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    19/12/2024

    « Les longs trajets en bus sont devenus un cliché du lesbianisme »

    Les lesbiennes et FlixBus, une grande histoire d’amour

    Par Elisa Verbeke

    Pour pallier le manque de lieux communautaires dans leur villes, mais aussi par précarité, des lesbiennes sont prêtes à enchaîner les kilomètres en bus pour un date amoureux. Sur X, leur histoire d’amour avec la compagnie Flixbus est même devenue un meme.

    Pour la deuxième fois de ce mois d’août 2024, Yuna, 21 ans et étudiante en psychologie, se lance dans un voyage devenu habituel : Metz (57) – Nantes (44) – Paris (75). Elle attend patiemment le bus vert pomme siglé FlixBus avec à ses pieds son gros sac de voyage rempli pour passer la semaine chez sa copine, rencontrée sur Internet. Dans son tote bag, elle a embarqué sa gourde d’un litre remplie, son casque bluetooth anti-bruit chargé au max et des snacks achetés la veille. Ceux des stations-essence coûtent trop cher. L’étudiante n’est pas la seule à le dire : sur Internet, les bons plans s’échangent dans la communauté lesbiennes. « Mes lesbiennes FlixBus, à Paris 8, il y a un présentoir avec pleins de papiers, dont des réductions de -10% pour des Flixbus !! », écrit l’une sur X. Yuna commente :

    « Ça me fait marrer de considérer FlixBus et consorts comme des passages obligatoires pour les lesbiennes. »

    Elles sont nombreuses à prendre le bus pour aller voir leur compagne ou leur flirt. C’en est même devenu une blague sur Internet, où la gare routière de Paris – Bercy cristallisent d’ailleurs toutes les passions. « On dit que ce sont les backrooms des lesbiennes [espace sombre, souvent situé à l’arrière d’un bar ou d’une boîte de nuit LGBTQI+, dédié à des relations sexuelles anonymes] », ironise Yuna. Le terminus sombre et angoissant est quasi inévitable lorsqu’on passe par la capitale. « Dans mon groupe d’amies, une fois par semaine, il y en a forcément une de nous qui se retrouve à Bercy pour aller voir sa meuf », assure Éloi, 22 ans, une étudiante à Marseille. « On s’envoie la photo de la gare sur notre groupe WhatsApp et on s’écrit : “Oh non, encore ici”. » Yaelle, 24 ans, étudiante en art à Amsterdam, théorise même :

    « À Bercy, il y a trois types de personnes : les lesbiennes, les gens qui n’ont pas de thunes et les fous de la gare. »

    LDR = longue distance

    « Autour de moi, les relations entre femmes se passent beaucoup à distance parce qu’on a du mal à trouver des personnes queers lesbiennes près de chez nous », explique Vanida, 22 ans, étudiante en psychologie à Lyon (69). En dehors de Paris, où les lesbiennes se retrouvent dans une poignée de soirées et de bars, les espaces de rencontres communautaires se font rares. « En plus, les lieux disparaissent vite à cause de la lesbophobie », assure Abi, lesbienne butch (1) – qui se genre au masculin. Dans sa ville, « une fois par mois, on prend d’assaut un bar pour pouvoir faire communauté ». Vanina, l’étudiante lyonnaise de 22 ans, rebondit :

    « Mais même dans les grandes villes, les rencontres se font rares. »

    Nombre de lesbiennes et de personnes sexisées (2) se tournent alors vers les rencontres en ligne. Abi a rencontré sa dernière relation sur Twitter et prévoit de faire des heures de bus pour la rejoindre à Bruxelles, en Belgique. « C’est pas facile de trouver d’autres lesbiennes butches », souffle-t-il. Même son de cloche chez Yuna, qui a quitté Metz pour Nantes. L’étudiante en psycho’ a rencontré sa copine il y a un an sur Twitch :

    « À Metz, les personnes que je côtoyais dans la vraie vie ne me permettaient pas de rencontrer d’autres femmes lesbiennes. »

    Avant cette relation, la jeune femme utilisait des applis comme Hi-moon et Tinder. Elle passait des heures, « romantiques », à regarder le paysage défiler, joyeuse et hâtive, les genoux bien serrés contre le siège devant – moins serrés dans les BlaBlaBus, le concurrent principal de FlixBus – pour aller voir ses crushs à Liège (Belgique) ou à Saarbrücken (Allemagne).

    Romantisme chevaleresque

    « On fait plus d’efforts, parfois même des longs voyages, pour se voir, en sachant qu’on organise des longues rencontres dans la commu’ », réagit Abi, qui explicite :

    « Dernièrement, j’ai fait un “date de lesbiennes” : on est restées deux jours ensemble non-stop. »

    Yaelle, l’étudiante à Amsterdam, raconte comment ces longs trajets peuvent donner confiance : « Avec mon ex, on a commencé à se voir à Blois (41). Quand elle m’a dit : “Je viendrai à Amsterdam”, je n’y croyais pas. C’était une meuf que j’avais rencontrée trois semaines avant. Le jour où elle a franchi ces 1.000 km pour me voir, je me suis dit : “Ok, elle a vraiment envie qu’on se voit.” » Vanina, la lyonnaise, va elle jusqu’à prendre des cachets pour soigner son mal des transports et pouvoir faire des heures de bus. Mia, 26 ans, y voit un romantisme presque « chevaleresque ». La journaliste contextualise :

    « Les relations longue distance des lesbiennes ne sont pas nées avec Internet. »

    En anglais, elles sont d’ailleurs désignées par l’acronyme « LDR », pour « long distance relationships ». On en trouve des références dans les bandes dessinées de l’autrice américaine et lesbienne Alison Bechdel, dans les années 1990. Abi a été influencée par ce stéréotype des lesbiennes américaines « prêtes à traverser tout un État pour un week-end » avec leur copine, raconte-t-elle. « Prendre des photos ou des vidéos pendant ces trajets est devenu un cliché du lesbianisme. En Europe, et particulièrement en France, on retrouve ça avec le FlixBus. C’est un phénomène propre à la culture lesbienne sur Twitter », analyse Mia. Elle fait le rapprochement avec le « U-Haul lesbian », ce terme américain inspiré de la marque de camions de déménagement :

    « C’est l’idée que les lesbiennes emménagent très vite ensemble. Aux États-Unis, il y a plus de femmes, donc ces relations à distance sont plus courantes, mais l’équivalent français, avec le FlixBus, montre aussi cette envie d’engagement rapide et intense. »

    Précarité

    « Le temps de trajet permet de se poser, de réfléchir, c’est comme aller chez le psy », juge quant à elle Clémentine Le Fruit. Cette artiste de 24 ans a sillonné l’Europe dans des cars, parfois pendant plus de 35 heures d’affilée, lors de ses études en Suède. Elle retrace son aventure dans un recueil de poèmes auto-édité, « Pâte à Flix », dans lequel elle raconte une période de rupture. L’interminable trajet en bus lui a permis de commencer son deuil amoureux.

    Yaelle aussi a une anecdote de séparation : « Je savais qu’elle me trompait, alors je suis allée à Paris pour lui en parler en face. » Son trajet retour, le lendemain, lui est inoubliable :

    « J’ai passé huit heures de bus entourée d’une fraternité d’étudiants qui chantaient des chansons paillardes pendant que je pleurais. Je n’avais pas de mouchoir propre, j’ai songé à utiliser les rideaux du car… »

    C’est la dernière fois que l’étudiante a pris le bus. Depuis, elle fréquente des filles aux Pays-Bas, où elle étudie. Le petit pays dispose d’un réseau ferroviaire plus accessible financièrement. « C’est pas tant la longueur du trajet qui peut me dissuader, c’est vraiment l’argent », assure de son côté Abi. « Quand tu es une femme ou une personnes sexisée, tu gagnes quand même 20% de moins que les hommes : ça fait vachement d’argent en moins qui rentre dans le foyer. » « On utilise ce moyen de transport par défaut », déclare Éloi, l’étudiant marseillais. Clémentine Le Fruit, qui utilise le réseau de bus pour les mêmes raisons, préfère raconter la légèreté de ses rendez-vous dans ses poèmes :

    À Munich, accompagnée de cette amie Tchèque.
    À Amsterdam aux heures matinales.
    À Milan avec ma pastèque.
    À Lyon en direction de la capitale. (3)

    (1) Les butchs sont des lesbiennes qui reprennent les codes masculins dans leur identité vestimentaire et dans leur comportement.

    (2) Les personnes dites sexisées subissant du sexisme (personnes trans, lesbiennes, intersexes, gays, bi·e·s, femmes, aces, tds, queers).

    (3) Extrait du poème Changement, du recueil de poèmes Pâte à Flix.

    Illustration de Une de Caroline Varon.

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