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    12/04/2023

    Un empire acheté avec l’argent des autres : 67 milliards de dette

    La méthode de Patrick Drahi pour devenir riche

    Par Antoine Champagne

    Au fil du temps, un modus operandi récurrent se dessine : acheter bas en empruntant, couper les coûts, drainer les ressources financières des entreprises, avant de laisser plonger les cours pour… racheter à bas prix. Jackpot assuré.

    À la lecture des milliers de documents des DrahiLeaks, une constante ressort : une sorte de « méthodologie Drahi » qui se met en place au fil des différents achats d’entreprises. L’homme d’affaires a recours au financement bancaire et obligataire. Il procède ensuite à des coupes drastiques dans les frais, éventuellement cote l’entreprise sur un marché et dégage de grosses liquidités. Puis, vient le temps des vaches maigres. À force de couper dans les coûts, les entreprises sont moins efficaces, leurs résultats sont à la peine, souvent par manque de stratégie entrepreneuriale. Leurs ressources financières sont par ailleurs massivement aspirées par le groupe… Bref, lorsqu’elles ne valent plus grand-chose, c’est le moment de les racheter à bas prix et de noyer les éventuels anciens investisseurs, trop contents de récupérer une partie au moins de leur mise.

    Règle 1 : Acheter avec l’argent des autres

    Patrick Drahi aime le rappeler, il n’a pas reçu sa fortune en héritage. Pour constituer son empire, il a dû s’appuyer sur l’argent des autres. Pour investir, il a massivement recours au « leveraged buy out » (LBO), un type de montage financier permettant le rachat d’une entreprise en ayant recours à de l’endettement. Ainsi quand il rachète SFR en 2014 pour 13,34 milliards, il contracte pour au moins 9 milliards d’euros de dette. Une méthode qu’il a reproduite à plusieurs reprises, au point de cumuler sur son groupe près de 70 milliards d’euros de dettes bancaires et obligataires.

    Dans le cas de l’emprunt bancaire, il s’agit de lever des fonds via le crédit auprès de consortiums de banques. Dans le cas du financement obligataire, ce sont des titres qui sont proposés à l’achat, une dette sur l’avenir mais « vendue » cette fois aux investisseurs spécialisés (caisses de retraite, assurances, banques, fonds d’investissements variés) qui cherchent du rendement, notamment dans un environnement de taux nuls comme cela a été le cas pendant les dernières années. Ici, le taux de rémunération offert reflète les points faibles de l’entreprise. Autour de 6 à 10 %.

    Avec ce taux élevé, Altice « paye » le risque supporté par les investisseurs : les obligations ont un rang de remboursement moins bon que les remboursements bancaires en cas de défaillance. Par ailleurs, l’analyse de risque crédit est plus diluée : les investisseurs qui parient sur les obligations se fient essentiellement au travail des agences de rating et aux banques d’investissement qui leur présentent les dossiers. Or, celles-ci ont un intérêt financier à ce que le placement des titres se fasse sans accroc. Elles sont rémunérées pour cela.

    A l’inverse, lorsque les banques décident de prêter, même au sein d’un consortium, elles font un long travail d’analyse de risque pour se prémunir d’un défaut de remboursement, les montants étant par ailleurs bien plus importants. Il est donc virtuellement plus simple de recourir à l’émission d’obligations qu’au crédit bancaire.

    Si l’on se replace dans une perspective historique, Patrick Drahi a bénéficié sur le secteur des télécoms d’un environnement très propice. Les achats dans ce secteur sont intervenus à une époque particulièrement intéressante : Internet et les téléphones portables démarraient. Le besoin d’équipement dans ce domaine a littéralement explosé

    Règle 2 : Réduire les coûts

    Une fois les entreprises acquises, l’homme d’affaires procède à une violente réduction des coûts. Depuis qu’il a mis la main sur SFR, le nombre de salariés de la boîte a presque été divisé par deux. Et le service client a quant à lui été délocalisé au Maroc. Cela s’est traduit par une création de valeur immédiate et gratuite. En effet, la réduction des coûts permet de dégager, d’un point de vue comptable, un meilleur résultat. Or, les entreprises sont valorisées, justement, sur leurs résultats.

