« Eh les pauvres, cassez-vous ! » C’est comme ça que Pascal Fleuriet traduit le projet de « requalification urbaine » de la Porte de Montreuil (93). Il fait partie des 350 commerçants du marché aux Puces à qui on a promis une « montée en gamme ». Un terme policé pour se débarrasser d’eux, ils en sont certains. « C’est même un argument de vente des agents immobiliers du coin pour leurs résidences toutes neuves », assure Djamel Zidani, président du syndicat des puciers :
« “Ne vous inquiétez pas, les Puces vont bientôt partir”, disent-ils. »
Trois jours par semaine, 52 semaines par an, qu’il vente, pleuve ou neige, les Puces de la Porte de Montreuil occupent une bande de bitume de presque 8.000 m2 accoudée au périph’. L’un des plus grands marchés parisiens, avec ses deux cousins de Saint-Ouen (93) et de Vanves (92). Les commerçants y déploient leurs tables et leurs parasols pour vendre vêtements neufs et d’occasion, objets de brocantes et autres bouteilles de lessive. Le tout au rabais. Un des derniers endroits où les tarifs ne sont pas affichés et où tout est négociable. Les artistes de la capitale y côtoient une clientèle plus modeste, venue pour faire des affaires. Il y a aussi les biffins, ces vendeurs à la sauvette qui exposent leur bric-à-brac à même le sol. Un marché parallèle et précaire, installé en désordre autour des Puces.
Paquets de lessive au rabais. / Crédits : Pauline Gauer
Autant d’animations qui ne sont pas toujours au goût des riverains, fatigués par la valse des camions, les coups de klaxon et les incivilités. Des élus voudraient « renouveler » et « transformer » les Puces. Ne sont-elles pas désuètes en l’état ? Les commerçants ont dit « non ». Le marché était là avant les bâtiments haussmanniens et le métro parisien. Il a vu passer trois républiques, deux guerres mondiales et trois monnaies. À marche forcée, increvables, les Puces de la Porte de Montreuil ont survécu à tout. Mais jusqu’à quand ?
Jane Birkin, Coluche et les familles nombreuses
« Huit euros la chemise madame. » Des piles de vêtements s’entassent sur d’énormes tables et trois stands. Après négociation, le billet de cinq euros file dans la sacoche en cuir de Sofiane. Le « roi de la fripe », comme il est surnommé, est bien plus humble que sa réputation. Le samedi, premier jour de marché, dès 5h du matin, son étal est noir de monde. Des connaisseurs soucieux de dénicher les meilleures pièces : Kenzo, Chanel, ou ces chaussures Prada compensées qu’il a en ce moment. Sofiane les sait prisées, même s’il les trouve laides. « Les jeunes s’en foutent : ils ne veulent que de la marque. Même s’ils font du S et la taille de mon petit doigt, ils vont acheter un vêtement XL à cause de l’étiquette. » Ça c’est pour l’exceptionnel. La journée, le commerçant de 48 ans vend de la seconde main plus quelconque, de marque ou non, à des prix dérisoires :
« Hier, une maman qui galère a pu habiller ses cinq enfants ici. Son “merci”, c’est la plus belle des récompenses. »
Chaussures en vrac. / Crédits : Pauline Gauer
Sofiane, le roi de la fripe. / Crédits : Pauline Gauer
« Les Puces, c’est notre BHV », s’exclame Leïla, une cliente souriante, habituée. La quinqua est propriétaire du magasin de fauteuils marocains, un peu plus haut en ville. Bricolage, produits ménagers, déco, elle est sûre de diviser les prix par trois par rapport aux grandes surfaces. Alors les mères de famille avec leurs gros chariots croisent des professionnels du cinéma, qui peaufinent leur collection de costumes. Longtemps, l’Opéra de Paris s’est fourni chez Sofiane. Jane Birkin lui aurait acheté des bricoles.
Sur le marché, on raconte à qui veut l’entendre que Coluche a acheté sa salopette ici, que les premiers jeans Levi’s de France ont été importés par un pucier, et qu’un Van Gogh a été trouvé chez un des brocanteurs. S’il est souvent difficile de vérifier ces légendes, celle du peintre hollandais est sourcée. La petite toile impressionniste, qui représente des laboureurs dans un champ, sobrement signée « Vincent », a été dénichée en 1991 par Pierre Lempereur, à l’époque gardien du musée du Petit Palais à Paris. Mais l’authenticité de l’œuvre semble encore faire débat.
De génération en génération
Kader l’assure, Jean-Paul Gaultier achète ses bleus de travail chez lui. Le créateur enverrait un de ses assistants les chercher à son magasin, Le travailleur, installé Rue de Paris à Montreuil, à même pas 10 minutes à pied. Vêtements de chantier, uniforme d’agent de sécurité ou hospitalier, lui vend du neuf. Il a étendu son business dans une boutique en dur. « Mais je suis né sur le marché », assure-t-il, doux. Adossé à son camion, le marchand s’exprime avec poésie, sa voix à peine plus haute que le bruit du périphérique. Il a repris « l’histoire de ses parents ». Nombreux sont les enfants à avoir racheté le fonds de commerce de leurs aînés. Le père de Kader débarque en 1958 d’Algérie, sa mère suivra six ans plus tard. À son arrivée, l’immigré se débrouille : il fait les poubelles et revend ses trouvailles à la Porte de Montreuil. Une histoire de vente à la sauvette longue de plusieurs siècles. Ils sont appelés biffins ou chiffonniers, et monnayent des objets usagés pour de maigres revenus. Le père de Kader a vite complété en entrant dans les usines Citroën comme machiniste, aux Épinettes à Saint-Ouen. Quelques années plus tard, il s’est inscrit au registre du commerce, pour s’installer vraiment aux Puces et devenir son propre patron.
Kader et ses vêtements de travail. / Crédits : Pauline Gauer
Les frangins : Francesco et Cath'. / Crédits : Pauline Gauer
« Avant, les commerçants étaient des Français, souvent des Juifs. Maintenant ce sont des Algériens ou des Tunisiens », affirme Francesco en mettant ses lunettes sur le haut de son crâne. Lui est Italien. Il s’est associé avec sa sœur, Cath’, occupée à parler aux clients. Son grain de voix porte dans l’allée voisine. Son rire aussi. La fratrie a tout appris de leur mère, une ancêtre locale, 87 ans dont 67 ans de marché. Maria vient tous les dimanches, malgré la retraite. Une vie en liberté au grand air. La famille a fui le fascisme et Mussolini. Sans situation, ils ont exposé aux Puces où tout le monde peut saisir sa chance : semelle, lacet, cirage, tout pour l’entretien de la chaussure. Le marché a finalement incarné les vagues d’immigration parisiennes : les Auvergnats, des campagnards français, à la fin du XIXe, avec les Belges et les Allemands ; puis les Espagnols, les Italiens, les Juifs d’Europe de l’Est et les forains qui ont fui les états fascistes ; arrivent ensuite les Maghrébins, puis l’Afrique de l’Ouest et les Roumains. Ce sont ces derniers qui aujourd’hui sont biffins, comme d’autres avant eux.
Amel et un ancien pucier. / Crédits : Pauline Gauer
Les zonards
Le grand-père de Robert déballait dans les années 30 ou 40, il ne sait plus. Son père pendant la Seconde Guerre mondiale. « Les Allemands étaient sur le marché. » L’homme à la très fine moustache a 70 ans. Une mémoire locale, en veste en cuir cognac. Membre de la communauté des gens du voyage – même s’il s’est sédentarisé depuis bien longtemps – Robert a rameuté des centaines de voyageurs. Ils attendaient en ligne, devant le Novotel qui n’existait pas dans le temps. Parfois les distributions s’organisaient au cul du camion, tôt le matin. Premier arrivé, premier servi ! Dans ses récits, Robert conte celui d’un certain « monsieur Charles Lapierre », qu’il porte en haute estime. Ce pucier aurait hypothéqué sa propre maison pour bétonner le marché, à une époque où le sol était en terre. Son père lui a dit. En réalité, des photos du début du siècle montrent que la zone était déjà pavée.
Vente de tissus au mètre. / Crédits : Pauline Gauer
Babioles en tout genre. / Crédits : Pauline Gauer
Il n’y a pas vraiment de littérature sur l’histoire des Puces de Montreuil. C’est une histoire orale, une mythologie imparfaite, sans date de naissance claire. Manuel Charpy sourit aux différentes histoires qui traînent sur le marché. Le chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est historien des fripes. Bien connu des commerçants pour être un client de longue date, ses recherches l’ont également poussé à s’intéresser aux puces :
« Il a toujours existé une économie circulaire à Paris, que ce soit avec les vêtements, la ferraille ou autre. »
Au XVIIIe siècle, les étals en plein air sont omniprésents dans le centre de la capitale, installés en désordre. En 1860, Paris s’élargit : les quartiers de Belleville, Ménilmontant, Montmartre ou encore La Villette sont rattachés à la ville. Dans la foulée, le préfet Eugène Poubelle, soucieux de l’hygiène de ses rues, interdit les dépôts d’ordures en bas des habitations. La tuile pour les chiffonniers. Avec les brocanteurs, les fripiers et les autres, ils sont bientôt repoussés aux portes de Paris dans « la zone ». Son tracé, peu ou prou celui du périphérique, est littéralement démarqué par un mur, qui ne sera complètement rasé qu’après la Première guerre mondiale. « La zone est dite non ædificandi, qui n’est pas construite. À l’époque, il y a vraiment des gravats au sol », poursuit Manuel Charpy. Le terme « zonard » en découlerait : parce que les plus modestes vivaient là, et y trouvaient des articles à bas prix. Les puces ont toujours été vues de manière hautaine et racontées dans des termes folkloriques, raconte l’historien. « Et quand il a fallu construire le périph’ à partir de 1956, les bidonvilles installés là et le marché ont été repoussés encore un peu plus loin en banlieue. »
Une « montée en gamme »
« Emplacement acceptable mais pas très bien fréquenté. » La Porte de Montreuil compte quatre hôtels. Dans les avis Google, il y a les fans des puces, ravies de pouvoir chiner, et les autres qui s’en plaignent : « Le week-end, c’est marché, mais pas un marché où l’on a envie de flâner… C’est la première fois où je me suis sentie aussi en insécurité » ; « un quartier sale et avec des gens dans les parkings devant l’hôtel qui ne sont pas très beaux (les gens dans cette rue font peur) ». Quand ils ne sont pas simplement racistes : « L’endroit fait peur, il est situé à côté d’un marché marocain et la nuit c’est plein de sans-abri. »
« On ne peut pas nous tenir responsables de tous les problèmes du coin », s’emporte Djamel Zidani, le président du syndicat des puciers. « Tous les marchés sont sales », soulève-t-il en levant un bras au ciel. Les services municipaux nettoient partout, qu’il s’agisse de Vincennes (94), de Neuilly (92) ou de Montreuil. Alors pourquoi leur reprocher à eux ? Installé au Havane, un café-restaurant en face de l’imposante tour en briques rouges du siège national de la CGT où il a ses habitudes, Djamel interpelle le serveur, le fils du patron :
« Toi t’as grandi là, tu travailles là. Dis-lui que les Puces font vivre tout le bas-Montreuil. On vous ramène des clients nous ! »
Djamel Zidani, président du syndicat des puciers. / Crédits : Pauline Gauer
Il n’a pas besoin de commander qu’une nouvelle tournée tombe sous son nez. Du samedi au lundi, les commerçants déballent, vendent et remballent dans une danse qu’ils connaissent par cœur. Il faut prévoir les allers et retours des centaines de camions pleins de marchandises sur l’Avenue du Professeur André Lemierre, où la circulation dense de la porte de Montreuil continue. « Ils nous ont mis la piste cyclable là en plus. C’est dangereux pour tout le monde ! » Depuis des années, les marchands réclament des toilettes. Sans, les badauds urinent sur les murs des hôtels. Il y a aussi les vendeurs à la sauvette à la sortie du métro, qui peuvent être insistants avec leurs paquets de cigarettes. « Qu’est-ce que tu veux qu’on y fasse nous ? »
Quand le marché n’est pas là, quatre jours par semaine, la grande bande de bitume redevient un parking, le seul gratuit des environs. Des banlieusards s’y garent, pour aller travailler à Montreuil, ou avant de prendre le métro. Des sans domicile fixe s’y installent aussi, dans de grands camions cabossés. D’autres se fixent près du grand Décathlon, quelques centaines de mètres plus bas, où les Parisiens font leurs courses le week-end. Ce sont parfois des biffins qui attendent le samedi. Djamel Zidani souffle :
« De toute façon, que ce soit Montreuil, Bagnolet ou la mairie du 20ème, ils voudraient tous nous voir partir. »
Quand le marché n’est pas là, la grande bande de bitume redevient un parking. Des sans domicile fixe s’y installent aussi, dans de grands camions cabossés. / Crédits : Pauline Gauer
Les Puces dépendent de Paris, mais se trouvent à la parfaite jonction entre les trois villes. Côté Montreuil, de nouvelles résidences sortent de terre comme des champignons et une restructuration de la zone est en cours. Côté Paris, la municipalité du 20ème arrondissement a lancé un grand projet de « requalification urbaine » de l’énorme rond point qui fait office de pont entre la capitale et la banlieue. « 100 millions d’euros pour métamorphoser la Porte de Montreuil », titre Le Parisien. Emmanuel Grégoire, premier adjoint (PS) à la maire de Paris, explique : le but est de « reconquérir l’espace public au profit des piétons et des cyclistes dans un environnement végétalisé, et construire quelques bâtiments ». Éric Pliez, maire (Paris en commun) du 20ème, qui voudrait « réanimer ce secteur », complète dans le même article : « [Les puciers] bénéficieront d’une halle plus attractive avec des restaurants. Les marchands pourraient ouvrir cinq à six jours par semaine. Sachant que beaucoup partent à la retraite, il y aura 240 emplacements. Nous veillerons à ce que la redevance reste à un tarif accessible pour garder l’esprit populaire des lieux ».
« On nous banane ! »
« Là j’ai dit : “On nous banane !” » Pascal Fleuriet tape du poing sur la table. Cette proposition l’a révolté, lui « le marginal ». Jusqu’à maintenant, il s’occupait de son business et puis c’est tout. L’homme de 61 ans au bouc poivre et sel ne fait pas partie d’une longue lignée de puciers. Après avoir vendu le fond de commerce de son dépôt vente de banlieue en 1989, il a dû trouver un endroit pour se débarrasser du reste de ses marchandises. Il a enchaîné avec des pellicules périmées qu’il revendait deux euros au lieu de 15. Un bon filon. Bref, il s’est pris au jeu. Le grand air, les clients fidèles qui reviennent toutes les semaines. « La mairie n’a rien compris à notre travail et à pourquoi on fait ça. » D’abord, être à l’intérieur ou dans le dur, ça ne les intéresse pas. Bien sûr, l’hiver est difficile. Mais « c’est la liberté ». Ensuite, la logistique serait ingérable : la halle serait équipée d’un parking souterrain avec trois ascenseurs pour plusieurs centaines de boutiquiers. Impossible ! Sans parler de la réduction du nombre de places. « Ils veulent juste nous cacher quelque part. »
Pascal Fleuriet. / Crédits : Pauline Gauer
Rima, 53 ans, dont 33 Porte de Montreuil. / Crédits : Pauline Gauer
En 2019, le commerçant a ouvert un compte Twitter. « Ça m’a plu, j’ai tweeté comme un ouf ! » Le projet de la mairie ne considère pas l’âme du marché et, surtout, il n’est pas écologique. « Le béton propre, ça n’existe pas. » Une certitude renforcée par les alliés qui le rejoignent : Greenpeace, France Nature, Les Amis de la Terre, Groupe National de Surveillance des Arbres, l’Association A.R.B.R.E.S, SOS Paris qui défend le patrimoine, Amelior sur les droits des biffins. Ce sont enfin les élus EELV et écolos qui ont porté et défendu leurs paroles à la mairie de 20ème.
« Pour arrêter le bétonnage des talus du périphérique », défend entre autres ce nouveau groupe dans un tract distribué sur le marché. En parallèle, Pascal Fleuriet tente de sensibiliser ses camarades puciers, assommés par les plans de la municipalité. « On se rend compte qu’on est tout petit à côté d’une mairie », confie Sofiane, le roi de la fripe, qui a choisi de faire confiance à cette nouvelle voix. « Pascal a été courageux », complète Rima, 53 ans, dont 33 Porte de Montreuil. Elle faisait partie du syndicat avant de se brouiller. « On avait besoin d’un leader. » Avec Pascal, ils convainquent 139 collègues de les suivre dans leur combat.
« Ma femme me disait : “J’en ai marre de ton collectif” », raconte Pascal, fier d’avoir tenu. Après de longues années, les puciers ont eu gain de cause cet été 2023 : pas de halles ou de réduction des places pour le marché. Leur bande de parking devrait devenir une zone végétalisée, avec une refonte de leur sol plein de crevasse, l’installation de treize toilettes, et un système électrique plus moderne, jusqu’à aujourd’hui, les branchements restent précaires et bordéliques.
Les mythiques Puces de la Porte de Montreuil fournissent précaires et artistes depuis plus de 150 ans. / Crédits : Pauline Gauer
Et demain ?
Abdeslam et Alex sont partagés entre nostalgie et spleen. Ce lundi matin, il fait un peu frais. Le second rentre presque de soirée, les yeux encore endormis. Ils se connaissent depuis des années, leurs parents étaient là avant eux. Quand il fait le bilan, Alex se trouve con d’avoir arrêté les études, avec le temps, il regrette. Les enfants de l’autre lui on dit qu’ils avaient un métier de « râté ». « C’est vrai que tu ne verras pas un ingénieur ici… » Les Puces les font manger, certes, mais le boulot a-t-il toujours du sens ? Leurs jeans, leurs chemises, leurs vêtements pour enfants, se sont tous les mêmes aujourd’hui : venus d’usines chinoises et refourgués en lot par la grande distribution en fin de saison. Les magasins de déstockage leur ont coupé l’herbe sous le pied : Noz, Stokomanie, quand ce ne sont pas les marques elles-mêmes qui ouvrent leur boutique. Sans parler des plateformes de seconde main comme Leboncoin, Vinted, ou des discounters Action, Lidl et les autres.
Patrick, ses chemises et ses jeans. / Crédits : Pauline Gauer
La fille de Pascal Fleuriet n’est pas non plus intéressée par reprendre le business de papa. Elle lui a dit :
« Tout ton stand tient sur une clé USB »
Elle n’a pas tort. Le marchand sourit en jetant un œil à ses produits, des cassettes et des DVD, surtout des vidéos porno. Mais il n’aime pas trop le dire, ça fait mauvais genre. Qui possède encore les équipements pour lire ses produits ? Pascal est persuadé qu’un bel avenir est possible. Pourquoi ne pas inviter des maraîchers ? Ou tous s’équiper avec les mêmes parasols verts et blancs, pour faire plus propre, plus moderne ? Il a plein d’idées, assis dans son camion, qui fait à la fois office de réserve et de bureau. Alors lui et ses soutiens ont présenté une liste à l’élection du syndicat, pour faire bouger les choses. Ils accusent le bureau actuel de bisbilles et de ne pas s’être battu pour sauver le marché. Leur tract, distribué à tous les commerçants, assène : « Il faut qu’il dégage ». C’est comme ça qu’on fait campagne. Certains ne savent pas lire, d’autres sont un peu vieux pour les mails.
Alors avec Djamel Zidani, le président du syndicat, la guerre est déclarée. « Ils n’ont fait aucune réunion à la mairie, c’est nous qui les avons faites », balaie-t-il d’un revers de main. Il a réfuté toutes les accusations dans un contre-tract. Lui est sur le marché depuis l’âge de 10 ans, dans le syndicat depuis plus de 20 ans. Cette liste ne lui fait pas peur :
« Un syndicat doit écouter tout le monde, mais pas entendre tout le monde : seulement ceux qui sont censés. »
Malgré leurs désaccords, les deux s’entendent sur les objectifs : gommer les clichés et la mauvaise réputation du marché et redevenir une institution de Montreuil.
Ali et ses tapis. / Crédits : Pauline Gauer
Deux puciers ont réussi. Hakim fait des sandwichs algériens et d’autres spécialités à l’entrée du marché. Ali vend lui des tapis dans la même rangée. Les deux sont devenus des stars sur TikTok et Instagram, plus connus sous les pseudos Les Saveurs de Yemma et Tapis du Monde. Leurs stands ne désemplissent jamais. « Ils ont rameuté un monde qu’on n’avait pas réussi à ramener depuis des années », constate Alex, impressionné. Des influenceurs mode et lifestyle vlogent et conseillent les fripes. Sofiane les a vu se filmer sur son stand :
« Avec l’écologie, l’inflation, les jeunes reprennent l’habitude de la seconde main. »
« C’est assez anachronique de parler de la fin des puces », contextualise Manuel Charpy, l’historien des fripes. Les Grands magasins du Paris d’Haussmann devaient déjà les achever. Ou la mondialisation et Internet. Le marché s’est toujours adapté. À chaque crise, il a regagné en popularité, comme en sortie de guerre ou en récession. Aujourd’hui, les commerçants voudraient rendre les Puces de Montreuil Patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, comme les Puces de Saint-Ouen. Pour les protéger et mettre fin aux débats. Les plus convaincus répètent :
« Ceux qui veulent nous voir partir ne sont que de passage. Nous on est là, on était là, et on restera là. »
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