La voix tremblante, Gérardine (1) peine à camoufler ses émotions. « J’avais vraiment de l’espoir. Je pensais que j’allais enfin retrouver mes petits », confie la quadragénaire, avant d’éclater en sanglots. « Si je pouvais me transformer en aigle et voler jusqu’au Congo pour les récupérer, je l’aurais fait. » Après avoir échappé à plusieurs tentatives d’assassinats dans son pays d’origine, Gérardine a fui le Congo pour arriver en France en 2014, où elle obtient le statut de réfugiée quatre ans plus tard. « Un soulagement », qui, pensait-elle, allait enfin lui « permettre de retrouver [ses] enfants restés au Congo ».
Car la réunification familiale, une mesure prévue par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, permet aux réfugiés et aux personnes bénéficiant de la protection subsidiaire en France, d’être rejoints par leurs familles. Alors, depuis 2019, Gérardine tente d’obtenir des visas pour ses cinq enfants adoptifs qui ont entre 12 et 18 ans. Mais le chemin s’avère sinueux.
Après avoir essuyé un refus auprès du consulat de France à Kinshasa, en mai 2021, soit près de deux ans après le dépôt de la demande de visa, la mère enchaîne les démarches pour annuler cette décision. En parallèle, la situation de ses enfants se complique, rapporte la maman :
« Ils n’ont personne là-bas. Avant, ils étaient confiés à des amis à moi. Mais depuis octobre, ils dorment dehors. Je dois les faire venir. C’est urgent ! »
Pour accélérer la procédure, en décembre 2021, elle saisit le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, pour qu’il tranche au plus vite. Mais en face, le ministère ne l’entend pas de cette oreille. Dans son mémoire en défense, que StreetPress a pu consulter, il conteste le caractère urgent. Et déroule tout un argumentaire basé sur… des captures d’écran des comptes Facebook des enfants. « Il ressort de l’application Facebook que les messages que postent les enfants sont loin de faire apparaître une quelconque détresse », peut-on lire.
Tout va bien, ils ont Facebook
Il leur est reproché, entre autres, d’avoir pris la peine de répondre à plusieurs commentaires, d’affiché une nouvelle photo de profil qui ne témoigne pas d’un état de « détresse psychologique », ou encore, d’avoir reçu des vœux d’anniversaire beaucoup trop joyeux au goût du ministère : « Il est difficile de comprendre qu’un tel message puisse être adressé alors que le jeune est supposé être à la rue, en détresse psychologique », questionne-t-il, en faisant référence à un post dans lequel Gérardine souhaite un « heureux, joyeux, fabuleux, somptueux, pétillant, jovial anniversaire », au plus jeune de ses fils.
Un argumentaire qui convainc la juge des référés : elle rejette la demande de Gérardine. « Il résulte de l’instruction et notamment des pièces produites par le ministère de l’Intérieur, que les enfants ne se trouvent pas dans une situation de détresse et d’abandon (…) ayant notamment accès aux réseaux sociaux, et plus particulièrement à l’application sur laquelle ils sont actifs », notifie-t-elle le 12 décembre 2021.
Tout va bien, ils ont Facebook... /
Elle apprend que sa fille a été violée
« Quand j’ai vu cette décision, c’est comme si je venais d’être frappée par la foudre », soupire Gérardine :
« Le même jour, j’ai appris que la plus jeune de mes filles était hospitalisée après s’être fait violer dans la rue. Comment peuvent-ils penser qu’il n’y a pas d’urgence ? »
StreetPress a pu consulter des photographies et des vidéos de la victime. Sur les images, on voit l’enfant de treize ans sur un lit d’hôpital. Une histoire qui hante la mère jour et nuit :
« Je ne peux plus manger, ni dormir, ni me laver… Je n’ai plus de force. Je suis hors de moi ! Elle n’a que treize ans. C’est une enfant. Et je ne peux même pas l’aider. »
Mais malgré les difficultés, elle n’a d’autre choix que de poursuivre sa bataille administrative. Le 30 décembre, elle saisit de nouveau le juge des référés, qui, début janvier, a enjoint au ministre de l’Intérieur de réexaminer la demande de visa des enfants et de prendre une nouvelle décision dans un délai de 48 heures. Avec une astreinte de 300 euros par jour de retard. Une réponse « encourageante » pour maître Fleur Pollono, avocate chargée de l’affaire. Elle ne se fait toutefois pas d’illusion quant au respect des délais :
« Cela ne se fera pas en quarante-huit heures, généralement il faut les saisir pour qu’ils réagissent. »
Sollicité, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite à nos demandes.
(1) le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.
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