26 juillet, 18h – Romin rejoint l’association Utopia 56 sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris. La veille, l’Afghan de 16 ans a été refusé à l’Accueil mineurs non accompagnés (AMNA), le dispositif d’évaluation de France Terre d’Asile. Aujourd’hui, il n’est officiellement, pour la législation française, ni majeur, ni mineur. Ce qui veut dire qu’il n’a plus accès aux centres d’hébergement. À la rue, Romin (qui se prononce « Romine ») est accueilli par Luc, responsable du pôle mineurs isolés d’Utopia, avec deux autres jeunes issus de Côte d’Ivoire. Arrivé en France il y a un mois, il confie ne plus rien ressentir depuis :
« Je n’ai plus aucune émotion. C’est la première fois que je suis confronté à ce genre de situation. »
Romin fait la queue entre les familles pour la distribution de nourriture : de la soupe, deux morceaux de pain et un yaourt. Pas la France qu’il imaginait. Le regard vide, il accepte un kit d’hygiène et une couverture donnés par Utopia 56, avant d’emprunter le métro avec les bénévoles. Ce soir, l’ado afghan et les deux autres jeunes rejoindront le campement Liberté à Ivry-sur-Seine. Installé en mai, il comporte depuis deux mois environ 70 mineurs isolés.
Un mineur isolé reçoit un kit d'hygiène, fournit par Utopia 56. / Crédits : Pauline Gauer
Dans le métro, les mineurs isolés sont dévisagés. / Crédits : Pauline Gauer
Pas de minorité, pas de logement
Sans carte de transport, ils sont obligés de frauder le métro, une lettre d’Utopia 56 justifiant leur statut en cas de contrôle. Dans la rame, ils sont dévisagés par quelques personnes qui se questionnent sur les caisses de nourriture et les couvertures. Descente à Liberté. Romin regarde plusieurs fois son téléphone, en quête d’appel. Depuis son départ de son pays, le mineur à la silhouette élancée ne sait pas où est sa famille, « s’ils sont en vie ou non » :
« Je sais seulement qu’ils ont aussi fui l’Afghanistan. Je n’ai plus de nouvelles depuis. J’attends la moindre notification, le moindre message. »
Romin est arrivé en France seul, avec un vêtement de rechange dans son sac à dos. Ses papiers ont brûlé dans un incendie en Afghanistan. Ici, il ne peut donc pas justifier sa minorité. Le 27 juillet, il est allé faire un recours au tribunal, accompagné d’un membre d’Utopia 56, pour justifier de son statut de mineur.
Le campement de Liberté, au coucher du soleil. / Crédits : Pauline Gauer
C'est la première fois que Romin dort dans une tente, dehors. / Crédits : Pauline Gauer
Après avoir marché une vingtaine de minutes, Romin et le reste du groupe atteignent l’un des ponts Nelson-Mandela. En bas des escaliers de béton en colimaçons, ils découvrent le campement. Un amas de plus de 60 tentes bleues et grises, sur un sol pavé au bord de la Seine, côtoie un seul arbre qui se dresse au milieu.
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Dormir dehors pour la première fois
Au total, plus de 70 jeunes hommes dorment sur place, à l’écart de Paris. À l’horizon, aucune fontaine d’eau à moins de deux kilomètres, aucun sanitaire et le premier commerce est à 15 minutes de marche. Ils sont seuls au monde dans un campement invisible depuis la route. Romin et ses deux comparses sont accueillis par les mineurs isolés déjà installés sur le lieu. « Je me sens tout de suite un peu mieux d’être dans un endroit avec du monde », raconte l’adolescent, sa couverture dans les bras :
« Je n’ai nulle part d’autre où aller. Même si c’est la première fois que je dors dans une tente, c’est rassurant d’avoir une sorte de toit, une couverture et de quoi manger. »
Steve, un Camerounais au polo blanc, l’aide à monter sa tente dans un recoin du campement, contre un mur qui l’abrite du vent. Le jeune homme à la barbe courte est arrivé à Liberté il y a un peu plus d’un mois, après qu’on lui ait refusé sa minorité. Malgré ses 16 ans, il a très vite été considéré comme un grand frère car il semble toujours à l’écoute et prêt à aider. À l’approche de l’orage, Steve se charge de protéger les cagettes de nourriture dans sa tente :
« J’essaie d’être là pour les gens. Même si on ne se connaît pas, on se comprend très vite. On a tous un peu vécu la même chose ici. »
Steve range les cartons de nourriture dans sa tente pour les protéger de la pluie. / Crédits : Pauline Gauer
Steve aide Romin à monter sa tente. « J’essaie d’être là pour les gens. Même si on ne se connaît pas, on se comprend très vite. On a tous un peu vécu la même chose ici. » / Crédits : Pauline Gauer
Il sourit mais dans ses yeux se ressent la détresse psychologique de la traversée et des mois précédents passés dans un camp en Italie. Il est toujours avec des écouteurs dans les oreilles sans jamais mettre de musique, ça l’aide « à ne pas penser ». Steve explique être devenu « transparent » depuis son arrivée en Europe. Sans ses papiers, qu’il peine à envoyer depuis le Cameroun, il n’est pas en mesure de prouver son âge et d’accéder à un logement ou des distributions alimentaires des autorités, ni de demander l’asile en tant que personne majeure. Alors, il tente de s’occuper comme il peut avec les réseaux sociaux sur son téléphone.
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L’avenir
Le soleil disparaît derrière les immeubles d’Ivry, donnant à la Seine des tons rosés. Les moustiques se multiplient au rythme des arrivées sur le campement en fin de journée. C’est maintenant une quinzaine d’adolescents qui se rassemblent sur les pavés au bord de l’eau. Mehdi (1), 17 ans, diffuse des clips de rap sur son téléphone « pour mettre l’ambiance ». Originaire d’Algérie, il a appris à rapper mais son vrai truc, c’est la pâtisserie. Chez lui, il travaillait dans une boulangerie, maniant la pâte comme il le fait avec les mots. « Tout ce que je veux, c’est du travail. Je suis venu ici pour ça », raconte le jeune homme au grand sourire, assis sur son vélo.
Mehdi garde sa télévision dans sa tente, pour le jour où il aura une maison. / Crédits : Pauline Gauer
Installé en mai, le campement Liberté d'Ivry-sur-Seine comporte depuis deux mois environ 70 mineurs isolés. / Crédits : Pauline Gauer
Il s’ennuie, comme la plupart des mineurs du campement. Il n’y a rien à faire à part visiter la ville. Mehdi raconte : « Je connais Paris comme ma poche. La Tour Eiffel, Châtelet, toutes les petites rues n’ont plus de secret pour moi ». Fatigué de n’avoir ni papiers ni argent, Mehdi a commencé à voler afin de pouvoir « devenir riche ». Dans sa tente se trouve par exemple une télévision, et tant pis s’il n’a rien pour la brancher. À force d’être abandonnés et invisibles, certains ados comme Mehdi sont entraînés dans les réseaux de trafic, la consommation de stupéfiants ou le vol. Mehdi chuchote que la provenance de cette télévision doit rester un secret :
« Pour l’instant, elle est dans ma tente. Mais le jour où j’aurais une maison, je la mettrais dans ma chambre. »
(1) Les prénoms ont été changés.
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