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    27/05/2024

    La Guyane peut-elle accueillir dignement ?

    À Cayenne, des demandeurs d’asile sont placés dans « un camp bidonville géré par l’État »

    Par Enzo Dubesset

    À Cayenne, plus de 350 demandeurs d’asile vivent dans un camp d’accueil de la préfecture aux aires de bidonville. Fustigée par les associations, la « Verdure » incarne l’incapacité des pouvoirs publics à s’adapter à la nouvelle donne migratoire.

    Cayenne, Guyane (973) – Sur l’une des photos, il y a des abris de fortune construits à l’aide de palettes recyclées. Les toits faits de bâches s’entassent sur les contreforts d’anciens locaux préfectoraux de Cayenne, désormais fermés au public. Sur une autre, des familles sont agglutinées le long de points d’eau, bidons vides à la main. Karim (1), un demandeur d’asile, fait défiler les photos sur son téléphone. Elles illustrent un quotidien précaire. Depuis sept mois, il a quitté la place du centre-ville où il dormait dehors pour le « centre d’accueil temporaire » de la « Verdure ». Une initiative tout à fait officielle de la préfecture de Guyane, installée en décembre 2023. Seulement trois robinets, une dizaine de douches mobiles – dont certaines ne fonctionnent pas tout le temps – et une vingtaine de toilettes de chantier pour 350 personnes, achèvent de dresser le portrait d’un quotidien extrêmement précaire.

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    À Cayenne, plus de 350 demandeurs d’asile vivent dans un camp d’accueil de la préfecture aux aires de bidonville. / Crédits : DR

    Le site, invisible depuis les routes de la capitale, permet aux autorités de donner un point de chute bien identifié aux sans-papier qui continuent régulièrement d’affluer depuis la frontière brésilienne. Ces cinq dernières années, la région d’outre-mer, située au nord du Brésil, en Amérique du Sud, est devenue une nouvelle porte d’entrée pour les exilés du Moyen-Orient. Et le gouvernement peine à accueillir dignement les arrivants en pleine procédure administrative. L’antenne guyanaise de la Cimade, qui défend les droits des personnes exilées, dénonce même « un camp bidonville géré par l’État ».

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    Dans le « centre d’accueil temporaire » de la « Verdure », seulement trois robinets, une dizaine de douches mobiles et une vingtaine de toilettes de chantier pour 350 personnes. / Crédits : DR

    Ravagé par les moustiques

    L’endroit n’est effectivement pas très différent des bidonvilles situés en périphérie de Cayenne. Karim a fui le Sahara occidental pour des raisons politiques et échapper, notamment, à un ordre de mobilisation au sein de l’armée marocaine qui occupe son territoire natal. (2)

    La plupart des demandeurs d’asile se montrent soulagés, et expriment une reconnaissance vis-à-vis de l’État français et des associations qui les accueillent. Tous font aussi part de conditions difficiles à supporter au quotidien. En pleine journée, la chaleur est intenable à l’intérieur des cabanes de fortune. Et la situation ne cesse d’empirer depuis le début de la saison des pluies courant avril. « Ça fait de la boue partout et les moustiques sont insupportables », témoigne Karim en montrant des marais d’eau stagnante au milieu des herbes folles, en plein milieu du camp. « Toutes les nuits, on se fait piquer. On a même dû changer la tente de place », raconte Muhammad, un demandeur d’asile syrien venu avec sa compagne à cause de la guerre. Il fait la queue à l’extérieur du camp, un jour de distribution alimentaire organisé par une association qui apporte des plats chauds cuisinés. Les jambes du père de famille sont sanguinolentes, dévastées par les parasites. Selon Karim :

    « Il faudrait aménager un peu plus, au moins débroussailler pour que ça soit plus sain. Mais personne n’est venu encore. »

    Au fil des mois, il y a eu « de petites avancées », comme la mise en place d’une permanence d’accès aux soins par l’Agence Régionale de Santé (ARS) ou l’ajout de quelques sanitaires. Mais les conditions restent « complètement insalubres », juge Valentine Alt, présidente de l’association locale Upaya. Avec une poignée de bénévoles, la structure organise des événements hebdomadaires à destination de la centaine d’enfants du camp. En février dernier, le tribunal de Guyane y a dénombré 98 enfants scolarisés.

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    Plus de 350 demandeurs d’asile vivent dans des conditions « complètement insalubres ». / Crédits : DR

    Nouvelles routes migratoires

    La « Verdure » incarne depuis des mois l’incapacité des pouvoirs publics à s’adapter à la nouvelle donne migratoire. Traditionnellement, la Guyane accueille des migrants venus de pays proches, comme Haïti ou la République dominicaine. Des diasporas sont déjà présentes sur le territoire et peuvent prendre en charge les nouveaux arrivants qui, souvent, ne recourent même pas à la demande d’asile.

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    La « Verdure » incarne depuis des mois l’incapacité des pouvoirs publics à s’adapter à la nouvelle donne migratoire. / Crédits : DR

    Mais depuis 2018, la Guyane accueille de plus en plus d’exilés originaires d’Afghanistan, de Syrie, ou dans une moindre mesure du Sahara occidental. Selon les derniers chiffres de l’Ofpra (3), l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, les Syriens représentaient 2,2 % des demandes d’asile en 2018. En 2023, le chiffre est monté à 21 % – sur 5.200 premières demandes d’asile effectuées sur le territoire. Les Afghans comptent pour 19 . Si ces parts restent en deçà de la demande haïtienne (28) – qui a explosé ces derniers mois suite à la dégradation de la situation politique locale – ils contribuent à faire de la Guyane le département d’Outre-mer où la demande d’asile est la plus forte, devant Mayotte (2.650 premières demandes en 2023).

    Les exilés passent désormais par un pays tiers, comme Les Émirats arabes unis ou la Turquie, pour ensuite prendre un avion vers le Brésil, avant d’arriver en France par la Guyane. Le pays d’Amérique du Sud, qui accorde facilement un visa humanitaire, séduit d’autant plus qu’il permet d’éviter la périlleuse Méditerranée et ses passeurs.

    « En Guyane, les Haïtiens sont accueillis dans des bidonvilles, certes. Mais ils sont accueillis », explique, pragmatique, Camille Guédon, coordinatrice régionale de Médecins du Monde. Selon elle, les Afghans et les Syriens – des populations de classe moyenne ou aisée qui arrivent donc sur un territoire où ils n’ont aucune attache – ne savent, eux, pas où aller :

    « Et comme il n’y a pas de logements disponibles, beaucoup finissent à la rue ou, maintenant, sur des terrains privés qui ne sont pas vraiment gérés. »

    L’humanitaire déplore « l’impact sur la santé mentale » d’une telle situation.

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    Pour les 350 demandeurs d’asile qui vivent dans ce camp d’accueil, le quotidien est extrêmement précaire. / Crédits : DR

    Les places d’hébergement multipliées par cinq

    « La situation pourrait être meilleure, oui, mais elle s’est déjà améliorée », voudrait nuancer Basharat Muhammad, responsable de l’association Humanity First en Guyane, qui gère la plupart des Hébergements d’urgence pour les demandeurs d’asile (HUDA). Il explique qu’en novembre 2023 et mars 2024, 262 personnes de la Verdure ont été mises à l’abri :

    « On a eu plus d’argent pour fournir des repas chauds au quotidien. Des places ouvrent et on voit des familles qui partent [du camp]. Il faut aussi le dire. »

    Dans les faits, le nombre de places en hébergement d’urgence en Guyanne a effectivement été multiplié par cinq ces quatre dernières années, atteignant environ 1.000 places aujourd’hui. Deux nouveaux centres de 50 et 100 places devraient également ouvrir dans les prochains mois.

    « La préfecture pallie au plus urgent, mais il n’y a pas eu de politique de long terme », regrette de son côté Lucie Curet, responsable régionale de la Cimade :

    « La Guyane ne s’est pas dotée d’un schéma régional pour l’accueil des demandeurs d’asile alors que c’est une obligation légale depuis 2020. »

    Et sur ce point, les travaux sont actuellement au point mort. Une critique partagée par la plupart des asso’ qui travaillent sur la question à Cayenne. Cet outil administratif permettrait de mieux planifier et coordonner la politique d’accueil et la gestion des établissements d’urgence, selon les humanitaires et militants. Autre enjeu, l’absence de Centre administratif pour les demandeurs d’asile (CADA) sur le territoire. Le manque est tellement criant qu’une soixantaine de personnes reconnues réfugiées continuent de vivre au camp de la Verdure, faute de toit sous lequel attendre la finalisation de leurs papiers et l’organisation de leur transfert vers l’Hexagone.

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    Une soixantaine de personnes reconnues réfugiées continuent de vivre au camp de la Verdure, faute de toit sous lequel attendre la finalisation de leurs papiers et l’organisation de leur transfert vers l’Hexagone. / Crédits : DR

    Recours au Conseil d’État

    Dès l’ouverture du camp, Médecins du Monde, la Comede et la Cimade ont entamé une procédure contre l’État français pour exiger des moyens supplémentaires pour l’accueil des exilés. Les trois associations ont également demandé l’ouverture des bâtiments en dur présents sur le site, qui sont raccordés à l’eau et à l’électricité, pour parer à l’urgence.

    Le 22 mars, elles ont finalement été déboutées par le Conseil d’État, saisi en référé. Ce dernier a estimé que « l’absence d’hébergement des personnes présentes sur le campement » ne constituait pas « une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit d’asile ou à leur droit à l’hébergement d’urgence ». Le Conseil d’État reconnaît que les pouvoirs publics font ce qu’ils peuvent au regard de leurs faibles moyens.

    Sept mois après l’ouverture du camp, les autorités ont finalement mis en place huit toilettes supplémentaires, six douches non mixtes et quatre points d’eau potables supplémentaires, ce mois de mai 2024. Des mesures que lui enjoignait de prendre une précédente ordonnance du tribunal administratif de Cayenne. « Mais l’eau ne coule pas encore. On ne sait pas pourquoi. On va leur dire », confirme Karim, en haussant les épaules. Un énième symbole d’impuissance, dans un camp provisoire parti pour durer.

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    À Cayenne, des demandeurs d’asile sont placés dans « un camp bidonville géré par l’État ». / Crédits : DR

    Contactée, la préfecture de Guyane a expliqué ne pas pouvoir répondre à nos sollicitations.

    (1) Le prénom a été modifié.

    (2) Le Sahara occidental est territoire occupé militairement par le Maroc, mais revendiqué par la République arabe sahraouie démocratique et son organisation militaire. Cette dernière, le Front Polisario, occupe un quart du territoire.

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