à sa première prise de parole. Elle apparaît dans une vidéo partagée début décembre sur les réseaux sociaux de l’Action française nationale et de sa section vendéenne pour annoncer l’ouverture d’une cagnotte en ligne. Beaucoup plus bavarde devant son écran qu’à la barre, elle revendique être poursuivie pour avoir « dénoncé la constitutionnalisation de l’avortement ». « Si l’extrême gauche souille et tague en toute impunité, les nationalistes doivent eux répondre de chacun leurs actes, même les plus insignifiants », ajoute-elle dans la vidéo et appelle à une cagnotte pour les « soutenir dans cette bataille judiciaire » car « défendre la vie a un prix, mais la répression sera toujours la source de notre motivation ».

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    « Et vous croyez qu’un embryon, ça fait la taille de ces poupées ? », demande la magistrate. « Un foetus reste un enfant », lance un des prévenus, qui se frotte machinalement les fesses dans les poches arrière de son jean. / Crédits : Ana Pich'

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    « Pourquoi vous n’avez pas répondu à la police ? Vous êtes anti-police ? », interroge la présidente face aux militants qui n'ont à l'époque même pas fait une heure de garde à vue. / Crédits : Ana Pich'

    Une répression relative comme le rappelle la présidente qui mentionne le traitement privilégié dont ont bénéficié les prévenus au cours de cette procédure. Convoqués au commissariat pour une audition, aucun d’eux n’a subi de garde à vue ni une quelconque mesure de contrainte. Un élément notable dans une affaire délictuelle. « Pourquoi vous n’avez pas répondu à la police ? », s’interroge-t-elle avant de continuer :

    « Vous êtes anti-police ? Les gens qui font ça, ils sont habitués à l’exercice, ce sont des bandits, des voyous ! Mais ce n’est pas votre cas ! »

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    « Donc les femmes qui avortent sont des meurtrières ? », demande la procureure à Anne-Claire de Cibon, soeur d'une ancienne assistante parlementaire du Rassemblement national. / Crédits : Ana Pich'

    Six mois d’emprisonnement avec sursis requis

    Du côté des victimes, le Planning Familial 85, représenté par Maître Sophie Jauneau, se porte partie civile à cette audience pour faire valoir le préjudice moral de l’association, mais aussi plus largement pour dénoncer une atteinte aux droits des femmes et des minorités de genre à disposer de leur corps. « Cela a créé un mouvement de peur et de grande inquiétude chez nos salariées. On avait peur d’être visées à notre tour », a confié à StreetPress Brigitte Blois, membre du conseil d’administration de l’association, quelques jours avant le procès. La ville de La Roche-sur-Yon se porte également partie civile, et réclame 4.500 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral.

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    Le Planning Familial 85 s'est porté partie civile dans cette affaire. / Crédits : Ana Pich'

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    Lors de ses réquisitions, la procureure, Fiammetta Esposito, en profite pour donner une leçon d’histoire nécessaire aux jeunes militants d’extrême droite. / Crédits : Ana Pich'

    Lors de ses réquisitions, la procureure, Fiammetta Esposito, en profite pour donner une leçon d’histoire nécessaire aux jeunes militants d’extrême droite. Elle fait un parallèle avec les origines de leur mouvement et leur action :

    « L’Action française est née d’un antisémitisme féroce. S’en prendre à Simone Veil, juive rescapée des camps, il y a une idée nauséabonde derrière. C’est faire d’une pierre deux coups. »

    La procureure requiert à l’encontre de ceux qui ont « piétiné le droit des femmes et qui bafouent la Constitution française », une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis assortis de l’interdiction des droits civiques et l’interdiction d’exercer dans la fonction publique pendant cinq ans. « Oui, ils ont attaqué à la réputation de madame Veil. Mais ce n’est pas pénalement répréhensible », plaide de son côté l’avocat d’extrême droite Fabrice Delinde, qui demande une relaxe. Il fait valoir la liberté d’expression de ses clients qu’il estime ne pas être des « délinquants d’habitudes, mais des jeunes qui réfléchissent », entre deux démonstrations bancales. La décision sera rendue le 16 janvier 2025.

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    Maître Delinde, habitué de la défense des groupuscules d’extrême droite, et proche du Rassemblement national, demande la relaxe pour ses neuf clients. / Crédits : Ana Pich'

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