Rue de Meaux, Paris 19e – Daaou, 67 ans, monte péniblement les escaliers de bois jusqu’au deuxième étage. Les murs s’effritent et les toilettes sèches communes dégagent une odeur nauséabonde. « Il n’y a plus de chasse d’eau depuis quelque temps », soupire ce franco-algérien arrivé en France en 1979. Dans son appartement de 13m2, les vitres cassées sont recollées avec du scotch et au plafond, de grandes taches de moisissure se développent. C’est le seul logement « qui a bien voulu de lui ». Bien que Daaou paie 550 euros par mois, ses demandes de rénovation n’ont jamais été entendues :
« Parfois, je regarde la télévision et je vois passer un rat. Je l’ai signalé plusieurs fois aux gérants et ils m’ont dit d’acheter un produit pour les tuer. C’est tout ce qu’ils ont fait. »
Daaou, 67 ans, paie 550 euros pour ce logement insalubre. / Crédits : Pauline Gauer
Ces conditions de vie, les 29 locataires de l’Hôtel du Marché les endurent depuis des années. L’immeuble est ce que l’on appelait à l’époque un « garni », un hôtel qui proposait de petites chambres meublées à la location. Selon l’association Droit au logement (DAL), ce garni est géré par la même famille depuis les années 1920 et détenu par la société immobilière Genestone. « Il y a un an, ils ont engagé une procédure de vente avec une autre société immobilière, à condition que les locataires aient quitté les lieux avant le 30 juin 2022 », croit savoir Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du Dal.
L'immeuble est ce que l’on appelait à l’époque un « garni », un hôtel qui proposait de petites chambres meublées à la location. / Crédits : Pauline Gauer
Habitants dans la loge de l’immeuble, les gérants « font tout pour faire partir les locataires », raconte Daaou. Ils ont la main sur la gestion de l’eau chaude, de l’électricité et du courrier. Si bien qu’ils menaceraient, selon le retraité, de priver de leurs ressources les locataires mécontents.
Les murs de la cuisine de Daaou s'effritent. / Crédits : Pauline Gauer
Le plafond de Daaou est recouvert de moisissures à cause de l'humidité. / Crédits : Pauline Gauer
La même situation depuis 30 ans
La majorité des locataires est plutôt âgée et généralement sans soutien familial, comme Marcel, 86 ans. Sur les murs, des tapisseries florales apportent un peu de couleur à la tristesse de l’endroit. Chaque coin de l’espace est aménagé avec précision : un petit réchaud pour la cuisine posé sur le frigo, une table, une chaise et un coin salle de bain séparé par un rideau fleuri. Il réside dans la même chambre depuis 26 ans. Pas vraiment par choix : le retraité n’a pas assez de ressources pour trouver un autre logement. « J’ai vu cet endroit se dégrader, mais je n’ai pas d’autre endroit où aller. Ma fille refuse de venir me rendre visite, elle dit que c’est sale », raconte le doyen de l’immeuble. Assis sur son matelas, il regarde une punaise de lit passer à côté de sa main :
« On a appris à vivre avec ces bestioles. J’ai mis du produit anti-punaises, mais elles reviennent toujours, alors j’ai laissé tomber. »
Marcel, 86 ans, réside dans la même chambre depuis 26 ans. / Crédits : Pauline Gauer
Marcel a de l’arthrose à sa jambe droite qui l’empêche de marcher. Il se fait livrer ses courses, mais n’a pas trouvé de solution pour son hygiène. Il n’y a qu’une seule douche commune dans le bâtiment, située au premier étage, pour plus d’une trentaine de locataires. « Pour l’instant, je ne peux pas y descendre, ni pour me doucher ni pour aller aux toilettes », raconte-t-il. Il doit improviser en se servant de son petit lavabo près de la fenêtre.
« J’ai vu cet endroit se dégrader, mais je n’ai pas d’autre endroit où aller », raconte Marcel. / Crédits : Pauline Gauer
Marcel est contraint de dormir sur un matelas infesté de punaises de lit. / Crédits : Pauline Gauer
La douche commune est elle-même dans un état déplorable. « Elle n’est jamais lavée, le sol est vraiment sale », raconte Daaou, qui doit se rendre tous les jours à la loge pour demander la clé de la salle d’eau. La cabine ne ferme pas, il manque des carreaux de porcelaine et l’humidité envahit les murs de la pièce.
Il n'y a qu'une douche commune pour l'ensemble des habitants. / Crédits : Pauline Gauer
Les sanitaires partagés par les locataires sont dans un état déplorable. / Crédits : Pauline Gauer
Bloqués dans cet hôtel sans réelle solution
Pour 100 euros de plus par mois, quelques locataires possèdent une salle de bain dans leur appartement. Halli, qui vit au 5ème étage, habite dans l’hôtel depuis 2013. Pourtant, dès son arrivée, il a signalé l’état insalubre de sa douche. « Les tuyaux fuient en permanence. Les carreaux de la douche sont cassés et tous les murs sont moisis », raconte le retraité, handicapé à 90%. En effet, il n’y a pas d’aération pour évacuer l’humidité, à moins que l’on ne prenne en compte la vitre manquante de la fenêtre qui n’a jamais été remplacée. L’appartement d’Halli semble partir en miettes. À ses pieds, il a utilisé des dizaines de rouleaux de scotch pour « faire tenir les deux parties du sol qui se déchirent ». À son arrivée il y a neuf ans, choisissant de « vivre ici plutôt qu’à la rue », il fait appel à une assistante sociale. Elle est venue faire des photos pour constater l’état de l’appartement. Aucune rénovation n’a été réalisée depuis.
Halli habite au 5ème étage de l’hôtel depuis 9 ans. / Crédits : Pauline Gauer
Dans la petite chambre, Halli est assis au bord de son lit, un plâtre autour de son bras gauche et des piqûres de punaises de lit sur le bras droit. « Je fais tourner le ventilateur en boucle pour rafraîchir la pièce. Si je l’éteins, il fera trop chaud et les punaises vont sortir du matelas pour me piquer », soupire-t-il, fatigué. « J’ai des piqûres partout, tous les soirs ça m’empêche de dormir ». Lorsqu’il demande à faire remplacer son matelas, les gérants lui répondent que l’achat d’un nouveau lit est à sa charge. Selon le Dal, c’est pourtant au loueur de fournir les meubles aux locataires, comme dans un bail meublé classique. Pour autant, les conditions des baux relativement floues témoignent d’une « irrégularité mise en place par les gérants », poussant parfois les locataires à ramener leurs propres meubles dans une chambre certifiée déjà meublée.
Halli a scotché le sol pour empêcher qu'il se sépare en deux. / Crédits : Pauline Gauer
Pour 100 euros de plus par mois, Halli a le droit à une salle de bain, elle aussi dans un état déplorable. / Crédits : Pauline Gauer
Sur les bords de la porte d’entrée, Halli a placé d’autres morceaux de scotch pour empêcher les cafards d’entrer. Meriem (1), arrivée il y a deux ans, utilise le même procédé pour sa chambre de quelques mètres carrés, située au même étage. Elles sont environ cinq femmes à vivre seules dans l’immeuble. Handicapée elle aussi, Meriem a contacté à plusieurs reprises la mairie de Paris, le ministère du Logement et la préfecture concernant l’insalubrité de l’hôtel. Elle réclame des « conditions de vie plus dignes », n’ayant pas d’autres choix que de rester dans cette chambre en attendant la réponse pour un possible relogement. Son mari et son fils autiste sont hospitalisés et lorsqu’elle leur rend visite, ce dernier ne peut s’empêcher de lui souffler :
« Quand est-ce que tu pars de l’hôtel, maman ? »
L'appartement d'Halli est infesté par les punaises de lit. / Crédits : Pauline Gauer
Le plafond d'Halli est lui aussi gorgé d'humidité. / Crédits : Pauline Gauer
Peut-être plus vite que prévu, puisque les habitants sont menacés d’expulsion par les gérants de l’hôtel. Ce jeudi 30 juin, sous la pluie, ils se sont réunis devant le grand bâtiment de cinq étages, en face du marché de Meaux, pour défendre leurs droits et un logement plus digne. Face aux réclamations des locataires, la mairie du 19ème organisera ce mardi 12 juillet une table ronde avec François Dagnaud, maire de l’arrondissement, l’association Droit au logement, Genestone, propriétaire de l’immeuble et un représentant des locataires, afin de discuter du futur de l’Hôtel du Marché. Ses habitants demandent au choix, un autre logement pérenne ou une rénovation des lieux. Bref, simplement un logement digne.
(1) Le prénom a été changé
Contactée par StreetPress, la société Genestone n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.
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