L’extrême droite et les « kits de campagne », une vieille histoire. Jolies marges et petites magouilles avaient valu au Front national un procès retentissant. Reconquête, le parti d’Eric Zemmour tenterait-il de monter discrètement une opération similaire ? Les éléments recueillis par StreetPress ne permettent pas de mettre en lumière des actions illégales mais montrent un système bien huilé qui pourrait permettre au parti d’extrême droite de remplir ses caisses à l’occasion des législatives.
À peine leur candidature officialisée, principalement via Twitter, arme de propagande favorite du chef d’orchestre numérique de Zemmour Samuel Lafont, une foule de candidats investis par le maurrassien ont lancé leurs propres sites internet. Des plateformes toutes identiques propulsées par Nation Builder. Un prestataire spécialisé auquel ont recouru pendant la présidentielle autant Eric Zemmour que Fabien Roussel, Anne Hidalgo ou Yannick Jadot. Mais aussi Donald Trump en 2016, ou encore Jean-Luc Mélenchon en 2017. Bref l’un des leaders du marché, connu pour ses prix bas.
Les dons remontent à Paris
Sur la page d’accueil de ces petits sites, une photo prise à l’occasion d’un meeting de Zemmour et un petit édito du candidat, mais surtout des formulaires. L’un vise à recueillir des mails, la marotte de Samuel Lafont. Le second a pour objectif de collecter des dons. « Grâce à Reconquête, soutenez (insérez ici le nom de l’un des 550 candidats investis par le parti) », vante la trame commune à tous les sites. Et de proposer tout de suite de faire un don en ligne avec des montants proposés allant de 80 à 1.500 euros.
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Sur la rubrique dédiée du site de Sabine Clément, investie dans la 12e circonscription des Yvelines, en haut de la page, un bandeau rouge bien voyant annonce : « Jean-François a fait un don de 150 euros, merci ! ». Jean-François est très généreux. En effet, on trouve la même bannière sur les sites de chacun des candidats Reconquête. Autre argument marketing : la défiscalisation. Comme le veut la règle, les dons sont déductibles à 66% des impôts.
Une autre mention légale est bien plus discrète. Ces versements, bien qu’ils soient effectués sur le site d’un candidat en particulier, n’atterrissent pas vraiment dans sa poche. « Le don est collecté par Reconquête qui soutiendra en conséquence la campagne (du candidat) », mentionnent également les formulaires dédiés, une fois la procédure enclenchée. « En conséquence », c’est-à-dire ? Contactés, plusieurs responsables de Reconquête n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Mais ce n’est pas tout. Un candidat investi par le parti nous indique au téléphone que ces sites internet font partie intégrante d’un « kit de campagne » qui a été « fourni d’office » par le parti. En clair, sans qu’on ne lui ait vraiment laissé le choix, si ce n’est sur la prestation. « Il y a trois formules : la première est à 1.000 euros qui ne comprend que le site et les documents obligatoires », détaille-t-il. À savoir : une profession de foi, des bulletins de vote et quelques affiches. « C’est vraiment peu, autant ne pas faire campagne à ce compte-là », nous glisse ce candidat. « La deuxième est la formule standard à 3.000 euros avec beaucoup plus d’affiches et également des tracts », poursuit-il. « Et, enfin, le kit Reconquête à 5.000 euros. Là, on a le droit de personnaliser nos tracts ». Une grille tarifaire que confirme à StreetPress un autre candidat, breton celui-ci. Il juge les tarifs raisonnables. Mais, est-ce que ces kits sont vendus aux candidats à « prix coûtant » ou est-ce qu’il fait une petite marge pour financer son fonctionnement ?
« Le parti a fait un gros effort pour que la pression financière ne repose pas sur les épaules des candidats », dit Bernard Germain, investi dans la 5e circonscription des Côtes-d’Armor. Car tous ne sont pas assurés de voir leurs frais de campagne pris en charge. Le code électoral précise que seuls les binômes (candidat et suppléant) dépassant le seuil de 5% des voix au premier tour ont accès au remboursement. Prudent, M. Germain a choisi « le kit le plus modeste, car on est en terre de mission ».
Le parti se porte-t-il caution ?
