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    03/09/2024

    « Si ce n’est pas nous qui nous occupons de ces gens, je ne sais pas qui le ferait »

    À Marseille, une équipe d'infirmiers vient en aide aux plus précaires

    Par Zoé Loritano

    Tous les jours Elsa, membre de l'équipe spécialisée soins infirmiers précarité (Essip), arpente la ville de Marseille pour répondre aux besoins de santé de la population la plus précaire.

    Il n’est pas encore 8h du matin et Elsa, 60 ans, est déjà en activité. Elle qui a décidé de se reconvertir il y a 20 ans pour devenir infirmière et dédier son temps à soigner les autres, a choisi depuis deux ans de travailler à Marseille (13) avec l’équipe spécialisée en soins infirmiers précarité (Essip). « La santé est un monde très violent. Ces personnes que nous soignons ne seraient pas prises en charge de la même manière par une infirmière libérale, ou par un hôpital qui ne sont pas habitués à ce genre de public et qui n’en veulent pas », explique-t-elle en montant les neuf étages sans ascenseur qui la séparent de son prochain patient, Moussa (1). Ce dernier vit dans un squat, au dernier étage d’un bâtiment vétuste de la cité Benza, située quartier Pont-de-Vivaux à Marseille. « Il s’est battu dans la rue pour une histoire de cigarettes. Son agresseur est revenu après leur bagarre avec un pitbull qu’il a lâché sur lui. Il a été mordu près de l’artère fémorale, il aurait pu y rester. Les plaies étaient si profondes et purulentes que l’on s’est vraiment inquiétés quand il a été orienté vers notre équipe », se remémore Elsa.

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    Moussa vit dans un squat, au dernier étage d’un bâtiment vétuste de la cité Benza, située quartier Pont-de-Vivaux à Marseille. / Crédits : Zoé Loritano

    Du haut de ses 24 ans, le jeune homme s’en est pourtant sorti. Ce matin-là, lorsqu’il ouvre la porte à l’infirmière, les plaies ont déjà presque cicatrisé. Elsa fait de la place sur le canapé et y dépose son matériel pour désinfecter les blessures du jeune homme. Les soins auront lieu ici même, au milieu du salon, entre les casseroles sales et les réchauds électriques qui jonchent le sol. « Je suis arrivé de Gambie en 2020, je travaille parfois, pourtant la France ne me donne rien », précise Moussa, encore en attente de l’aide médicale d’État (AME).

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    Moussa a été mordu près de l’artère fémorale, il aurait pu y rester. / Crédits : Zoé Loritano

    Une très forte utilité sociale

    L’Essip d’Elsa est la seule équipe de la région Paca à s’occuper d’un public en grande précarité. Le profil des patients et leurs situations peuvent varier : personnes sans domicile, mineurs non accompagnés, adultes en situation irrégulière… Une seule constante est retrouvée dans tous les cas, celle d’un besoin si urgent qu’il donne lieu à un signalement des assistants sociaux, des urgences des hôpitaux ou des divers partenaires médicaux. Une procédure est lancée pour l’obtention de l’aide médicale d’urgence (AMU) ou de l’AME et les patients sont suivis par l’Essip jusqu’à leur obtention. Entre les patients de sa journée, Elsa glisse :

    « Si ce n’est pas nous qui nous occupons de ces gens, je ne sais pas qui le ferait. »

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    L’Essip est la seule équipe de la région Paca à s’occuper d’un public en grande précarité. / Crédits : Zoé Loritano

    L’Essip est rattachée à l’association Saj, qui a répondu à un appel à projet de l’Agence régionale de santé (ARS) locale fin 2022 pour la création d’une équipe à forte utilité sociale. La dotation annuelle de l’ARS permet la mise à disposition de 21 places, pérennisées sur 15 ans. « La file active des patients tourne plus concrètement autour de 23 ou 28 places », confie Imed Beltaief, infirmier coordinateur de l’équipe. Une surcharge que ce dernier explique très aisément :

    « Ces personnes sont dans des situations si dramatiques que l’on ne se voit pas leur refuser l’accès aux soins. »

    Des situations dramatiques couplées à une hausse exponentielle des demandes, autant de paramètres qui inquiètent l’Essip compte tenu du climat politique actuel. Avant une censure partielle du Conseil constitutionnel, la loi sur l’asile et l’immigration promulguée le 26 janvier 2024 contenait des mesures de réforme pour restreindre l’accès à l’AME, une aide cruciale dans l’exercice des fonctions des infirmiers marseillais. « Si le passage de certaines lois prévoit de retirer l’AME, ce sera inquiétant. Nous sommes dans une démarche d’aller vers les personnes stigmatisées, isolées, et s’il devait y avoir un durcissement du regard, une démarche d’expulsion, nous ne serions plus en mesure d’être en contact avec ces personnes », assène Imed Beltaief.

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    Tous les jours Elsa, infirmière, arpente la ville de Marseille pour répondre aux besoins de santé de la population la plus précaire. / Crédits : Zoé Loritano

    « Ces personnes sont invisibles aux yeux de la société »

    La tournée ne s’arrête pas là pour Elsa, direction maintenant le centre d’hébergement et de réinsertion sociale pour hommes dans le centre-ville de Marseille pour le suivi d’Aymen (1). À 30 ans, le jeune homme est reconnu comme psychotique et a besoin de l’Essip pour obtenir son traitement médicamenteux. « Nos missions sont très variées. Ça peut aller d’une simple prise de tension à la remise de traitement, en passant par des soins d’hygiène ou bien le suivi d’une blessure », détaille Elsa tout en prenant des nouvelles d’Aymen. « Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ? Tu sais où manger en ce moment ? » Des questions somme toute basiques, mais qui peuvent permettre d’éviter des situations problématiques. « Ces personnes sont invisibles aux yeux de la société. Ils sont en grande précarité et parfois en détresse psychologique. Notre travail ne s’arrête pas aux soins, l’accompagnement est très important, il permet de créer un lien de confiance et nous force à penser le soin différemment », constate l’infirmière.

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    « Nos missions sont très variées. Ça peut aller d’une simple prise de tension à la remise de traitement, en passant par des soins d’hygiène ou bien le suivi d’une blessure », explique Elsa. / Crédits : Zoé Loritano

    Elsa enchaîne ensuite avec Nora (1), établie avec sa famille dans un camp de Rroms qui regroupe plusieurs communautés aux abords du Canet. Mais aussi « Monsieur Bessi », suivi pour une infection contractée à cause du manque d’hygiène des squats où il a dû vivre quelques mois, ou encore Janine (1), la Belge qui s’est retrouvée à la rue après s’être fait escroquer. Elsa prend sa tension et lui remet une boisson hyperprotéinée qui lui permet de ne pas passer sa journée le ventre vide, alors que les équipes de Médecins du Monde l’avait repérée très faible et amaigrie avant sa prise en charge par l’Essip. Janine sourit :

    « C’est une équipe extraordinaire. »

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    « Si ce n’est pas nous qui nous occupons de ces gens, je ne sais pas qui le ferait », glisse Elsa. / Crédits : Zoé Loritano

    (1) Les prénoms ont été changés.

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