Pour la rentrée de septembre, le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de Bretagne a décidé de fermer cinq points de restauration universitaire sur son secteur. Deux cafétérias, une brasserie et une crêperie ont mis la clef sous la porte à Rennes. Une cafet’ a également été supprimée de la carte sur le campus de l’IUT de Lannion. « La situation est alarmante, déjà qu’avec l’inflation les étudiants subissent de plein fouet, alors avec les problèmes de restauration… », lance en colère, Steve Xhihani, vice-président du syndicat étudiant l’Union Pirate pour le Crous de Rennes. Le cas breton n’est pas isolé. Naïm Shili, secrétaire national du syndicat étudiant l’Alternative contextualise :
« Sur ces dernières années, l’investissement de l’État dans la restauration universitaire ne suit pas. Les Crous sont en difficulté financière, donc ils sont obligés de trouver d’autres sources de revenus, ou d’être moins déficitaires. Soit ils refusent d’ouvrir dans certains lieux, soit ils ferment. »
Les Crous sont des établissements publics placés sous la tutelle de la ministre de l’enseignement supérieur et pilotés par le Centre national des œuvres universitaires (Cnous). Ils sont au nombre de 26 et fonctionnent par académie. Ils proposent des prestations de services censées améliorer les conditions de vie et d’études. Ils gèrent par exemple le logement étudiant ou la restauration universitaire. Mais depuis plusieurs années et particulièrement en cette rentrée, les syndicats étudiants sont inquiets. Lieux qui ferment, repas moins garnis, files d’attente trop longues, prix qui augmentent… Parfois, des prestataires privés s’installent au sein même des universités, faute de Crous. La restauration universitaire française est en péril.
Portions réduites, suppléments payants et hausse des prix
En Bretagne, les fermetures à la chaîne ne sont pas les seuls changements qui révoltent le syndicat étudiant :
« La réduction des portions est assez frappante, notamment au niveau de la viande et du poisson. Et si on demande à en avoir plus, c’est en supplément. »
L’étudiant syndicaliste assure également qu’il y aurait moins de diversité dans les entrées, plats ou desserts et des pénuries :
« À 12h45, il n’y avait déjà plus d’entrées dans certains RU. »
Le Crous de Bretagne fait également payer 50 centimes pour un morceau de pain supplémentaire. Les couverts dans les cafétérias sont devenus payants : comptez cinq centimes pour chaque ustensile en bois. C’est aussi le choix fait par le Crous de Lyon : les couverts, mais aussi les gobelets, ou les assiettes sont facturées 50 centimes chacun. Le Crous a également fermé la cafétéria sur le site de Bron (1).
Le
CrousLyon</a> fait également le choix de faire des économies en fermant une cafétéria sur le campus de Bron, créant ainsi une attente interminable sur les autres sites de restauration pour les étudiant·e·s. (3/7) <a href="https://t.co/0l8BDcVd2y">pic.twitter.com/0l8BDcVd2y</a></p>— UNEF Lyon (
UnefLyon) September 19, 2022
Steve Xhihani dénonce également une augmentation des prix dans les cafétérias bretonnes pour les produits hors formule étudiante. « Avant, les pasta box qui étaient en vente étaient faites par le Crous. Maintenant, ce sont les mêmes que l’on trouve dans le commerce et c’est vendu trois euros, alors qu’on peut en trouver moins cher au supermarché. » Il poursuit :
« C’est quand même impressionnant, on a perdu en quantité, et en qualité… L’objectif est de nous faire payer l’inflation. Le nouveau directeur du Crous de Bretagne mène vraiment une politique d’austérité. Le réseau des œuvres ne rentre plus dans son rôle, mais tient une logique d’entreprise. »
Prix d'une pasta box en cafet au CROUS de Bretagne : 3€.
— Steve (@SteveXhi) September 16, 2022
Prix d'une pasta box en grande surface : 2,59€.
Qu'on arrête de nous dire qu'on cherche à faire du profit sur le dos de nos étudiant•es précaires.#generationprecarisee pic.twitter.com/CngquShDSn
C’est pour l’écologie
Le Crous de Bretagne, lui, répond dans un communiqué du 16 septembre 2022 « que ce n’est pas pour des considérations financières, mais bien pour lutter contre le gaspillage (…) que le pain supplémentaire coûte 50 centimes. » C’est aussi pour lutter contre ce fameux gaspillage alimentaire, et « dans un contexte de difficultés d’approvisionnement », et « en connaissance des enjeux climatiques auxquels les étudiants sont particulièrement sensibles » que le Crous de Rennes a réduit les quantités. Il assure pourtant qu’il s’agit d’un « grammage réglementaire ». Pour la réduction de la viande, ce serait une volonté d’augmenter le choix en plats végétariens, « pour répondre à une demande forte des étudiants par conviction ». Il promet cependant de revoir tout ça prochainement.
Il reste plus grand chose dans l'assiette au CROUS de Bretagne.
— Steve (@SteveXhi) September 16, 2022
Qu'on me fasse pas croire qu'on peut tenir toute une journée sans avoir faim.
Pétition https://t.co/4zlicgIwf4 pic.twitter.com/0PirQKHwNN
Même arguments pour le Crous de Lyon, qui précise que si les étudiants ne veulent ou ne peuvent pas payer leurs gobelets en carton, assiettes ou couverts, il leur suffit d’amener les leurs. Via sa chargée de communication, le Crous déclare :
« Les étudiants ne peuvent pas manifester pour le climat le week-end et nous reprocher de mettre en place des mesures pour préserver l’environnement. »
Plus de formule étudiante
Sur le campus de Mont-Saint-Aignan de l’Université de Rouen Normandie, la cafétéria n’a pas fermé mais elle ne propose tout simplement plus la formule étudiante qui permettait, selon un dispositif promu par Macron, à tous de manger pour 3,30 ou un euro pour les boursiers. La formule comprenait auparavant une entrée, un plat et un dessert (2).
Désormais, les étudiants rouennais doivent débourser quatre euros pour des pâtes au chorizo et aux tomates, 2,60€ pour des pâtes végétariennes ou 4,20€ pour un burger avec frites ou frites nuggets. S’ils veulent manger à moindre coût, ils n’ont plus le choix, ils doivent se rendre dans le resto U d’à côté. « Mais la queue est gigantesque. Impossible d’y manger en une heure », explique Kévin, en 3ème année d’Histoire. Depuis la rentrée, lui et ses amis emmènent leur propre repas, mais seulement une dizaine de micro-ondes sont à leur disposition. « J’ai des amis qui vont juste se payer un café ou qui prennent juste un gâteau au distributeur pour leur repas de midi. Et je vois des camarades ne pas manger le midi certains jours. C’est catastrophique. » L’association Cop1, qui distribue des paniers alimentaires aux étudiants et que StreetPress avait rencontrés en décembre 2020, révèle qu’un bénéficiaire sur trois ne prend qu’un repas par jour, et 85% en ont déjà sauté un par manque d’argent.
Sur le campus de Mont-Saint-Aignan de l’Université de Rouen Normandie, la cafet' n'a pas fermé mais elle ne propose plus de formules. Les étudiants doivent aller au resto U, sauf que la queue « est gigantesque ». / Crédits : DR
Naïm Shili du syndicat l’Alternative déclare avoir recensé six Crous partout en France qui ont augmenté leurs tarifs dans les cafétérias. Dans son enquête de rentrée, l’Unef pointait déjà une augmentation annuelle de 6,47 % du coût de la vie étudiante. La Fage, elle, a calculé une augmentation de 7,38 % par rapport à 2021.. Des pourcentages plus élevés que le taux de l’inflation, enregistré à 6,1 % sur un an en juillet.
Pas de resto U et des privés qui s’installent
« On parle beaucoup des repas à un euro pour les étudiants, mais on ne parle pas de ceux qui ne peuvent pas en bénéficier faute de Crous », commente Naïm Shili. Il est difficile pour les syndicats de répertorier tous les sites délocalisés où sont souvent présents les IUT, BTS, écoles d’infirmières ou d’architectures… Où le Crous est absent. Le Cnous, n’a d’ailleurs jamais communiqué ces informations, pourtant demandées par StreetPress. Il y a les endroits où les restos U ont fermé sans être remplacés, ceux où il n’y en a jamais eu ou ceux qui sont fermés pour travaux. À Perpignan par exemple, le campus de Mailly – situé à une dizaine de kilomètres du campus principal – ne dispose que d’une machine à café et d’un distributeur (3).
À Cannes, quand le nouveau campus de la Bastide Rouge a ouvert en 2021, le Crous n’a pas répondu à l’appel à projet pour s’y installer. L’espace cafétéria situé à l’intérieur des bâtiments a été tenu pendant un an par un prestataire privé. Les étudiants avaient profité de la venue de l’ancienne ministre Frédérique Vidal lors de l’inauguration du nouveau campus pour faire entendre leurs revendications. Les plats seuls étaient vendus entre six et sept euros, et la propriétaire de la cafet’ avait voulu faire payer 20 centimes la minute pour les étudiants qui souhaitaient réchauffer leurs plats avec son micro-onde. « On est une bonne partie à ne pas manger tous les midis », racontait une étudiante de l’IUT à StreetPress. En cette rentrée, le Crous a finalement repris sa place. Mais cela semble être surtout le fruit d’une négociation entre la municipalité et le Crous, comme le déclare la ville de Cannes dans un communiqué, qui précise avoir participé à hauteur de 35.000 euros.
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À Montreuil, les étudiants ont vu leur resto U fermer pour faute de rentabilité et de fréquentation insuffisante. Un prestataire privé s’est installé à la place en 2016, avant de déserter lui aussi en juin 2021. Finalement, le Crous est revenu mais il a remplacé le resto U par une cafétéria en janvier 2022.
Les étudiants de l’IUT de Mantes-la-Jolie ont aussi vu leur resto U être fermé pour être remplacé par un réfectoire privé. Même chose à Grenoble, près de l’école d’architecture. « La cafet’ à l’intérieur des murs est tenue par un traiteur privé qui sert des plats cuisinés à sept euros pour les étudiants », déclare Lisa Suchier, étudiante à l’école d’architecture de Grenoble et Membre du conseil syndical de l’association syndicale RER-A (Représentation étudiante et revendications-Architecture). Elle précise que le resto U est trop loin pour pouvoir s’y rendre et y manger en une heure.
Concernant le nombre de fermetures, le Cnous répond ne pas avoir de données disponibles car « les fermetures des restaurants sont pour la plupart temporaires et font l’objet de mise en place de solutions de substitution ».
Le budget de la restauration dans le rouge ?
Le Crous, qui gère 801 points de vente répartis dans 701 lieux de restauration serait-il en difficulté financière comme l’affirment les syndicats étudiants ?
Les Crous sont des établissements publics, qui s’autofinancent pour la majorité de leur budget. Leurs recettes couvrent 70 à 75% de leurs dépenses. En effet, la partie logements étudiants est bénéficiaire. Mais pour la restauration, c’est l’inverse. Son modèle économique est par principe déficitaire puisque son objectif est de proposer une offre à tarif social aux étudiants. Le « ticket resto U » est fixé à 3,30€ depuis 2019 (4), alors que le coût complet de production d’un repas atteint le double, et varie entre sept et huit euros. L’équilibre est censé être assuré pour une partie par l’État, via une subvention, versée chaque année.
Depuis plusieurs années, « la hausse des dépenses en restauration est tendanciellement supérieure à celle des recettes en raison d’importants coûts de fonctionnement (5) dans un contexte de quasi-stabilité du tarif social depuis quelques années », précise un rapport d’information sénatorial de juillet 2021.
La situation sanitaire n’a rien arrangé. Un rapport de l’Assemblée nationale sur le financement des Crous dans le contexte sanitaire en date de juillet 2020 alertait déjà sur la situation et recommandait, au vu de l’augmentation des coûts, une augmentation de la subvention aux Crous.
En tout, le réseau a subi des pertes significatives de près de 150 millions d’euros, en 2020. En compensation, il n’a obtenu de l’État qu’un financement supplémentaire de 80 millions d’euros sur sa subvention (auquel se sont ajoutés 20 millions d’euros au titre du repas universitaire à un euro), selon un avis déposé en 2021 concernant le projet de loi de Finances 2022. Toutes les pertes d’exploitation n’ont donc pas été compensées.
En 2021, les pertes du réseau étaient estimées à 41 millions d’euros. Dans cet avis, le rapporteur rappelle que la subvention pour charges de service public du réseau n’évolue pas depuis plusieurs années : « Cette stabilisation devient très problématique alors que le réseau poursuit son développement se voit confier de plus en plus de missions d’accompagnement social des étudiants », peut-on lire. Dans son rapport sur le soutien de l’État à la vie étudiante, la Cour des comptes recommandait « d’effectuer une revue des missions du réseau du Cnous et des Crous et des dispositifs de soutien à la vie étudiante au regard de l’objectif de lutte contre la précarité étudiante ».
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Logique d’entreprise ?
Sans le soutien à la hauteur de l’État, les Crous sont donc contraints de développer leurs propres sources de revenus. Depuis une dizaine d’années, des structures de restauration rapide ont fleuri aux abords des universités (6). Cafétérias, saladeries, sandwicheries, brasseries et même food trucks ou distributeurs automatiques. En l’espace de dix ans, la part de la restauration rapide dans l’offre globale de restauration universitaire est passée de 25 % à 45 %. Si le Crous parle de mieux s’adapter aux besoins et envies des étudiants, ce sont surtout des services qui permettent de réduire les dépenses. À l’IUT de Lannion, la cafétéria qui a fermé devrait être remplacée par un distributeur automatique. Dans le rapport sur le financement du réseau des œuvres, il est noté que les personnels déplorent que les Crous « soient de plus en plus gérés comme des entreprises, et non comme un service public ».
« Nous, on demande à ce que l’État reprenne son rôle. Le Crous est un service public de la vie étudiante. On voit l’afflux des étudiants en études supérieures, ce qui est une bonne nouvelle, mais il faut que les moyens suivent », déclare Naïm Shili, et précise : « La précarité étudiante n’a pas disparu, on n’a jamais vu autant d’étudiants faire la queue à nos distributions alimentaires. » L’Unef, elle, demande que des restaurants universitaires soient aménagés sur les sites délocalisés et que l’ensemble des étudiants – et pas uniquement les boursiers – puissent bénéficier des repas à un euro. À l’Université de Corse, le Crous, en partenariat avec la collectivité, a fait le choix de proposer cette année deux repas gratuits par jour pour tous les étudiants boursiers, ou non.
(1) Concernant la fermeture de la cafétéria sur le site de Bron, le Crous de Lyon rétorque qu’il n’y a pas de raison comptable mais qu’il s’agit simplement d’une « reconfiguration du campus. »
(2) Le Crous de Normandie répond qu’une formule étudiante est toujours proposée dans un espace à emporter / sandwicherie à côté de la cafétéria, comprenant un sandwich et deux articles (dessert, entrée, compotes, fruits, yaourts). « C’est du froid et on doit manger dehors, ou dans les salles de cours vides, même si on n’a pas trop le droit », répond l’étudiant de Rouen. Il explique également qu’il ne reste souvent pas suffisamment de sandwich en rayon pour tous les étudiants.
(3) Le Cnous précise qu’un « projet d’ouverture de cafétéria sur le campus du Mailly à Perpignan est en programmé et financé. »
(4) Ce tarif a d’ailleurs connu une hausse régulière depuis 2012 où il était initialement fixé à 3,10€.
(5) Principalement à cause de la masse salariale, mais aussi aux facteurs de hausse partagés par l’ensemble des acteurs de la restauration collective (loi EGalim – qui prévoit qu’au plus tard le 1er janvier 2022, les repas servis dans les restaurants collectifs dont les personnes morales de droit public ont la charge comprennent au moins 50% de produits de qualité, et au moins 20% de produits issus de l’agriculture biologique – et hausse du coût des fluides frigorigènes)
(6) Au sujet du remplacement des restaurants universitaires par des dispositifs moins coûteux (cafétérias, food trucks) le Cnous répond que La restauration « est un enjeu majeur » et que « les équipes des Crous sont mobilisées pour permettre aux étudiants de bénéficier d’une offre de restauration de qualité et diversifiée tout en maintenant des tarifs à 3,30€ pour tous les étudiants ou à un euro pour les étudiants boursiers ou en situation de précarité. (…) Les dispositifs mis en place sont adaptés au contexte et aux besoins des étudiants. »
Photo de Une issue de Wikimedia Commons – © UNamur – Benjamin Brolet.
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