    Règle 3 : Introduire en bourse

    C’est dans cet environnement de marché très favorable que Patrick Drahi a introduit en bourse des entreprises qui ont soudain été valorisées pour des montants monumentaux. Bien plus importants, évidemment, que leur valeur d’achat. Altice USA arrive par exemple sur le marché américain en juin 2017. Patrick Drahi n’avait placé qu’une partie de la filiale américaine. Il conservait 70,3 % du capital mais surtout 98,3 % des droits de vote, tandis qu’Altice USA était soudain valorisée plus de 20 milliards de dollars.

    Règle 4 : Quitter la bourse

    Quand les cours chutent (dans un environnement de marché baissier, ou parce que les investisseurs perdent confiance), le milliardaire rachète. C’est ce qu’il a fait lorsqu’il a sorti le groupe Altice de la cote sur le marché d’Amsterdam. En clair, une introduction en bourse génère un cash très important, qui peut par ailleurs servir à racheter d’autres entreprises, à rembourser des emprunts précédents ou à générer des dividendes. Et lorsque pour une raison ou pour une autre le cours s’effondre, c’est le moment de racheter les titres (le flottant) en faisant appel à l’emprunt. Et pourquoi pas revenir sur le marché un peu plus tard ?
    Lorsqu’il annonce le rachat du flottant en 2020 (les actions qu’il ne détient pas), le cours est à son plus bas historique à 3,30 euros. Lors de son introduction, l’action était à 28,25 euros.

    Altice USA est donc la dernière grosse entreprise du groupe encore cotée. Patrick Drahi va-t-il la faire sortir du marché des actions américain ? Lors de son introduction en bourse en 2017, Altice USA valait autour de 22 milliards de dollars. Aujourd’hui, sa capitalisation boursière est de deux milliards. Par ailleurs, si l’on se fie aux derniers comptes qu’elle a publiés, la dette nette consolidée de la boîte atteint 24,24 milliards de dollars, son ratio dette nette/EBITDA (1) ressortant à 6,4. Cette dette d’Altice USA est à ajouter à celle du secteur télécom du groupe Altice, évoquée dans cet article [LIEN] et représentant selon l’agence Moody’s 42 milliards. On atteindrait donc plus de 66 milliards simplement pour le secteur télécom.

    Au fil des ans, Patrick Drahi a utilisé tous les outils et les ficelles mis à la disposition par la finance moderne, l’effet de levier bancaire et obligataire (LBO), les introductions en bourse au plus haut, les OPA quand le cours est bas, l’optimisation fiscale élevée au rang d’outil industriel…

    Règle 5 : Se rembourser sur les dividendes

    Lorsque Altice sort de la cote aux Pays-Bas, Patrick Drahi emprunte au nom d’Altice pour payer le flottant, puis fait remonter du dividende, ce qui permet de rembourser la dette contractée pour pouvoir acquérir personnellement la totalité des titres. La dette accumulée (67 milliards en 2019 selon les documents consultés, et non pas 50 milliards comme il l’indiquait aux sénateurs français) n’a pas vocation à être remboursée. Il la refinance. Les banques sont d’ailleurs probablement très contentes de récupérer des honoraires, tout en lorgnant sur les promesses de frais liés aux fusions et acquisitions et autres introductions en bourse. Tout baigne dans l’huile de noix de coco poussant des cocotiers de Nevis…

    (1) Il s’agit d’un ratio financier qui mesure la capacité d’une entreprise à rembourser ses dettes. Ce ratio calcule le montant de la dette d’une entreprise par rapport à son bénéfice avant intérêts, impôts et amortissements (EBITDA).

    Illustration de Une de Caroline Varon.

    Contacté, Patrick Drahi n’a pas répondu à nos questions

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