« Je me souviendrais toujours du jour de mon procès, quand la peine est tombée. Je me suis écroulé dans ma cellule. Sur le papier, la date de sortie était tellement loin… » Il est 20h, nous sommes en 2012. Luc (1) apprend qu’il est condamné à plus de cinq ans de prison. « Je venais de perdre ma copine, mon appartement, je n’avais plus rien. Tout s’est effondré », raconte l’homme de 45 ans aux yeux bleus et aux cheveux grisonnants. Luc note alors sur un bout de papier la liste de ses amis et des choses qu’il veut faire en sortant. « Je me suis dit : “Surtout, ne sombre pas, un jour tu sortiras”. » Luc est désormais libre. Mais même après cinq ans dehors, il continue de se sentir « en décalage ». Il fait partie des anciens détenus dits « de longues peines ». C’est ainsi que le Conseil de l’Europe désigne les prisonniers condamnés à plus de cinq ans de prison. Comme Davys, Jo (1) et Karim Mokhtari. Ils racontent à StreetPress leurs difficultés pour se réadapter au monde extérieur.
Sans revenus
Davys, 47 ans, a été condamné à 15 ans de prison pour tentative d’homicide, et a passé dix ans derrière les murs. Il n’a pas oublié le jour de sa sortie, le 7 avril 2020 :
« Je me réjouissais de sortir. La prison, ce n’est pas une vie. »
Mais très vite, l’excitation laisse place à l’angoisse de devoir tout gérer seul. Il faut payer son logement, l’électricité, les assurances, sa nouvelle voiture… Seulement, il n’a plus aucun revenu. Son travail en prison n’était payé que 5 euros de l’heure. Atteint de troubles psychiatriques, il est reconnu handicapé. Mais, à partir de 60 jours d’incarcération, la CAF réduit l’allocation aux adultes handicapés de 30 %. L’aide allouée à Davys est passée de 900 euros à un peu plus de 270 euros par mois durant son incarcération.
Finalement, après dix années enfermées, Davys sort avec un peu plus de 1.000 euros de côté. Et ces allocations, remontées à 900 euros par mois, tardent à tomber les six premiers mois :
« J’ai dû aller aux Restos du cœur, mais j’ai ma fierté aussi ! »
Davys a des rendez-vous avec un psychiatre et une psychologue, ainsi qu’avec son conseiller principal d’insertion et de probation (CPIP). Pierre-Yves Lapresle fait partie de ces personnes chargées d’accompagner les détenus durant leur détention, puis leur réinsertion. Il est également secrétaire général de la CGT Insertion Probation. Pour lui, le passage en milieu extérieur est toujours difficile. Pour ceux qui n’ont pas de possibilité de logement, c’est parfois la rue qui les attend : « Pour un logement, les revenus sont cruciaux. On a rarement des solutions stables à leur proposer. Certains payent des nuits d’hôtel et sont ensuite obligés de faire le 115. » Une situation que le fonctionnaire regrette :
« Il y a un manque de moyens humains. Dans certains centres de détention, il peut y avoir un CPIP pour 130 détenus… »
Écart avec la société
Luc n’avait pas d’endroit où dormir en sortant. « J’ai conservé des amis, mais qui ne pouvaient pas m’héberger. Et ma famille est en province », explique-t-il, les mains croisées posées sur la table. C’est pour cette raison qu’il a dû faire appel au CHRS, le Centre d’hébergement et de réinsertion sociale de Belleville. Elle lui a fourni un hébergement en hôtel et l’accompagne dans ses démarches en ligne, avec les CAF ou les impôts. « En détention on n’a pas Internet. Au fur et à mesure, j’ai commencé à sentir le décalage », insiste Luc. Il découvre aussi les réseaux sociaux :
« J’ai eu vent de Facebook, mais moi, je n’avais pas de compte. Je n’avais jamais utilisé de smartphone. J’étais vraiment perdu et mes amis ont dû me montrer. »
Après une longue peine, tout est à réapprendre. Jo (1), 41 ans, est originaire de Marseille et a l’accent chantant. Il a passé 12 ans en prison au total, pour différentes affaires : violences contre les forces de l’ordre, trafic de stupéfiants, braquage de banque, commanditaire d’un règlement de comptes… À sa sortie, il s’est retrouvé totalement dépendant de ses proches. « Je suis allé à la banque pour ouvrir un compte. On m’a demandé ma feuille d’imposition. Je ne savais pas ce que c’était, on ne déclare pas ses impôts en prison », raconte l’homme au téléphone avant de poursuivre :
« À force de ne pas être à la page, on a peur de passer pour un stupide. »
« Quand je suis entré en prison, on parlait toujours en francs. C’est un exemple bête, mais je n’arrive toujours pas à convertir dans ma tête », explique Jo. « Je n’avais plus la notion des prix. Et je n’avais plus l’habitude de compter le montant avec des pièces et des billets », explique pour sa part Luc.
La notion du temps est aussi bouleversée. « Je me suis rendu compte que la société va très vite. Alors qu’en prison, on patiente, on bouquine », explique Luc d’une voix posée. « Je me sens aussi en décalage dans cette société de consommation et du jetable. En détention, on ne jette rien, on fait attention à tout, jusqu’au papier toilette. » Le conseiller d’insertion analyse :
« Un des problèmes de la prison c’est que c’est un peu infantilisant. Un détenu ne va décider de rien. Il devient une personne prise en charge. Ce sont des choses qui ne préparent pas à la sortie. »
Les réflexes de la prison
Pour d’autres, la prison leur a laissé des réflexes. Des “tocs” qui perdurent parfois durant des années après la sortie. Ne jamais fermer les portes parce qu’on « ne supporte plus d’être enfermé ». Laisser couler le robinet parce qu’en prison, ce sont « des Presto qui s’éteignent tout seuls ». Allumer automatiquement les lumières « parce qu’en prison, les fenêtres sont tellement petites que vous allumez tout le temps », énumère Davys. Jo, lui, se cachait dès qu’il utilisait son téléphone et le glissait dans son caleçon ou à la ceinture. Le téléphone est interdit en prison… Il est aussi sensible au moindre bruit : « Quand on entend appeler ou siffler, on se retourne. De la même manière, quand tu te retrouves dans une grande surface, autour de 100 personnes, ça fait drôle… »
Karim Mokhtari, sorti en 2002 après 6 ans en prison, a mis plusieurs mois à se réadapter à l’espace après des années de vie dans 9m2 :
« Je restais dans une seule pièce, assis, comme en prison sur mon tabouret. »
Les traumatismes de la prison
« La prison est très lointaine mais ça a laissé des traces. Notamment dans mes cauchemars », confie Luc d’une voix basse, avant de préciser :
« Je rêve souvent que je suis à nouveau enfermé. Je me réveille avec l’impression d’être encore dans ma cellule. »
Il raconte la violence, les règlements de comptes « à coups de lames de rasoir », le racket ou les « combats avec du sang partout ». « Tout ce que j’ai vu, ça me reste en tête. » L’ancien détenu a développé une « extrême vigilance » et reste en situation d’alerte permanente : « Dans le métro, je regarde partout pour voir s’il y a un danger. Je regarde les gens qui pourraient venir m’importuner. C’est comme un instinct de survie, comme s’il fallait toujours être prêt à affronter quelque chose. » Il poursuit en souriant : « Une fois, une personne m’a même pris pour un flic ! La plupart du temps, c’est les flics qui font ça, ou les anciens détenus ! » Depuis sa sortie, il continue de voir une psychologue :
« J’ai dû retrouver confiance en moi et dans le contact avec les autres. »
Selon une étude pour le ministère de la Santé et le ministère de la Justice de 2004, le stress post-traumatique est présent chez près de 20% des personnes détenues (contre 7% dans la population générale).
« On garde des petits stigmates qui nous gâchent la vie », ajoute Karim Mohktari, désormais militant associatif sur ces questions de réinsertion. « Par exemple, quand j’attends à la caisse du supermarché, au bout de cinq minutes je suis obligé de me mettre à marcher, de faire des allers-retours, comme dans ma cellule ou dans les sas. » Aujourd’hui, il porte des lunettes qui s’assombrissent au soleil. Des problèmes de vue qui sont apparus après avoir vécu avec un horizon trop proche. « La prison ça touche aussi à l’intimité. Tout est arrêté brutalement. Le rapport au corps devient douloureux avec l’enfermement. »
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L’image d’ancien détenu
Jo a mis du temps à se défaire de cette image « d’ancien détenu » qui lui collait à la peau. À sa sortie, il atterrit dans un petit village où tout le monde est au courant de son passé carcéral. « Je n’arrivais pas à rester anonyme. » Il explique avoir ressenti « la crainte » dans l’attitude des gens :
« J’ai dû partir parce que le regard du voisinage me dérangeait. Et quand vous avez ce regard sur vous, ça vous ramène toujours à ce que vous étiez. C’est comme si vous aviez une étiquette sur le dos. »
Il réside aujourd’hui en Corse où il a ouvert un petit commerce.
« Parfois, je discute avec une personne, je me dis : “Est-ce qu’elle sait d’où je viens ?” » s’interroge quant à lui Luc. Pour Pierre-Yves Lapresle, les longues peines sont un vrai enjeu dans l’accompagnement : « Quand ils arrivent au centre de détention, il faut se poser la question : comment faire pour que ce ne soit pas juste du temps perdu ? » Et ajoute :
« Au-delà d’un certain temps, la peine perd son sens. Surtout pour le faire sortir dans un état aussi précaire qu’il était. »
Luc aimerait tirer un trait sur ces années passées enfermé. Il a enfin trouvé un logement et un travail, malgré son casier judiciaire. Il sera bientôt totalement autonome et pourra enfin quitter sa chambre d’hôtel et le CHRS après cinq années. Il ajoute, avec un grand sourire que l’on devine derrière son masque noir : « Quand j’aurais la clé de mon logement et ma facture EDF, ça signera vraiment la fin. » Et précise : « Mais je sais que je ne serai jamais inséré à 100%, en tout cas psychologiquement. »
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(1) Les prénoms ont été changés.
Image de Une : photo d’illustration « La Maison centrale de Melun, prison pour condamnés à longues peines, sur l’Île Saint-Étienne de Melun, France » par Pline via Wikimedia Commons. Certains droits réservés._
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