Quid des candidats qui n’atteindront pas le seuil fatidique ? C’est le sujet brûlant. Et, visiblement, ça n’est pas très clair. « Reconquête est caution, Nicolas Bay l’a dit encore récemment », nous assure Bernard Germain. « L’objectif est d’implanter le parti et pas de laisser des gens avec des dettes ». Un autre candidat investi en Île-de-France est moins catégorique. « Le parti fait tout pour nous aider et met plein d’outils à notre disposition, nous accompagne », dit-il. « Ils ont étudié les circos au cas par cas, l’implantation, le nombre de chances, etc. pour nous conseiller la bonne formule du kit », détaille-t-il. « Le parti nous dit qu’il fera tout pour nous aider pour qu’on en soit pas trop de notre poche », en cas d’échec à franchir la barre des 5% des suffrages.
Un cas de figure qui pourrait se présenter dans bon nombre de circonscriptions. « Ils ont investi une armée de néophytes qui vont se prendre une claque et faire moins de 5% », anticipe Thomas Joly, leader des ultranationalistes du Parti de la France. Un mouvement politique qui a soutenu Eric Zemmour pour la présidentielle. « J’ai bien peur que ce soit le cas pour plus de 90% des candidats ». Lui l’affirme : Reconquête n’est pas caution et ne prendra pas en charge les frais engagés par ses candidats qui ne pourront être concernés par le remboursement de leurs frais de campagne.
« Un certain nombre de jeunes notamment à qui on a fait miroiter une place à l’Assemblée nationale vont en être pour leurs frais », dit Thomas Joly, qui anticipe « une vague de désenchantements et de départs ». Il affirme également que son mouvement a tenté d’obtenir des investitures pour ses militants qui sont également encartés chez Reconquête :
« Mais ils ont tous été retoqués. Sarah Knafo, celle qui gère en réalité le parti, nous ostracise. »
Mais la ligne n’est pas coupée. Thomas Joly assure continuer à dialoguer par SMS avec Eric Zemmour (ce que l’intéressé ne nous a pas confirmé cette fois), tout en reconnaissant que ces échanges se sont espacés. Mais il reste clément avec le maurrassien :
« Le problème de Zemmour, c’est qu’il s’est entouré de gens moins radicaux que lui, de gens en ligne avec la dédiabolisation du RN par exemple. Et qui refont les erreurs de Marine Le Pen, tout en lui reprochant de ne pas s’ouvrir à droite… »
« L’Action française s’était investie dans la campagne présidentielle, mais vous ne la verrez plus du tout aux législatives », nous glisse un bon connaisseur du mouvement royaliste. « Leur problème [du côté de Reconquête] c’est surtout de payer les cadres, cette bande de crocodiles qui veulent émarger », ajoute la même source. Un vrai sujet : Le Monde vient de révéler que Grégoire Tingaud planchait sur la structuration territoriale du parti à mi-temps, en prestation, pour la modique somme de 7.200 euros par mois. Thomas Joly enchérit :
« Pendant la présidentielle, ces gens étaient embauchés sur le budget de la campagne. Maintenant, il va falloir les payer. »
Chercher les financements publics
Pour Reconquête comme pour tous les autres partis, les législatives sont déterminantes pour accéder aux financements publics. Concrètement, pour chaque formation ayant recueilli au moins 1% des suffrages dans un minimum de 50 circonscriptions, chaque voix se transforme en espèces sonnantes et trébuchantes. Précisément pour ces législatives : 1,64 euro par an pendant cinq ans, auxquels s’ajoutent 37.400 euros par député éventuellement élu, toujours chaque année.
Si personne ne se fait trop d’illusions sur la manne que pourrait représenter le nombre de « conquérants » envoyés à l’Assemblée nationale, tous s’accordent à dire que le seuil des 50 candidats réalisant plus de 1% des voix est atteignable. Dès lors, un rapide calcul permet d’anticiper de futurs revenus confortables pour Reconquête. Jugez plutôt : si ses candidats font 3% des voix en moyenne, même avec 50% d’abstention, le parti pourrait bénéficier de plus d’un million d’euros par an, au titre du financement public. Soit entre cinq et six millions d’euros sur cinq ans. De quoi prendre en charge les kits de campagne la prochaine fois ?
Contactés par StreetPress, Sarah Knafo, Denis Cieslik et Guillaume Peltier n’ont pas répondu à nos sollicitations.
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