26 août, tribunal judiciaire de Paris – Fabien B. (1) est assis devant son avocat sur le siège des prévenus. Face à ce policier de 33 ans qui officie désormais à Martigues (13), la juge qui préside l’audience rappelle les faits. Quatre ans plus tôt à Paris, le soir du 5 février 2020, un conducteur sous l’emprise de l’alcool est interpellé et mis en garde à vue au commissariat du 13ème arrondissement pour des faits de conduite en état d’ivresse et dégradation. Vers 23h, Fabien B., alors chef de patrouille au service de nuit de la Direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) est chargé de le conduire à l’hôpital de la Salpêtrière pour un examen médical, obligatoire avant son placement en cellule de dégrisement.
Dans un box des urgences, l’agent et ses deux collègues entourent l’homme, menotté dans le dos. Toujours alcoolisé, celui-ci chute de sa chaise. Dans sa plainte lue à l’audience, l’homme explique « avoir été pris d’étourdissements ». Relevé par les policiers, il aurait alors « titubé vers l’avant dans un geste non cohérent », en direction du chef Fabien B. Là, le fonctionnaire l’attrape par les épaules et lui balaye les jambes. Mais l’homme est toujours menotté et chute sans pouvoir se retenir. Au sol, il crie avoir mal aux côtes et des difficultés à respirer. À l’Unité médico-judiciaire de Hôtel Dieu, les médecins lui diagnostiquent des fractures des 9ème et 10ème côtes, pour 21 jours d’ITT.
Un faux procès verbal ?
Le procès-verbal dressé ce soir-là par les policiers indique que l’homme aurait « simulé un malaise » puis « donné un grand coup d’épaule » au thorax de Fabien B., qui ajoute avoir chuté en arrière. Les agents auraient alors « fait l’usage de la force strictement nécessaire », indique le procès-verbal sans plus de précision. Auditionnés en garde à vue, les trois policiers ont maintenu cette version. Une présentation des faits que la procureure juge désormais peu crédible, dans son réquisitoire :
« On s’est demandé si on ne devait pas les poursuivre pour faux. (1) »
Car les témoignages de l’infirmière et de l’aide-soignante du box, interrogées par l’IGPN, rejoignent la version du plaignant. « Choquée », l’une aurait d’ailleurs demandé au policier de démenotter l’homme et de quitter la pièce. Surtout, l’enquête révèle des confidences faites par les deux collègues de Fabien B. lors d’une pause cigarette avec les soignants, qui ont blâmé le comportement de leur supérieur.
« Il a toujours ses mains, ses pieds, sa bouche… »
À la barre, Fabien B. s’en tient à sa version. Il justifie son geste par le « danger » représenté par l’individu, « susceptible de prendre la fuite ». La présidente l’arrête :
« Mais il était menotté dans le dos. Vous êtes trois, il est seul. C’était le seul geste possible ? »
L’agent maintient que « l’amener au sol était nécessaire ». Pour cet ancien judoka, il a fait une simple « prise de judo ». « Teddy Riner, il n’a pas cassé des côtes », lui rétorque la présidente. Elle lui ouvre une porte de sortie. « Aujourd’hui, vous feriez la même chose ? ». Sans succès, il insiste :
« Je referais la même chose. »
À son tour, la procureure tente d’amener le fonctionnaire à s’interroger sur ses actes. Citant l’article de loi qui protège les personnes interpellées de « toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant », elle lui demande s’il a « rempli sa mission ». Le fonctionnaire n’en démord pas, au point d’exaspérer la magistrate :
« – Vous croyez vraiment qu’il aurait pu s’enfuir ?
- Oui, et être violent.
- La meilleure solution, c’est de lui faire une balayette ?
- Oui, absolument.
- Mais il est menotté !
- Il a toujours ses mains, ses pieds, sa bouche… »
Cinq mois avec sursis
Quant à l’infirmière qui a dû lui demander de quitter la pièce, signe pour la procureure que son intervention n’était pas nécessaire, il « ne s’en souvient pas ». Son avocat, lui, assure que les témoignages des soignantes seraient « partiels, partiaux et discordants ». Pour lui, le geste respectait la « nécessité » et « proportionnalité » face à « un danger immédiat » dans un box de 7m2. Et pour les côtes cassées, « la procédure ne peut pas affirmer que la blessure résulte du geste », assure la robe noire. Il invoque tour à tour l’accident routier antérieur, « l’excès de poids » de la victime qui aurait influencé « la gravité des blessures » ou encore « la manière dont il a pu dormir ». Une défense qui fait lever un sourcil à la présidente.
Dans son ancien service, « personne n’a jugé bon d’analyser avec vous ce qui s’était passé », s’étonne la présidente. La procureure s’interroge, « peut-on craindre pour le futur de Fabien B. ? », avant de souligner la nette amélioration de sa notation depuis sa mutation à Martigues, et lui prête une repentance. « Peut-être se dit-il dans son fort intérieur : “Je ne le referais pas” », espère-t-elle. Finalement, le policier est condamné à cinq mois de prison avec sursis et 3.500 euros d’amende. Il doit indemniser la victime à la hauteur de 1.800 euros. Il n’est, en revanche, pas interdit d’exercer. À Martigues, il a déjà passé les épreuves d’habilitation de la Bac.
(1) Le prénom de l’agent a été changé.
(2) Le faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique est un crime, puni de quinze ans de réclusion criminelle.
Photo de Une utilisée à titre d’illustration, prise par Jeanne Actu.
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