Il est midi et Rabza arrive devant la gare de Montargis (45) avec un grand sourire. Ça fait des mois que le rappeur aux 300 abonnés sur Instagram, tanne le YouTubeur Gab Morrison pour venir le filmer dans sa ville de Puiseaux, un bourg de seulement 3.000 habitants. Mais Gab est un homme occupé. À 21 ans, le vidéaste arpente non-stop les cités de France pour proposer un contenu par jour à ses 137.000 abonnés. Le procédé est toujours le même : aller à la rencontre de rappeurs confidentiels qui lui font visiter leurs quartiers. De Marseille à Roubaix, des Balkans au Maroc, il filme avec un simple iPhone, à l’arrache. Peu importe, puisque sa chaîne affiche plusieurs millions de vues, en partie dus à des titres parfois aguicheurs, comme le « Top 10 des quartiers les plus chauds de France ». « On regarde mes vidéos pour le côté street », concède l’intéressé qui vient d’arriver.
Casquette sur la tête et longs cheveux blonds, Gabriel – il refuse de donner son nom de famille, « pour préserver ma famille si je devient très connu », dit-il, ou « s’il y a un problème » – a encore un visage juvénile. « T’as dû voir des dingueries au Mexique ! », lâche le rappeur avide de détails. Gab rit, mais ne développe pas. Réservé, il n’a pas pour habitude de se faire remarquer. Pourtant, en Amérique du Sud, il a filmé un point de vente de drogue rempli d’armes et de crack. En aparté, il raconte, avec un brin d’esbroufe : « Je savais que je pouvais me faire fumer, mais je n’avais rien à perdre. » B2, chroniqueur pour le magazine rap l’Abcdr du son, commente :
« Il pourrait y avoir une sorte de voyeurisme sur la misère dans ses vidéos. Il va dans des quartiers très pauvres, partout autour du monde. Mais dans la relation et la conversation qu’il établit avec les rappeurs, on oublie que l’on est dans des coins très durs et il évite ce biais. »
Débrouillard
Ce 5 juillet, Rabza déambule dans sa ville, à l’aise. Des anecdotes lui reviennent sur son collège où il était le seul élève d’origine maghrébine, sur l’inévitable kebab de la ville, ou sur sa relation avec son père. Le rookie se sent bien devant le dispositif minimaliste de Gab. « On n’est pas forcément habitués aux interviews », explique le rappeur. « Là tu marches, tu respires et en plus t’es chez toi ! » L’IPhone dans une main, le Capri-Sun dans l’autre, le Youtubeur pose ses questions préférées : « Qui sont les rappeurs de la ville ? Quelle est l’ambiance du quartier ? Quel est le club de foot préféré de Rabza ? » En deux heures, le tournage est bouclé. Et il doit filer. L’organisation de Gab est bien huilée :
« J’ai une carte sur Google Maps où je note tous les rappeurs que je repère ou qui me contactent. Dans une même ville, j’essaie de faire trois tournages dans la journée. Et le soir, je fais du montage. »
À 21 ans, le Youtubeur Gab Morrison parcourt les quartiers du monde pour interviewer de jeunes rappeurs. / Crédits : Guillaume Echelard
Gab est rapidement passé par une formation en journalisme. Mais il assure avoir presque tout appris sur le tas : tournage, montage, sous-titre, et même traduction pour les vidéos tournées à l’étranger. Quand il se lance, en 2014, Gab est fan de catch, particulièrement du quadruple champion du monde John Morrison, qui lui inspire son pseudo. Il a 12 ans et publie toutes sortes de contenus sur sa chaîne YouTube : interviews de rappeurs et de sportifs par téléphone, courts-métrages,… « On faisait des vidéos sur les guerres de gangs alors qu’on avait douze piges » , s’amuse son ami d’enfance, le jeune rappeur JVN NGT. Gab Morisson reprend l’histoire :
« J’ai eu mon bac en 2018. Mais l’école ce n’était pas mon truc. À Nogent, d’où je viens, il n’y a rien. »
Gab Morrison et ses amis de Nogent. / Crédits : Guillaume Echelard
En colère, il revient sur le manque d’opportunité dans son Loiret natal. « Les vidéos pour moi, c’était la seule porte de sortie. » Il se met à contacter les rappeurs des quatre coins de la France. La Favé, artiste marseillais désormais proche du YouTubeur, raconte en riant leur rencontre il y a quatre ans :
« Quand il m’a contacté sur Facebook, il avait 17 ans. Je ne l’ai pas pris au sérieux. Mais dix jours plus tard, il était là, à l’heure exacte. Il a pris les billets et l’hôtel à ses frais et s’est rendu tout seul au cœur des Quartiers nord. Rien que ça, surtout à son âge, ça impose le respect ! »
L’étranger
L’après-midi de tournage avec Rabza se conclut tout de même autour d’un kebab. Gab dédicace sans rechigner quelques snaps aux proches du rappeur, puis prend la direction de la gare pour rejoindre Paris. La suite du programme : Junior Bvndo, artiste du XVIIIème arrondissement qui cumule des millions de vues. Depuis quelque temps, le reporter rencontre de plus grandes têtes d’affiche, comme Jarod ou Demi Portion. Mais il garde un objectif en tête :
« Je mettrai toujours en avant des artistes peu connus. C’est pour ça que l’on m’apprécie. »
C’est son objectif quand, à 18 ans, Gab décide d’interviewer tous les rappeurs du Loiret. Et, très vite, le périmètre de ses tournages s’est étendu à la France, puis à l’étranger. En 2019, Gab se rend dans le quartier de la Scampia à Naples, connu pour être aux mains des narcotrafiquants. La machine à vues s’emballe. C’est ensuite sa vidéo à Londres qui fait forte impression, alors que la « UK drill », courant du rap britannique, commence à fasciner l’hexagone. Et il y a eu le Mexique, Cuba, ou en Europe la Grèce et le Portugal. « Ce n’est pas quelqu’un de très scolaire », confie son ami d’enfance JVN NGT. Le Youtubeur part seul, sans permis, apprend souvent les langues sur le tas. « Et pourtant, ça n’a jamais été une barrière pour lui. Il s’adapte très bien et reste serein dans toutes les cités. » L’intéressé réagit :
« Je me suis dit que maintenant, j’étais là pour percer. »
Persévérance
Aujourd’hui, Gab tire tous ses revenus de ses vidéos. S’il refuse de parler salaire, il raconte qu’il a pu rembourser ses dettes à son père, et profite désormais de la vie :
« Maintenant j’ai mon appartement, j’invite mes potes en vacances, je leur paye des grecs ! Je vais dans les pays que je veux. »
Gab Morrison et le rappeur Yaska lors d'un tournage à Bordeaux. / Crédits : Guillaume Echelard
Depuis 2020, il fait aussi partie de l’équipe du site Rapelite. Il anime l’interview Chaise pliante. Kerch, co-créateur du média, commente : « Il a ce goût du terrain, ce culot, cette passion, je n’ai jamais vu ça ! Des Gab Morrison, il n’y en a pas deux. », « Gab a persévéré et a réussi à concilier ses deux rêves : voyager, et parler de rap », sourit JVN NGT, fier. Gab complète, sourire timide aux lèvres :
« Il y a un mois, j’ai reçu un message de Niro pour me dire de continuer. Je l’écoutais avant de commencer. Si on m’avait dit ça en 2017 ! »
Gab sort du train, direction son prochain tournage. Capuche vissée sur son indéboulonnable casquette, toujours avec sa sacoche, le YouTubeur s’engouffre dans la gare de Lyon. Le moment préféré de la journée du reporter reste le soir, quand il rentre à Nogent-sur-Vernisson (45). Il met son portable en mode avion, décompresse, fait du sport, voit ses amis de toujours. « Je me dis qu’il faut que je diminue. C’est très fatigant et il y a une routine. Mais il ne faudrait pas que je prenne la mauvaise décision d’arrêter tout. Au stade où j’ai réussi à arriver, ça serait insultant ! » Ses proches ne s’inquiètent pas pour lui, tout comme Kerch de Rapelite :
« Il est encore très jeune ! Des gens qui vont dans tous les quartiers, il y en a peu. Il a le temps pour évoluer, mais il est là pour rester un petit moment. »
Gab Morrison lors d'un de ses tournages au Portugal et en Albanie. / Crédits : @gabmorrison45
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