« Petite école sympathique à taille humaine, cherche deux temps-pleins d’AESH. » Sur Leboncoin, la petite annonce est réservée aux converties de l’éducation nationale : AESH signifie Accompagnant d’Élèves en Situation de Handicap, un poste normalement attribué par le ministère. « L’école est entourée de verdure avec petits oiseaux et charmants bambins, moderne (ascenseur) et lumineuse (multiples orientations avec patio central), résolument tournée vers l’avenir du vivre-ensemble », poursuit le petit texte qui se veut humoristique, avant de finalement terminer sur un lien vers l’Académie de Rennes (35) où postuler.
Ce sont les parents d’élèves de l’école élémentaire Jules Isaac à Rennes qui, excédés, ont pris l’initiative de publier l’offre d’emploi. / Crédits : Capture d'écran Leboncoin
Ce sont les parents d’élèves de l’école élémentaire Jules Isaac à Rennes qui, excédés, ont pris l’initiative de publier l’offre d’emploi fin janvier, après deux recours en justice et le départ en arrêt-maladie d’une enseignante épuisée par le trop grand nombre d’élèves dans sa classe. « À la rentrée 2023, seule notre fille de sept ans avait une AESH alors qu’il en fallait quatre », explique Yoann, un des pères concernés. Quatre personnes postulent durant la semaine suivant la publication de l’annonce, « alors que l’Éducation nationale nous dit qu’elle n’arrive pas à recruter ».
Parents, directeurs ou professeurs, tous alertent depuis des années sur le manque de moyens et la dégringolade des conditions d’enseignement dans les écoles publiques. Pénurie de candidats au concours des enseignants, manque d’instituteurs et d’autres personnels éducatifs, fermetures de classes, locaux en piteux état, les maux s’empilent. Alors pour combler les brèches et poursuivre les cours, les établissements essaient tant bien que mal et par eux-mêmes de s’adapter. « On bricole. J’ai coutume de dire que l’Éducation nationale est la plus grande enseigne de bricolage de ce pays », assène régulièrement Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, premier syndicat des collèges et des lycées. Les recrutements via Leboncoin ou Facebook se sont multipliés, les parents mettent tant bien que mal la main à la patte et les enseignants s’épuisent.
Profs absents et jamais remplacés
« On a demandé à des AESH de repeindre le mur du préau de l’école ! » C’était il y a longtemps, mais Florence s’en souvient très bien. « Ça m’a marquée. » Un exemple qui illustre le bricolage permanent imposé au personnel de l’école. « Dans certains collèges du 93, il n’y a pas assez de chaises pour les élèves », lâche Yuna, professeur en école maternelle à Paris. À l’image du collège Travail Langevin à Bagnolet, dont StreetPress racontait récemment les galères. Les murs des locaux sont moisis et laissent passer la pluie. Il manque une infirmière scolaire et une assistante sociale.
À LIRE AUSSI : À Bagnolet, le collège des galères
Se débrouiller pour que les élèves continuent d’avoir cours se fait souvent au détriment de la santé des enseignants. « J’ai des collègues qui vont travailler avec une pneumonie, parce qu’ils savent qu’ils ne seront pas remplacés », déplore Yuna :
« Même moi ! Sauf si je suis contagieuse ou vraiment incapable de me lever, je vais travailler malade. »
Parfois, elle ressent une injonction à devoir « s’adapter à l’inadaptable », comme le résume une enseignante rencontrée par Mediapart pendant la grève de plus de trois semaines des établissements de Seine-Saint-Denis, pour « un plan d’urgence pour le 93 ». « Il y a une déshumanisation de la gestion, on oublie les humain·es qu’il y a derrière et ça a des conséquences », complète Yuna. Florence, l’AESH bretonne, se souvient avoir culpabilisé suite à un arrêt dû à une fracture du poignet. « J’ai dû me faire opérer et je n’ai pas été remplacée. » Chaque absence non compensée des aides aux enfants handicapés fragilise sa scolarité, malgré l’obligation de continuité pédagogique pour chaque élève.
Leboncoin et Facebook
Sur Leboncoin, la petite annonce pour recruter des AESH à Rennes n’est pas la seule concernant l’Éducation nationale. Et encore une fois, ce sont des parents d’élèves qui ont dû prendre le relais du personnel enseignant exténué. Dans un autre établissement breton, l’école élémentaire Julie Daubié à Saint-Ségal, cette fois dans le Finistère (29), ils ont posté un « avis de recherche urgent » :
« Tu as entre trois et dix ans, tu aimes apprendre, rire, jouer, chanter, nager, courir, découvrir, et te faire des copains et des copines ! […] Nous sommes 118 [enfants] et recherchons deux futurs ami(e)s pour éviter une décision injuste des adultes ! La fermeture d’une classe ! »
Encore une fois, ce sont des parents d'élèves qui ont dû prendre le relais du personnel enseignant exténué. / Crédits : Capture d'écran Leboncoin
Il a été rédigé pour manifester contre la fermeture de classe décidée par l’inspection académique, suite aux évolutions de la carte scolaire – 58 autres fermetures sont prévues dans le Finistère. Les parents de l’école de Louargat, dans les Côtes-d’Armor (22), ont eux carrément mis la classe de leurs enfants en vente pour un euro symbolique sur Leboncoin et Facebook. « Classe à vendre puisque la qualité de l’enseignement de nos enfants n’est apparemment pas importante pour l’inspection académique… » Eux aussi protestent contre sa fermeture qui devrait entraîner l’accroissement du nombre d’élèves par classe. Soit une baisse de la qualité de l’enseignement pour les élèves et des conditions de travail plus compliquées pour les instituteurs, selon les syndicats et personnels éducatifs. Hors de Bretagne, même annonce même combat pour les parents de l’école de Flavignac en Haute-Vienne près de Limoges (87).
La débrouille impossible
« Tout le monde n’est pas armé pour se défendre », réagit Yoann, le père rennais. « Il faut être en capacité d’écrire des mails, de faire des mises en demeure et d’aller en justice, de ne pas être perdu face aux réponses de l’administration… » Un constat partagé par Florence, à qui on exige plus que son poste initial. « Face à certains handicaps, je suis complètement désarmée », admet-elle. « J’ai demandé à avoir une formation pour savoir comment porter mon élève en fauteuil roulant pour la mettre aux toilettes. On m’a répondu : “Rapprochez-vous de son kiné”. Comme si les AESH étaient des baguettes magiques faisant disparaître le handicap. » Florence ne se verrait d’ailleurs pas continuer plus longtemps, si elle n’arrivait pas à la retraite l’année prochaine. Tout comme Anne, qui elle, a décidé de partir en septembre dernier. « J’adore mon métier en vrai ! Mais aujourd’hui tout est trop compliqué », résume l’animatrice en milieu scolaire et périscolaire. « Les conditions de travail très très précaires », explique-t-elle :
« Il y a des enfants qui ont des besoins auxquels on ne peut pas répondre faute de moyens. Ça revient à de la maltraitance. »
« Notre travail, c’est du bidouillage », répète Fred, enseignant dans un collège breton. Il énumère tous les « petits trucs » qui s’ajoutent à son poste pour combler les failles du système : « Le suivi des élèves handicapés, les formations hors temps scolaire contre le harcèlement, rédiger des rapports et tout le reste. » Il est pourtant d’un naturel serein et enchaîne les tâches les unes après les autres :
« Mais au final, le temps consacré à la préparation des cours s’amenuise, parce que les journées font toujours 24 heures et le salaire est toujours le même. Tout ça, c’est du bénévolat. »
Il se pose des limites afin que le collège n’empiète pas trop sur sa vie privée et celle de sa compagne, elle aussi enseignante. Il aime toujours son métier et s’y accroche. « J’essaie de prendre ce qu’il y a à prendre. On ne pourra pas tout sauver. » Même constat pour Yuna, l’instit’ en région parisienne. « Nos leviers d’action sont assez restreints. Je me forme auprès de syndicats et on échange beaucoup entre collègues. Mais cette question de l’école ne devrait pas être uniquement celle du personnel éducatif », explique-t-elle :
« Le démantèlement de l’école publique concerne toute la société. »
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER