En ce moment

    01/09/2020

    Des dizaines de contaminés, des mesure sanitaires insuffisantes

    Coronavirus : les policiers demandent la fermeture du centre de rétention de Mayotte, l’État refuse

    Par Yasmine Sellami

    Au centre de rétention administrative de Mayotte où sont enfermés les étrangers avant leur expulsion, plusieurs dizaines de personnes ont chopé le Covid-19. ONG mais aussi policiers demandent sa fermeture pour raison sanitaire… L’État refuse.

    Les policiers en poste au centre de rétention administrative (Cra) de Mayotte sont inquiets. Plusieurs fonctionnaires sur place assurent que la bâtisse où sont enfermés les étrangers avant leur expulsion voit passer de très nombreuses personnes atteintes du Covid-19. La préfecture refuse de donner des chiffres. Mais « ce qui est sûr, c’est ce que ça se compte largement en dizaines », assure Adric Jamey, délégué départemental d’Alternative Police.

    « Les conditions sanitaires ne sont réunies ni pour interpeller, ni pour placer les gens en rétention. Ça met en danger tout le monde ! », s’agace, sous couvert d’anonymat, un membre de la section locale du premier syndicat de France, UNSA Police. « Il y a presque deux mois, on a même sollicité des responsables politiques de haut niveau pour fermer le CRA », révèle-t-il. Il n’est pas le seul. Début juillet, Alternative Police, avait également écrit à la préfecture pour demander la fermeture du centre de rétention.

    La réponse tombe par courrier. C’est non. Dans le document que StreetPress s’est procuré, le préfet de Mayotte, Jean-François Colombet ne ménage pas les policiers :

    « Je ne peux accéder à votre demande de fermeture du centre de rétention. Je m’étonne d’ailleurs de cette requête alors qu’il est établi que la société dans son ensemble va devoir apprendre à vivre avec ce virus. »

    Les fonctionnaires se seraient vus, selon ce courrier, attribuer 5.000 masques et certains auraient bénéficié d’une formation au respect des gestes barrières. Bien suffisant pour faire face, selon le préfet. Déçu mais pas surpris, Adric Jamey considère que la police mahoraise souffre de l’obsession des autorités pour les renvois (27.000 en 2019). Rien ne doit enrayer la machine à expulser :

    « Dès le début du confinement, il y avait une pression de la préfecture pour reprendre les expulsions. La seule chose qui compte pour eux, c’est faire du chiffre. »

    Une politique qui se fait au détriment de la santé de tous, comme le dénonce Abdel Sakhi, lui aussi du syndicat Alternative Police et membre du groupe d’appui opérationnel (GAO), l’unité d’interpellation de la police aux frontières. « C’est la lutte contre l’immigration clandestine (LIC) qui passe avant tout. Souvent, dès le matin, quand le patron arrive dans les locaux, il nous dit qu’il faut interpeller car il n’y a pas assez de monde au Cra. » Il ne cache pas son malaise et son « sentiment de faire partie d’une police politisée ». Lui-même a attrapé le coronavirus. « J’ai contaminé ma femme et mes enfants. Mais c’est une maladie qui n’est même pas reconnue professionnellement chez nous », s’exaspère le policier.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/lettreprefet_00000.png

    Les policiers avaient demandé la fermeture des Cra vu les cas de coronavirus, le préfet a répondu par la négative et tance le syndicat. / Crédits : DR

    Le syndicat a aussi tenté de faire valoir l’urgence de la situation auprès de l’Agence régionale de santé (ARS). Mais pour sa directrice, l’ancienne ministre écologiste Dominique Voynet, il n’y a pas de débat. Si les policiers sont en danger… C’est avant tout de leur faute :

    « On se rend compte qu’ils boivent des coups ensemble, qu’ils ont du mal à respecter les gestes barrières. »

    Cluster : l’ARS joue le floue

    Le Cra peut-il être considéré comme un cluster ? Selon Santé Publique France – la référence pour le gouvernement – un cluster est annoncé quand « au moins trois cas confirmés ou probables dans une période de sept jours, et qui appartiennent à une même communauté ou ont participé à un même rassemblement de personnes, qu’ils se connaissent ou non. » Le centre de rétention semble donc cocher toutes les cases. Pourtant, la directrice de l’ARS réfute le terme et donne sa propre définition, plus floue : « Un cluster, ce sont des cas groupés avec des liens les uns envers les autres. Ce qui fait le cluster, c’est au-delà du nombre. Ça peut être quatre ou cinq cas, voire plus, ça dépend. Il faut tenir compte de plusieurs choses. Si vous avez deux cas dans deux familles différentes par exemple, ce n’est pas un cluster. »

    À LIRE AUSSI : À Mayotte, les autorités falsifient volontairement l’âge de mineurs isolés pour les expulser

    Même si elle refuse de donner des chiffres, elle reconnaît bien que les malades sont nombreux : « Plus de 10% des personnes interpellées en mer sont positives au coronavirus. » Mais l’ancienne ministre préfère insister sur les mesures mises en place pour éviter que le centre de rétention ne devienne un foyer épidémique. « Des tests sont systématiquement effectués dès que les personnes arrêtées arrivent au CRA », explique-t-elle. « Les cas positifs sont ensuite envoyés vers un centre de soin dans le village de Tsararano », situé sur la plus grande des deux îles qui composent le département. « Testées mais mélangées avant les résultats du test », répond, acide, une source au centre de rétention. Avant d’ajouter voir régulièrement le « mélange dans une même salle, de personnes testées à des dates différentes, parfois jusqu’à deux ou trois jours d’intervalles ».

    Tous dans la même pièce pour attendre les résultats

    Dès juin, le collectif Migrants outre-mer (Mom) et l’Observatoire de l’enfermement des étrangers (OEE), qui regroupent plusieurs associations, dénoncent la mauvaise gestion de l’épidémie au sein du Cra. Les personnes arrêtées, elles, témoignent de leur peur d’être contaminées. Samir (1) a passé quatre jours en rétention administrative. Il est interpellé début août lors d’un contrôle d’identité. La gorge nouée, il raconte son expérience et comment il a été testé par la seule infirmière du centre « après cinq heures d’attente ».

    Les policiers conduisent le trentenaire comorien à l’hôpital de Dzaoudzi, situé à une dizaine de minutes du Cra en voiture. Là-bas, un espace d’une cinquantaine de mètres carrés est transformé en local de rétention administrative (LRA). Une zone destinée à retenir les personnes interpellées lorsque le Cra atteint sa capacité d’accueil maximale. StreetPress s’est procuré une vidéo dans laquelle on peut voir des migrants qui, faute de place, dorment couchés sur le béton en attendant le résultat de leur test. Les retenus sont enfermés dans une grande cage et sont couchés à quelques dizaines de centimètres les uns des autres. Samir en fait partie. « J’ai eu un seul masque jetable à garder pendant 48 heures et pas de savon ni de gel pour me laver les mains. » Humilié et en colère, il confie avoir eu peur de tomber malade. « On était 12 dans une petite salle. On dormait à même le sol, à proximité des toilettes. Elles étaient bouchées et les excréments débordaient. On ne pouvait même pas prendre de douche. C’est sûr, si quelqu’un avait eu le virus, j’aurais été contaminé. »

    Placé au CRA avant d’être testé

    Une peur que reconnaît aussi Abdouali (1). Né à Mayotte, il est Comorien. Arrêté devant le tribunal de grande Instance de Mamoudzou où il se rendait pour régulariser sa situation, il est enfermé pendant 24 heures au Cra : « C’était horrible ! On était traités comme des chiens ! J’ai passé la nuit avec 17 personnes que je ne connaissais pas. Je ne sais pas s’il y avait parmi elles des malades. Ce n’est que le lendemain matin que j’ai été testé. » Le jeune homme, libéré car mineur (la loi française interdit d’expulser des mineurs isolés étrangers), se souvient qu’avec lui se trouvaient deux femmes enceintes inquiètes pour leur état de santé. Seule réponse à leur détresse apportée par ceux qui les gardent selon Abdouali : « Ce n’est pas notre problème. »

    Habituellement si prompte à communiquer sur les renvois, la préfecture reste silencieuse quant au bilan exact des reconduites. « La discrétion est la condition fixée par les Comores afin que les éloignements reprennent », justifie Nathalie Gimonet, la nouvelle sous-préfète dédiée à la lutte contre l’immigration clandestine, en poste depuis mi-août. Elle refuse également de communiquer le nombre de tests positifs, depuis la reprise des expulsions. L’essentiel, c’est que « la machine à expulser rattrape son retard », déplore Dominique Ségard, présidente de la Cimade Mayotte. Une source policière confie que deux bateaux par semaine quittent l’île en direction des Comores voisines. Vendredi 28 août, l’un d’entre eux a encore pris la mer avec, à son bord, 120 personnes.

    (1) Les prénoms ont été modifiés

    Interrogé, le syndicat Alliance police nationale Mayotte confirme la présence de cas de coronavirus au Cra de Pamandzi. Mais pour Bacar Attoumani, secrétaire départemental, « il ne faut pas fermer le centre de rétention mais augmenter le nombre d’expulsions. »

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER