Une centaine de personnes habillées de noir, bérets sur la tête, crânes rasés et vestes en cuir floquées, défilent. Le ronflement sourd des moteurs de motos qui entourent en cortège le corbillard couvre les quelques sanglots de la foule en deuil. Famille, mais aussi bikers et militants antifascistes de toute l’Europe, sont venus rendre un dernier hommage à Julien Terzics, le mythique « chasseur de nazis », ce vendredi 11 juillet au cimetière du Père-Lachaise, à Paris.
L’émotion forte et silencieuse passe à coups de grandes accolades et de bisous sur le front. Le visage de leur pote, grand frère, ou légende se dresse devant eux, projeté sur grand écran. La photo en noir et blanc de Julien Terzics se dresse : Bombers foncé, bague en métal à son petit doigt – qu’il ne quittait jamais – et sourire en coin. « Juju » semble un peu narquois, ou malicieux. Sa carrure musclée lui donne des airs de héros des films de gangsters des années 90.
La figure de la lutte antifasciste française est morte à 55 ans, une semaine avant le second tour des élections législatives, le 1er juillet 2024. L’extrême droite est alors annoncée en tête – même si l’histoire s’est finalement écrite autrement. Le fondateur des Red Warriors – groupe né dans les années 80 pour reprendre la rue aux skinheads – n’a pas pu prendre part à cette bataille contre le fascisme. Il en avait pourtant fait le combat de sa vie. Mais son cancer en a voulu autrement.
Chasseur de nazis adepte des combats violents
Pour les plus jeunes, Julien était le proprio du « Saint Sau’ ». Le fameux bar Saint Sauveur, dans le 20e arrondissement de la capitale, est devenu l’un des QG de la gauche radicale parisienne. Les plus anciens se souviennent eux des bastons du gérant contre les néonazis ou bien des CRS. Julien a revendiqué la violence comme mode d’action politique contre le fascisme, comme le raconte Libération.
Sa légende de « chasseur de nazis » naît dans les années 80. « La réalité du moment, c’est qu’effectivement, il y a un mouvement skinhead, qui, en France, comme partout en Europe, a été complètement radicalisé à l’extrême droite […]. À l’époque il y avait 99,9% des skins en France comme en Europe, qui étaient nazis. C’était une réalité indiscutable », analysait Julien Terzics dans le documentaire Antifa, chasseurs de skins. Dans les années 80, Jean-Marie Le Pen et le Front national réunissent pour la première fois 15 % des suffrages. Et les slogans racistes du parti s’affichent en plein Paris.
Julien et sa team lancent alors les Red Warriors – les guerriers rouges. Le but ? Faire front contre ces militants néonazis. Ils lancent leur première « descente » et s’attaquent à des militants d’extrême droite. Pour se différencier de leurs ennemis aux crânes rasés et vêtus de noir, l’équipe retourne son Bombers côté orange. La légende est née. Même si la fin n’est pas très glorieuse, puisqu’ils seront presque tous attrapés par la police.
Assis sur une chaise en plastique, affalé et jambe repliée sur son genou, Julien lâchait fier, avec son sourire malicieux :
« Pour nous, les défoncer, c’était acte de salubrité publique. »
Le gaillard défendait un code d’honneur, mais l’utilisation de la violence comme mode d’action politique fait encore débat dans les groupes antifascistes actuels. L’appartenance de leur aïeul à un groupe de bikers, les Bandidos, leur pose également question.
Musique et sécurité
Devant la foule, la voix du chanteur du groupe de punk Les Berruriers noirs force le silence. « Juju » était leur copain, et même un peu plus. Il a fait partie de l’équipe de sécurité du groupe des années 80, connu pour son « La jeunesse emmerde le front national » – encore scandé il y a à peine une semaine par les manifestants réunis place de la République contre l’extrême droite.
Dans les années 90, la sagesse le gagne, ou presque. Julien devient militant à la Confédération nationale du travail (CNT) anarchiste, tout en donnant des cours de boxe. Il est aussi batteur dans un groupe, le Brigada flores magon. Il passera 27 ans à taper sur une batterie.
Sur l’écran, défilent désormais des images et vidéos du militant. En fond, la musique de son groupe. Après la cérémonie, les antifascistes venus en soutien se dirigent vers le Saint Sauveur. Personne ne sait pour l’instant ce que son bar mythique ouvert en 2006 deviendra. L’enseigne a subi plusieurs décisions de fermeture administrative. Mais ce soir, c’est tournée générale chez Juju.
Illustration de Une de Caroline Varon.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER