Rennes (35) – « Un mec trans m’a tatoué une cible sur la fesse ! » Raph, 35 ans, a le regard doux et un sourire discret. « C’est pour savoir où me piquer et prendre mon traitement seul. » Il y a 15 ans, il a entamé sa transition. Le processus lui a permis de modifier son expression de genre pour le faire correspondre à son identité réelle : un homme. « Je trouve ça chic de le faire soi-même ! », s’exclame-t-il en s’adressant à Baptiste, Tommy et Caleb.
Ces quatre hommes transgenres se retrouvent deux fois par mois pour un goûter dominical particulier : le « salon de T ». T pour testostérone. L’hormone masculine s’administre par injection sous la peau ou dans le muscle et permet notamment de prendre de la masse musculaire. Un traitement qu’ils ont décidé de prendre seul. Alors, il faut apprendre les bons gestes et dépasser la peur des aiguilles. « L’idée est d’impulser une énergie entre personnes voulant mener à bien et sans risques leur transition », explique Baptiste, l’instigateur de ces après-midi d’entraide. Il reçoit avec sa compagne Paule (1) dans leur joli appartement rennais.
Il y a 15 ans, Raph a entamé sa transition. Le processus lui a permis de modifier son expression de genre pour le faire correspondre à son identité réelle : un homme. « Je trouve ça chic de le faire soi-même ! » s’exclame-t-il. / Crédits : Louise Quignon
Sur la table sont disposés pêle-mêle, un bol rempli de gros morceaux de chocolat, une cafetière à l’italienne bien chaude, les boîtes de compresses et de gants, les seringues et le flacon d’antiseptique. Baptiste, Caleb, Raph et Tommy ne se connaissaient pas tous avant le salon de T, de même pour la dizaine d’autres participants plus ou moins réguliers. L’information est diffusée sur Instagram et dans une boucle de conversation communautaire.
L’un d’eux a attrapé une ampoule de médicament et la réchauffe entre ses mains, avant d’introduire le liquide dans une seringue. « L’hiver, c’est plus visqueux, c’est à base d’huile de ricin. » Appelé Androtardyl, le traitement est régulièrement en pénurie. Un danger pour leur santé. Et une fois l’ampoule ouverte, impossible de la conserver malgré les excédents. Alors les participants du salon se partagent les doses, pour les utiliser jusqu’à la dernière goutte – devenue si précieuse.
Sur la table sont disposés pêle-mêle, un bol rempli de gros morceaux de chocolat, une cafetière à l'italienne bien chaude, les boîtes de compresses et de gants, les seringues et le flacon d'antiseptique. / Crédits : Louise Quignon
« L'idée est d'impulser une énergie entre personnes voulant mener à bien et sans risques leur transition », explique Baptiste, l’instigateur de ces après-midi d’entraide. / Crédits : Louise Quignon
Comment on pique ?
Paule explique comment piquer étape par étape. Baptiste, cobaye volontaire, est allongé à plat ventre sur la méridienne, le pantalon et le boxer légèrement baissés. D’abord, elle désinfecte le quart supérieur de la fesse gauche :
« Il faut piquer en perpendiculaire de la peau, comme une fléchette. »
Elle pince la peau, puis pique : « S’il y a des bulles, c’est normal, mais s’il y a du sang, il faut arrêter et tout recommencer. » Baptiste reste détendu, confiant : « Ça ne fait pas mal ». Dans un petit rire, Paule ajoute : « Des fois, je fais un petit massage après… Mais pas devant tout le monde ! »
Paule n’est pas du tout infirmière (1). Quand son conjoint Baptiste entame sa transition médicale (3), des infirmières viennent toutes les deux semaines pour l’injection : « J’ai fini par leur demander comment faire. L’idée était d’assez vite ne pas dépendre d’elles ». Tant pour s’épargner la contrainte horaire d’un rendez-vous, que d’éventuelles remarques désagréables, raconte le couple. Selon une étude de 2018 (2) sur la santé des lesbiennes, gays, bisexuels, trans et intersexes, pour l’association Lutte contre les discriminations, une personne interrogée sur deux s’est déjà sentie discriminée lors d’un parcours de soins.
Paule pince la peau, puis pique : « S'il y a des bulles, c'est normal, mais s'il y a du sang, il faut arrêter et tout recommencer. » Baptiste reste détendu, confiant : « Ça ne fait pas mal ». / Crédits : Louise Quignon
Repaire communautaire
« J’achète toujours mon matériel à la même pharmacie et ça se passe bien », explique Tommy, qui a débuté sa transition médicale il y a huit ans. « Ailleurs, j’ai déjà dû me justifier de l’usage que j’allais en faire alors que les seringues sont en vente libre », explique-t-il avant de poursuivre :
« Et une pharmacie dans ce quartier est particulièrement transphobe. »
« Des aiguilles juste pour les injections de testostérone ça n’existe pas, donc on doit expliquer ce qu’on en fait », résume Baptiste. Lui préfère acheter sur internet : pas de questions intrusives, prix de gros plus avantageux.
« Des aiguilles juste pour les injections de testostérone ça n'existe pas, donc on doit expliquer ce qu'on en fait », résume Baptiste. Lui préfère acheter sur internet : pas de questions intrusives, prix de gros plus avantageux. / Crédits : Louise Quignon
Après en avoir discuté avec sa médecin généraliste, Raph préfère utiliser des seringues pour injections sous-cutanées, à la différence des injections intra-musculaires avec des aiguilles plus longues. « C’est plus confortable. » Tommy est aussi habitué à faire son injection seul. Même chose pour Caleb, malgré sa phobie des aiguilles : « Depuis le temps, je suis très habitué donc je ne tombe plus dans les pommes ». Chaque parcours de transition est personnel, constatent Raph et Tommy :
« Parmi toutes les personnes trans que nous avons rencontrées, il n’y en a pas une qui se pique pareil. »
Chaque parcours de transition est personnel, constatent Raph et Tommy : « Parmi toutes les personnes trans que nous avons rencontrées, il n'y en a pas une qui se pique pareil ». / Crédits : Louise Quignon
Les salons de T sont aussi l’occasion de partager d’autres matériels bien utiles. Des binders par exemple, ces brassières compressives qui permettent de restreindre les formes des seins. Ou des boléros post-opératoires et des pansements, bien utiles à la suite d’une mammectomie, une opération chirurgicale qui permet de diminuer la taille de la poitrine. Les participants s’échangent aussi des noms de soignants, comme des adresses de pharmacies, respectueux des personnes trans. « On a nos propres réseaux pour les soins médicaux », résume Baptiste.
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L’Androtardyl
L’idée des salons de T est née au début de l’été, face au constat commun d’une pénurie qui n’en finit pas. L’Androtardyl, nom commercial de la testostérone de synthèse, est régulièrement en rupture de stock. En 2018, la Société Française d’Endocrinologie signale des difficultés d’approvisionnement ne devant être que « transitoires » d’après les laboratoires Bayer, qui commercialisent le médicament. « Utilisateurs angoissés, laboratoire négligent : enquête sur la pénurie d’Androtardyl », titre Komitid, le site d’information LGBT+, qui a publié une grande enquête sur la question dès mars 2019. Elle révèle notamment que les ruptures de stock de février et mars 2019 sont la conséquence d’un retard délibéré dans la fabrication de l’Androtardyl dans le seul laboratoire de Bayer dédié à Berlin. D’après un chercheur, « ce n’est pas un produit qui rapporte beaucoup et ce n’est donc pas une priorité pour Bayer ». Début novembre 2023 l’association TRANSpire lance une pétition dans l’espoir de faire réagir la firme pharmaceutique.
Le médicament disparaît régulièrement de la vente. Baptiste, Tommy, Raph et Caleb l’apprennent directement à la pharmacie, démunis. L’un explique :
« Il ne faut pas espacer les injections plus de trois semaines car ton corps te le fait sentir. »
Le médicament disparaît régulièrement de la vente. Baptiste, Tommy, Raph et Caleb l’apprennent directement à la pharmacie, démunis. L’un explique : « Il ne faut pas espacer les injections plus de trois semaines car ton corps te le fait sentir. » / Crédits : Louise Quignon
Tous ressentent de la fatigue et des sautes d’humeur quand la date préconisée d’injection approche ou a été légèrement dépassée, en raison de la fluctuation d’hormones causée par le manque de testostérone. Comme l’explique Komitid dans son enquête, « si le corps s’est habitué à fonctionner avec de la testostérone, il n’est pas garanti que les ovaires prennent le relais pour produire des œstrogènes, ce qui […] peut entraîner d’autres complications ». Lors d’une transition, un homme trans peut décider ou non d’entreprendre une hystérectomie – une ablation de l’utérus – et une ovariectomie – une ablation des ovaires. Dans le cas de ces opérations et sans traitement d’Androtardyl, « aucune de ces hormones [testostérone et œstrogène] ne sont produites par le corps. Un traitement hormonal devient alors indispensable », relate Komitid.
Ces galères, cette angoisse de manquer, les participants des salons de T ne les affrontent plus seuls. « C’est quelque chose qu’on peut vivre ensemble, et pas avec une infirmière », explique Caleb, qui fête son troisième anniversaire de testostérone. Applaudissements et rires de ses comparses, qui l’accompagnent depuis le début des salons de T. Une transition médicale (3) n’est jamais vraiment terminée : les doses de médicaments varient, mais le corps d’un homme trans ne sécrète pas assez de testostérone sans un coup de pouce médical. « On ne parle pas que des soucis rencontrés dans nos transitions, mais aussi de nos victoires, de ce qui se passe bien », souligne Baptiste, avant de conclure sur un dicton qu’il a lui-même inventé :
« Une transition qui tient, c’est avec des crêpes et du café ! »
Une transition médicale n’est jamais vraiment terminée : les doses de médicaments varient, mais le corps d’un homme trans ne sécrète pas assez de testostérone sans un coup de pouce médical. / Crédits : Louise Quignon
(1) Paule n’a pas souhaité que l’on publie son prénom ou sa profession.
(2) Étude menée auprès de 1.147 personnes.
(3) On parle de transition médicale lorsqu’une personne transgenre a recours à des médicaments ou des opérations pour modifier son expression de genre. Il existe aussi une transition sociale, soit être reconnu sous son genre et son identité réels.
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