L’intérêt pour la prison a commencé dès l’enfance pour Matthieu Quinquis. « La prison de Brest était à côté du boulot de mon père, donc on passait régulièrement devant ce grand bâtiment. Ça m’a toujours fasciné », raconte celui qui a pris la présidence de l’Observatoire International des Prisons (OIP) en mai 2022. Étudiant, il milite déjà au Genepi, association de soutien aux détenus. C’est à cette époque que Matthieu Quinquis fait des rencontres qui vont particulièrement le marquer : « Un mec de mon âge, a été condamné à 20 ans de prison à 19 ans. Il était venu plusieurs fois aux ateliers qu’on proposait. Cela m’a fait prendre conscience que l’année d’avant on était lycéens tous les deux, et qu’on allait prendre des chemins complètement différents ». Il y a aussi la rencontre « déterminante » avec Delphine Boesel, celle à qui il a succédé au poste de président de l’OIP. L’avocate lui fait réaliser que le métier d’avocat ne se réduit pas à la salle d’audience, et qu’il est possible d’être avocat en prison.
Quelques mois après son arrivée à la tête de l’OIP, StreetPress l’a rencontré pour parler des conditions de détention, surpopulation carcérale, et violences pénitentiaires. Il a aussi accepté de revenir sur le « faux scandale » du karting à la prison de Fresnes :
« Je comprends que l’image puisse surprendre, mais pas que ça puisse choquer. Cette image là, il faut l’interroger, et interroger qu’elle dit de la représentation qu’on a de la prison, et de ce qu’on attend de la prison. »
Suite au scandale du karting à la prison de Fresnes, vous avez affirmé dans le Dauphiné Libéré : « Ce ne sont pas les images de Kohlantess qui sont choquantes, mais les conditions de détention… » Comment décririez-vous les conditions de détention dans les prisons françaises en 2022 ?
Dans les maisons d’arrêt, c’est de la surpopulation généralisée, avec des établissements aux taux très élevés. On peut penser à Nîmes, à Bordeaux-Gradignan, ou à des endroits en Outre-Mer. Ce sont des établissements vétustes, sur-occupés, avec des nuisibles, des cafards… qui ne sont pas du tout adaptés à la vie moderne et aux besoins qu’on a aujourd’hui en matière d’hygiène, d’activités, de soins… D’un point de vue matériel, c’est très dégradé.
Pour les établissements pour peines [NDLR : prisons où sont incarcérés des détenus condamnés à des peines d’au moins deux ans], on a des conditions matérielles plus satisfaisantes dû à l’encellulement individuel, mais on a des peines qui s’allongent, de plus grandes difficultés pour sortir de prison avec des exigences toujours plus importantes.
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Suite à ce scandale, l’OIP a lancé un appel pour connaître les conséquences que cela aurait pu avoir sur les personnes détenues et sur des activités qui auraient été annulées ou suspendues… Qu’en avez-vous retiré ?
On a reçu plusieurs alertes de personnes. Aujourd’hui c’est compliqué de savoir. Je sais que, dans un établissement, la venue d’un camion pizza (pour célébrer les 20 ans de la prison) a été annulée. Il semble qu’il y ait des activités qui soient suspendues mais sans réel lien revendiqué ou affiché avec la polémique. Ça interroge…
On craint effectivement une forme d’autocensure des Services Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (Spip), des responsables culturels et des responsables d’établissements. À partir du moment où on a la démonstration qu’une activité est susceptible d’enflammer le pays pendant une semaine, je crois que personne n’a réellement envie de s’exposer. Surtout que l’Administration Pénitentiaire (AP) a un culte de la discrétion – même si elle essaie de s’ouvrir et de se montrer plus qu’il y a quelques dizaines d’années – elle n’aime pas le scandale. Mais pourtant le scandale est quotidien et c’est vers ça qu’il faut tourner les yeux.
Suite à cette polémique, le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a annoncé qu’il y aurait désormais des conditions plus strictes pour les activités en détention. Quelle est votre réaction ?
On attend déjà de savoir ce que dira vraiment la circulaire, pour l’instant c’est une déclaration d’intention. Mais je crois que l’AP devrait avoir d’autres priorités que de chercher à créer des contrôles superflus sur des activités. Par ailleurs, c’est typiquement le genre de choses qui risque de favoriser la censure et l’autocensure. C’est-à-dire que des initiatives ne verront jamais le jour et dont l’idée sera même refoulée par avance. Il y a un risque général d’aggravation de la situation en matière d’accès aux activités.
À Fresnes il y a une dizaine de personnes détenues qui participent à KohLantess mais il y en a 1.900 qui restent sur le carreau. Globalement, les activités en prison restent rares. La loi donne obligation à toutes les personnes détenues de participer au moins à une activité, mais dans les faits, tous les détenus ne peuvent pas participer à une activité parce qu’elles sont en nombre insuffisant, que l’architecture des établissements ne permet pas la multiplication des ateliers, et parce qu’il y a des filtres. L’AP sélectionne les personnes qui participent aux activités.
Au 1er août 2022, la France comptait 71.819 personnes détenues. 1.827 dormaient sur un matelas au sol. Certaines maisons d’arrêt sont surpeuplées à plus de 200 pourcents. Quelles sont les causes de la surpopulation ?
Les entrées, d’abord. Pourquoi il y a trop de personnes en prison ? Parce qu’il y a trop de personnes qui y entrent. Et ça, c’est décorrélé des chiffres de la délinquance. Déjà, il y a un usage immodéré de la détention provisoire. Un tiers des personnes détenues sont présumées innocentes. C’est inquiétant.
Ensuite, il y a le recours à la prison comme peine de référence qui est aussi un problème, avec un allongement des peines qui est constaté dans les chiffres. Depuis la loi de 2019 de programmation et de réforme pour la justice – qui essaye de limiter le recours à l’incarcération pour les peines inférieures à un an – le quantum prononcé s’allonge. Depuis 2019, la durée moyenne des peines a augmenté de 11 pourcents. Et si on est placés en prison pour de plus longues périodes, on y reste aussi de plus en plus longtemps. Les mécanismes d’aménagements de peines se complexifient.
Pour résumer, il y a trois causes à la surpopulation carcérale : on rentre beaucoup en détention provisoire, on reste de plus en plus longtemps, et on a de plus en plus de mal à sortir.
Mettre la prison comme peine de référence, c’est un cercle vicieux ?
Oui en effet, on voit qu’il y a une sur-criminalisation de certains comportements. En réalité, les principales incarcérations tournent autour d’une petite dizaine d’infractions. Stupéfiants, violences, vol, outrage, rébellion… Ce sont des infractions qui viennent chaque jour justifier des mois de prison. Donc il y a effectivement une réflexion à avoir sur ce qu’on pénalise. Depuis cinq ans, 120 infractions punies de prison ont été créées. Cela vient traduire un certain état d’esprit…
Et puis il y a les comparutions immédiates, qui sont des procédures qui sont en réalité des machines à incarcérer [NDLR : la comparution immédiate multiplie par 8,4 la probabilité d’un emprisonnement ferme par rapport à une audience classique de jugement selon une étude de 2013]. Et donc l’utilisation de ces procédures est aussi un gros problème.
Comment expliquer que malgré les différentes alertes et les multiples condamnations de la France par la Cour Européenne des droits de l’homme, le nombre de personnes incarcérées continue d’augmenter chaque année ?
Il y a un référentiel qui est carcéral. Dans le code pénal, la peine de référence c’est la prison. Le problème, c’est que l’intérêt de la prison n’est pas interrogé. Il suffit de mettre les pieds dans n’importe quelle salle d’audience pour entendre les magistrats dire : “On vous a fait confiance, on vous a donné une chance avec un sursis, un travail d’intérêt général, un bracelet”… Et ajouter : “Ça n’a pas marché donc prison”. Mais on n’entend jamais face à une personne qui a été plusieurs fois condamnée à de la prison : “On vous a mis cinq fois en prison, et ça n’a pas marché”. On a une absence de remise en question de ce que produit la prison. C’est un usage banalisé.
Les magistrats – puisque ce sont eux qui décident de l’incarcération d’une personne – ont donc une responsabilité dans la surpopulation carcérale ?
Oui, leur responsabilité est énorme. Ils ont aujourd’hui assez peu de soucis vis-à-vis des conditions dans lesquelles les peines qu’ils prononcent sont exécutées. C’est évident que les magistrats ne sont pas les seuls responsables mais ils ont leur part. Quand on a de grands pouvoirs, on a de grandes responsabilités. Tant qu’on laissera aux magistrats la possibilité de prononcer de la prison dans des conditions aussi faciles, il n’y a pas grand chose qui changera. Alors qu’aujourd’hui les outils existent. Les alternatives à la détention existent.
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Les peines alternatives, comme les bracelets électroniques ou le travail d’intérêt général, peuvent-elles constituer une solution pour lutter contre la surpopulation ?
Cela pourrait être des outils avec un certaine efficacité pour éviter l’incarcération, mais aujourd’hui ce n’est vraiment pas le cas, car leur usage est détourné. Les magistrats s’en emparent, mais pas pour éviter l’incarcération. Ils s’en emparent pour renforcer le contrôle ou la surveillance des personnes.
Par exemple, une personne qui, il y a 15 ans, aurait bénéficié d’un sursis, va être condamnée à de la détention à domicile sous surveillance électronique. On remarque que les magistrats ne s’en servent pas comme un outil de substitution à la prison, ou comme un outil de lutte contre la surpopulation, mais comme une substitution à la liberté.
Est-ce que les violences de la part de surveillants sont des alertes que vous recevez régulièrement à l’OIP ?
Effectivement, cela concerne de très nombreuses sollicitations de la part de personnes détenues ou de leur famille. Il y a les violences physiques mais aussi tout ce qui constitue des violences par les humiliations quotidiennes…
On a sorti un rapport sur ce sujet en 2019, qui vient faire un état des lieux qui était inexistant sur ces problématiques. Ce rapport était accompagné d’un ensemble de recommandations, qui n’ont donné lieu à aucune réaction des pouvoirs publics. La seule réaction qu’on a eu, c’est celle de Nicole Belloubet sur RTL, qui dit : « Ne vous inquiétez pas, lorsque des faits de violences nous sont rapportés, des poursuites disciplinaires sont systématiquement engagées. » De toute évidence ce n’est pas le cas. Trois ans après la publication de ce rapport, les mécanismes qu’on avait identifiés à l’époque sont inchangés, en termes d’omerta, de difficultés d’accéder aux preuves, d’enquête.
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Ce qui inquiète aussi, c’est qu’on s’inscrit dans un mouvement de transformation policière de l’administration pénitentiaire, avec des politiques d’armements qui sont revendiquées. On peut penser à la volonté de doter les personnels de surveillance en LBD dans la Direction interrégionale des services pénitentiaires (Disp) de Lyon, à la création d’équipes spécialisées dans la sécurité (les équipes de sécurité pénitentiaire). Cela vient durcir les confrontations entre les personnes détenues et les personnels de surveillance, dans des situations déjà tendues.
Quelles sont vos recommandations ?
Nous, on réclame un nouveau cadre de conservation des images de vidéosurveillance. On l’a vu sur les violences policières, ce qui a pu faire avancer les choses, c’est la force des images. En prison ces images existent, mais elles ne sont pas disponibles. Or, on ne revendique pas la multiplication des images de vidéosurveillance dans tous les bâtiments, mais on demande que systématiquement, lorsqu’on dénonce des faits de violences, que les images soient conservées.
Aujourd’hui, le cadre de conservation des images de vidéosurveillance est extrêmement défavorable. Elles peuvent être conservées un mois maximum. Il n’y a pas de minimum. C’est-à-dire que dès les trois heures suivant les faits, les images peuvent être supprimées.
On demande à ce qu’un minimum soit fixé et surtout que le délai maximum soit prolongé jusqu’à six mois. C’est essentiel pour la manifestation de la vérité. On demande aussi à ce qu’il y ait une meilleure prise en compte de la parole des victimes et des moyens pour les protéger. Aujourd’hui encore, dans un tribunal, la parole d’un détenu, fut-il victime, ne vaudra jamais celle d’un surveillant. Et ça aussi c’est problématique, parce que forcément d’emblée on part défavorisé.
On demande également à ce qu’il y ait des enquêtes aussi bien administratives que judiciaires qui soient mises en place, et qu’il y ait une meilleure formation des personnels de surveillance en matière de déontologie.
Quels sont les grands combats à venir de l’OIP cette année ?
On repart sur plusieurs campagnes contentieuses sur les conditions matérielles de détention. On travaille aussi sur le prochain numéro de notre revue Dedans Dehors qui sera consacré aux peines nosocomiales. Comme les maladies nosocomiales qu’on attrape à l’hôpital — on rentre sans mais on repart avec – là c’est pareil avec les peines qui sont prononcées en détention parce que la personne est en confrontation avec l’AP. Des gens qui viennent pour quelques mois et qui restent plusieurs années.
On veut aussi travailler sur le régime disciplinaire en produisant un rapport sur ce sujet. Et puis l’enjeu aussi, c’est de continuer à relayer des témoignages, à faire circuler la parole des détenus, de leur famille. Éviter la banalisation de l’indignité des conditions de vie, de la violence de la détention et donc de cultiver l’indignation et l’intolérance de cette situation. Et tout ça mérite des moyens donc c’est aussi une lutte quotidienne pour obtenir des financements et assurer de nouvelles ressources, ce qui n’est jamais évident.
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