En ce moment

    06/02/2023

    Ses collègues ont dû s'interposer

    Un policier condamné pour avoir étranglé une femme enceinte

    Par Christophe-Cécil Garnier

    En juin 2021, le brigadier Christophe a violenté une femme enceinte de huit mois. Sur la base du témoignage de ses deux collègues, qui ont largement critiqué son action, la justice l’a condamné à quatre mois de prison avec sursis.

    Tribunal de Bobigny (93) – « Il faut remettre le contexte. Madame était tendue, j’étais tendu, mes collègues étaient tendus. » Face à ces propos du brigadier Christophe, le juge l’arrête aussitôt : « Vos collègues ont dit qu’ils étaient tendus par votre comportement. » Dans la salle presque vide de la 14e chambre correctionnelle, aux briques cramoisies apparentes, ce policier quadra répond des violences qu’il a infligées le 21 juin 2021 à Maryam, une femme alors enceinte de huit mois, à Rosny-sous-Bois (93).

    Si la condition de la victime et les cinq jours d’ITT qu’elle a eus après les faits – avec plusieurs ecchymoses sur le cou ou les bras – heurtent le tribunal, c’est surtout le désaccord des deux collègues du brigadier qui interroge les magistrats. Pas présent à l’audience, le duo a largement critiqué l’action de son chef d’équipage. Jusqu’à ne pas signer le PV d’interpellation qu’il avait rédigé, « pas conforme à la vérité » selon eux. Dans son réquisitoire, le procureur note la situation assez exceptionnelle :

    « C’est quelque chose qu’on voit rarement dans une procédure. Deux policiers qui disent que l’attitude du troisième n’était pas proportionnée, c’est quand même un peu gênant. »

    « Tu fais n’importe quoi »

    Ce 21 juin 2021, alors que les trois agents sont sur une mission de police secours, le brigadier part à la rencontre de Maryam, qui est à une centaine de mètres, en train de se disputer avec un couple de retraités. Très vite, le policier considère que la femme enceinte est « hystérique » et veut lui faire une palpation de sécurité. « Pour quelles raisons ? », demande le juge. « Pour voir si elle n’a pas d’objet dangereux sur elle et imposer l’autorité de la police », répond-il d’un ton martial. Il va même plus loin quand le juge interroge :

    « – Une femme enceinte de huit mois représentait un danger pour vous et vos collègues ?
    - Une femme enceinte qui était hystérique, oui. »

    Face à un tribunal et un procureur qui tentent de lui faire comprendre qu’il aurait pu s’adapter devant une « personne vulnérable », le gardien de la paix lâche :

    « C’est pas parce qu’elle est enceinte qu’elle a tous les droits. »

    L’agent inflige à la mère de famille ce qu’il appelle une « ceinture latérale de nuque », sorte de clé d’étranglement où la tête est sous le bras. « Qu’est-ce que tu fais, t’es fou, elle est enceinte ! », lance alors sa collègue. « Tu fais n’importe quoi », renchérit-elle. Les deux équipiers interviennent pour l’écarter mais le brigadier Christophe aurait tenté de revenir. Face aux enquêteurs, le duo a expliqué qu’ils avaient peur qu’il la mette à terre. « C’est fréquent qu’un policier intervienne contre un de ses supérieurs ? », demande le juge au policier incriminé. L’agent laisse passer quelques secondes, avant de répondre par la négative.

    Une plainte pour rébellion classée

    Après cette interpellation violente, Maryam est ramenée au commissariat et mise en garde à vue. Mais les collègues du brigadier Christophe refusent de signer son PV d’interpellation. Selon eux, il y a eu un « usage de la force disproportionné ». Questionné sur ce point, l’agent reste laconique et rigide :

    « Il faut leur demander pourquoi ils ont dit ça. Une intervention de police, on n’est pas au calme. »

    Agent depuis 17 ans dans la police, le brigadier Christophe est décrit par les collègues qui l’apprécient comme « professionnel » et « un peu solitaire ». Mais il est aussi qualifié « d’instable », « impulsif » et « qui ne se remet jamais en question » par les autres.

    Cette rigidité transparaît à plusieurs reprises au cours du procès, notamment quand il est interrogé sur la version de ses deux collègues. « Peut-être qu’ils n’ont pas vécu cette situation de la même façon que moi. Ils ont un fort égo, on ne s’entendait pas. Je ne vais pas parler à leur place. Je vous ai donné ma version des faits », finit-il par lâcher en fin d’audience.

    L’agent a également porté plainte contre Maryam pour rébellion. Celle-ci a été classée, là aussi après l’action de ses deux collègues qui ont estimé qu’elle n’était « pas justifiée ». « J’ai été poussé. Pour moi, le délit de rébellion est justifié », tente le quadra. Présente à l’audience, sans avocat, la mère de famille soutient que le policier l’a « détruite moralement ». Elle demande des dommages et intérêts de 175.000 euros.

    Quatre mois de prison avec sursis

    Si l’avocate du policier souligne que c’est sa première fois devant les tribunaux en 17 ans, le procureur rappelle qu’à « aucun moment, il n’a cherché à calmer le jeu ». Après deux heures d’audience, les trois juges ont condamné le brigadier Christophe à quatre mois de prison avec sursis. « L’autorité, ce n’est pas nécessairement la force », conclut le magistrat qui prononce la sentence. Sa condamnation n’est pas inscrite au casier judiciaire N°2 – auquel les services publics ont accès. Par contre, le gardien de la paix doit régler 2.000 euros d’amende à sa victime.

    Les six mois d’interdiction professionnelle, requis par le procureur adjoint Loïc Pageot, n’ont en revanche pas été retenus par la cour. Mais le brigadier Christophe n’exercera plus à Rosny-sous-Bois. Il doit prendre un nouveau poste ce lundi dans une branche logistique de la police en Seine-Saint-Denis. Pour l’instant, loin du terrain.

    Image d’illustration d’une Peugeot 5008B de la police nationale, devant le commissariat central du Ve arrondissement de Paris, le 23 février 2021. Photo prise par Asticoco et publiée sur Wikimedia Commons. Certains droits réservés.

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER