Tribunal de Laon (02) – Le palais de justice a des airs de couvent. Après tout, c’est l’ancienne demeure des évêques dans cette ville du Nord. Mais dans la salle d’audience qui accueille le procès d’aujourd’hui, la confession n’en a pas été favorisée. « C’est le moment où je vous pose une question traditionnelle : est-ce que vous reconnaissez les faits de violence ? », demande le juge aux cheveux gris. « Non », répond le policier Aymeric-Bertrand M.
Ce gardien de la paix chauve de 43 ans comparaît pour avoir cassé le bras de Clément, le 13 avril 2019, à Saint-Quentin (02). StreetPress avait rencontré la victime il y a plus d’un an. Clément a raconté comment, après un différend avec deux hommes, il a été interpellé et a reçu des coups du policier. Au commissariat, alors qu’il était menotté dans le dos et plaqué au sol, un agent lui aurait lancé : « Regarde comment on casse un bras », avant de le lui remonter volontairement jusqu’à ce que l’humérus droit, l’os qui va de l’épaule au coude, craque. 60 jours d’ITT avaient été donnés à Clément.
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La version des policiers est évidemment différente. Clément se serait cassé le bras tout seul, lors d’un choc. Un événement qui, selon Aymeric-Bertrand M., aurait pu avoir lieu sur la voie publique lors de l’interpellation ou au commissariat. « Je ne sais pas si on pourra un jour savoir où il a été blessé. Mais je suis sûr que ce n’est pas à cause de moi ! » a lancé l’agent en fin d’audience. Il était à peu près entendu par toutes les parties, que Clément avait été blessé au commissariat, jusqu’à présent.
Une nouvelle expertise
Cette défense a été balayée en brèche par une expertise et l’IGPN elle-même. La police des polices avait écrit dans son enquête que, si elle ne pouvait « déterminer avec certitude l’origine de la fracture du bras », elle considérait la blessure comme « incompatible avec une chute inopinée sans intervention extérieure décrite par les fonctionnaires de police ». Sauf qu’une seconde expertise, demandée par le tribunal de Laon, va, elle, accréditer cette thèse. Pour ce nouvel expert, la fracture du bras de Clément serait due à « un choc direct » et aurait eu lieu lors d’une chute.
Face aux trois juges du tribunal, le policier incriminé et les deux agents témoins cités par la partie civile s’engouffrent dans la brèche. « Ça a fait un bruit sourd », assure Aymeric-Bertrand M., qui ponctue beaucoup de ses phrases par le mot « voilà ». Olivier B., le chef de poste à l’époque, affirme également avoir entendu le bruit « d’une personne qui tombe ». Par contre, il ne se « souvient pas » avoir entendu Clément crier et désigner Aymeric-Bertrand M. en disant : « Il m’a cassé le bras ». Mais pour l’avocat de la défense, les collègues d’Aymeric-Bertrand M. ne le protègent pas car « le corporatisme n’existe plus » dans la police :
« Le métier est devenu tellement difficile qu’on ne se soutient plus. »
Derrière lui, quelques policiers sont là, en soutien, sur les bancs au cuir bleu pétrole. « Ce sont tous ceux qui m’ont insulté au commissariat », certifie Clément. De son côté, des Gilets jaunes sont venus, dont Mélanie N’goye Gaham, membre des Mutilés pour l’exemple.
Incohérences
Dans sa plaidoirie, maître Hector Cerf – un des deux avocats de Clément avec maître Eddy Arneton – pointe les contradictions entre les prévenus, leurs versions à l’audience et celles face à l’IGPN, « et il y en a beaucoup ». Il déclame :
« Lorsqu’ils sont devant les enquêteurs, Aymeric-Bertrand M. ne parle pas de choc, aucun ne parle de bruit. Maintenant, tout le monde dit qu’ils l’ont entendu ! »
Pour le baveux, la thèse de la « simple chute » dans le commissariat « n’est pas crédible ». Il enjoint le tribunal à « donner de la crédibilité » aux déclarations de son client « qui ont été constantes, et ça a été le seul ». « Sans expertise, vous pouvez quand même amener un peu de bon sens », souligne-t-il.
Même le président du tribunal s’est souvent interrogé face aux non-dits. « Personne n’est en capacité de dire qui a relevé monsieur. Comment vous expliquez ça », a-t-il demandé face à un Aymeric-Bertrand M. qui a botté en touche. Le policier n’a pas semblé concerné par la situation de Clément, qui aujourd’hui encore, a des séquelles de cette blessure. Le clou qui était dans son épaule et qu’on lui a enlevé, a abîmé son tendon. La victime est à l’audience avec un bandage autour du bras, très émue. « Franchement, je n’ai rien à me reprocher. Il chute, certes, mais voilà », a répondu Aymeric-Bertrand M. au juge qui l’interrogeait sur une potentielle remise en cause. Maître Cerf tient lui à rappeler à quel point la vie de Clément « a été brisée » :
« Il ne peut plus lever le bras ! »
Un procureur frileux
Au fil de l’audience, se dessine une nouvelle possibilité, avancée par le tribunal. Celle que la blessure de Clément, difficile à nier, pourrait être due à une violence « involontaire ». Un défaut dans sa prise en charge au commissariat. La faute à pas de chance, mais une faute quand même. Les juges n’ont pas été aidés par un procureur qui n’a semblé que très peu concerné par l’affaire, et n’a posé presque aucune question. Une fois venues ses réquisitions, celui-ci a fait de longues circonvolutions. « Il y a des dossiers où tout est évident, et d’autres où l’éclairage se fait pas à pas. Et à la fin, il y a la vérité judiciaire. Ça ne veut pas forcément dire la vérité. Il va falloir se rapprocher le plus possible de la vérité », a-t-il déclaré. Bien qu’il reconnaisse que « la victime a toujours donné la même version » et qu’il note sa « sincérité », le procureur estime qu’il y a « trop de doutes sur la vérité de cette affaire » :
« Et le doute doit profiter au prévenu. »
Pas de relaxe, pas de condamnation, le procureur préfère ne faire aucune réquisition. Un fait extrêmement rare. Il laisse au tribunal le soin de trancher l’affaire. Le délibéré sera rendu le 9 mars prochain.
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