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    04/11/2024

    « Tous ont vu, tous auraient pu être poursuivis pour non-assistance à personne en danger »

    Au tribunal, le procès de la solidarité policière

    Par Vincent Victor

    En juillet, deux policiers ont violemment tabassé Mario, un Péruvien en garde à vue dans un commissariat parisien. L’un lui a même cassé le bras. Le tout sous des caméras et devant un service qui n’a rien fait. Une inertie dénoncée à l’audience.

    Tribunal de Paris, 29 octobre 2024 – Dans un procès pour violences policières, il est plutôt rare qu’un avocat d’un des agents opte pour condamner tout le service dans sa plaidoirie. C’est pourtant la stratégie choisie par maître Grégory Hania en ce milieu d’après-midi : « Tous ont vu, tous auraient pu être poursuivis pour non-assistance à personne en danger. » Tous, c’est d’abord son client Clément B., ex-chef de poste au commissariat des V et VI arrondissements parisiens, sur le banc des accusés, qui comparaît pour avoir fermé les yeux puis menti pour couvrir les violences de ses collègues Maxime D. et Matthieu D. Les deux ont violemment frappé Mario (1), un Péruvien quadragénaire gardé à vue dans la nuit du 24 juillet 2024, la veille de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, sous les yeux de nombreux policiers du poste et des caméras de surveillance.

    Les images, révélées par Libération, montrent une succession de coups et d’humiliations le long de la nuit. L’homme alcoolisé, interpellé pour outrage sur des gendarmes, est giflé dès son arrivée au commissariat par Maxime D. pour avoir été « trop lent » à donner un collier. En salle de fouille, le même policier le frappe avec sa matraque télescopique, puis lui met un coup de clef lors de son placement en cellule, qui le fait saigner abondamment de l’arcade. Les violences culminent jusqu’à un déchaînement de gifles et de coups portés par Matthieu D. sur Mario, qui, le bras fracturé, attend d’être emmené à l’hôpital. Durant cette soirée où il s’est « vu mourir », la victime a été jusqu’à écrire avec son sang « à l’aide » en espagnol sur le sol de sa cellule, signé de son prénom, pour « qu’on cherche ce qui s’était passé ».

    Des « sourires goguenards » et des « parties de ping-pong » à proximité

    Avant l’audience, quelques plaisanteries étaient encore échangées entre les anciens collègues. Mais désormais, devant les vidéos projetées sur grand écran au-dessus des juges, les trois hommes baissent la tête. À chaque claque, des exclamations étouffées se font entendre dans le public. Puis vient, devant l’extrême passivité des autres fonctionnaires, un sentiment mêlé de malaise et d’indignation.

    Car ces violences, « sidérantes » pour le procureur, se déroulent pour partie au beau milieu du service. « Au vu et su de tous, sans aucune réaction, avec des sourires goguenards et des parties de ping-pong qui s’organisent à proximité », dénonce-t-il. Mais, de l’ensemble des policiers qui ont assisté aux violences, seul Clément B. a été poursuivi pour non-assistance à personne en danger, du fait de ses responsabilités de chef de poste. Présent à chacune des scènes de violences, on lui reproche de ne rien avoir entrepris pour protéger le gardé à vue de ses collègues. Le juge s’étonne :

    « Vous ne vous dites pas : “Stop, il faut protéger Mario, le mettre en cellule ?” »

    À la barre, l’homme en col roulé avance un « état de sidération », témoignant avoir été « sous le choc » après avoir assisté aux coups de matraque en salle de fouille. Pourtant, sur une vidéo captée peu après les violences et un nouveau coup avec des clefs, Clément B. affiche comme les autres policiers un sourire complice. « Une manière d’extérioriser la situation », essaye-t-il devant un président dubitatif. L’un des autres fonctionnaires témoin de la scène a expliqué en audition ne pas « savoir trop comment réagir, alors j’ai rigolé avec d’autres collègues ». Un autre reconnaît qu’il aurait dû intervenir :

    « J’ai regardé mes collègues qui ne bougeaient pas. Il n’y avait aucune raison que Matthieu le frappe. »

    Jugé dans la même audience pour une autre histoire de violences, Maxime D. assure que ses coups étaient légitimes. La gifle, c’est parce que Mario l’aurait « insulté ». Le coup de clef, c’est parce qu’il voulait « sortir de sa cellule ». Les coups de matraque qui lui fracture le bras, c’est parce qu’il se serait levé de façon « provocante ». « C’était pas : “Tiens, je vais me payer le gardé à vue du jour” », ironise même son avocate Sarah Vogelhut. Costume et chaussures cirées, visiblement nerveux, Matthieu D., lui, fait pâle figure devant le tribunal. Il regrette d’avoir « pété les plombs ». Un « auto-sabordage » suite à « l’insulte de trop », plaide son avocat Jérôme Andrei, qui accable à son tour les autres policiers. « Personne ne l’a sorti de la pièce. Ils ne lui ont pas rendu service. Ils l’ont laissé dans sa rage », défend-t-il.

    Personne, d’ailleurs, n’a prévenu la hiérarchie des violences. C’est Mario, à l’hôpital, qui informe un gradé des violences qu’il a subies. Au procès, le procureur dénonce :

    « C’est les trois petits singes : “Je n’ai rien entendu, je n’ai rien vu, je n’ai rien dit.” »

    Une plainte contre la victime

    Au contraire, Maxime D. dépose plainte dans la foulée contre Mario, l’accusant d’une tentative de « coup de boule » et d’exhibition sexuelle dans la salle de fouille, sans mentionner ses coups de matraque qui viennent de lui casser le bras. Auditionnés, Clément B. et un autre fonctionnaire se rangent à cette version. Pris de remords, le troisième homme les a finalement dénoncés, et a accusé Maxime D. d’avoir voulu « se couvrir ». La fausse plainte et la rétractation valent aux agents d’être jugés pour dénonciation mensongère, des poursuites « très rares », souligne le procureur, alors que les messages de concertation entre les trois fonctionnaires avaient été supprimés.

    Grégory Hania, l’avocat de Clément B. qui se présente lui-même comme « pro-police », décrit l’institution comme « un monde à part et chaque commissariat est un microcosme ». « Il est difficile d’aller à l’encontre de la parole de [ses] collèges. Je vais les mettre dans les ennuis, je vais me mettre dans les ennuis », défend-il. Quelques secondes plus tard, il reproche pourtant au policier qui a dénoncé la fausse plainte de ne pas être venu « soutenir ses collègues » à l’audience – il a bénéficié d’une procédure de plaider-coupable il y a plus d’un mois.

    Dans sa plaidoirie, l’avocate de Mario, Julie Fragonas, fustige un « système » et la solidarité policière. « Quand l’un ou l’autre commet des violences, on va rire », s’indigne-t-elle. « Pour eux, c’est un jour comme un autre, une victime comme une autre », poursuit sa consœur Juliette Chapelle. Elle juge que « de toute évidence, ce sont des faits qui se sont déjà produits et qui se reproduiront encore », et souligne que la plainte déposée contre Mario n’est « pas quelque chose qu’on fait quand c’est le premier fait de violence ». Elles rappellent que Mario, absent à l’audience sur les conseils de son psychiatre, n’a « plus confiance en personne, pas même en ses avocates ». Ces violences lui ont laissé, en plus des 30 jours d’ITT, une « incapacité fonctionnelle significative ».

    Face à ces faits, le procureur a respectivement requis 24 et 30 mois de prison avec sursis contre Maxime D. et Matthieu D. Le magistrat a également demandé une interdiction définitive d’exercer pour les deux fonctionnaires qui, suspendus depuis la mi-août, souhaitent réintégrer la police nationale. « La Bac », espère même « dans le futur » Matthieu D. Et pour Clément B., le procureur a demandé 12 mois avec sursis et six mois d’interdiction d’exercer le métier. Quant aux autres policiers témoins des faits, ce dernier a défendu le choix du parquet de ne pas les poursuivre. Le délibéré est attendu le 15 janvier 2025.

    (1) Libération qui a révélé l’affaire avait choisi comme prénom d’emprunt pour la victime Mario. Nous avons suivi leur choix.

    Illustration de Une par Vincent Victor.

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