« Ils [les nazis] n’ont pas fini le travail », dit l’un des policiers selon un témoin. Au téléphone, ce fonctionnaire de police raconte l’histoire d’une voix posée. Le 9 août 2019, trois gardiens de la paix auraient été la cible de propos racistes et antisémites. Les auteurs des diatribes haineuses sont également policiers, en poste au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris. StreetPress s’est procuré un rapport (à lire en intégralité ici) qui décrit de manière détaillée la scène et a recueilli le témoignage de deux des six gardiens de la paix présents au moment des faits.
Cet après-midi-là, il y a foule dans la salle d’audience 2.05 du TGI. Un gardien de la paix est envoyé pour renforcer une brigade d’escorte. Aux alentours de 13h30, les policiers sont dans le satellite d’attente gardé, une pièce où sont détenues des personnes majeures en attente de jugement. À son arrivée, le nouveau venu engage la conversation. Il explique qu’il escorte habituellement des mineurs vers le bureau des juges pour enfants. Puis ajoute, selon le rapport : « Je n’aime pas trop le tribunal pour enfants car les mineurs ont l’âge des miens. Parfois, je me dis que tout peut basculer. »
D’après les témoins interrogés, V. une policière aux cheveux rouges et au visage acnéique lui aurait répondu :
« C’est de la faute de leurs parents. »
Le nouveau n’est pas d’accord et tente d’argumenter, précise le rapport. La policière aurait ajouté :
« C’est dû à leur origine. Pourquoi ce n’est que des Arabes et des Noirs, que des étrangers ? »
G., un autre policier blanc et chauve d’une vingtaine d’années surenchérit, toujours selon nos témoins :
« C’est dans leur nature. Il y a trop d’étrangers en France. S’il n’y en avait pas [d’étrangers], il n’y aurait pas d’agressions sexuelles ni de violeurs. »
Choqué, le nouveau s’insurge à nouveau :
« Nous savons où les extrêmes nous mènent, on l’a vu dans l’histoire avec le Troisième Reich. »
À cela, G., le policier chauve aurait rétorqué :
« Ils [les nazis] n’ont pas fini le travail. »
Le 9 août 2019, trois gardiens de la paix ont été la cible de propos racistes et antisémites de la part de deux de leurs collègues au TGI de Paris. / Crédits : Yann Castanier
Puis, il s’en prend aux personnes ayant une double nationalité :
« C’est comme les bi-nationaux, je suis contre. Leur place est chez eux. »
Une policière explique alors être elle-même « bi-national ». « Il lui a dit qu’elle devrait choisir », rapporte à StreetPress l’un des témoins. « C’est déjà grave de tenir un tel discours, mais en tant que policier c’est encore plus chaud », s’insurge une autre personne qui a assisté à la scène. Après un bref moment de répit, G., le policier blanc d’une vingtaine d’années serait revenu à la charge :
« De toute façon, les Noirs sont des prédateurs sexuels. Et ça, c’est dans leurs gènes, c’est leur nature. Il suffit de les voir chez eux, c’est leurs coutumes. »
Atterré, « le nouveau » stoppe le dialogue. La policière blanche aux cheveux rouges insiste :
« Je suis italienne et je vote FN. »
Son camarade, G., le policier chauve en espère plus :
« Ils ne sont pas assez forts. »
Extrait du rapport que StreetPress s’est procuré. / Crédits : StreetPress
Des aveux mais pas de sanctions
Le lendemain des faits, le nouveau décide de rédiger un rapport qu’il transmet à sa hiérarchie et à l’inspection générale de la police nationale (IGPN). C’est ce document que StreetPress s’est procuré. Le gardien de la paix est, peu de temps après les faits, entendu par l’IGPN. Dans le même temps, les deux policiers incriminés et trois autres fonctionnaires présents au moment de la conversation sont convoqués dans le bureau du commissaire de police chargé des brigades d’escortes du TGI.
Ils sont reçus par deux officiers de police et un major. D’après nos informations, ces gradés auraient assuré que rien ne sortirait du bureau. La conversation avait simplement pour objectif, expliquent-ils, d’apaiser les tensions entre fonctionnaires. C’est dans ce contexte que G., le policier chauve aurait reconnu avoir tenu les propos racistes et antisémites. Contacté directement par StreetPress, il nie tout ce qui lui est attribué. V., la policière aux cheveux rouges aurait, quant à elle, nié toute implication auprès de sa hiérarchie et n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Presque deux ans après les faits, l’enquête IGPN n’a toujours pas rendu ses conclusions. Joint par StreetPress, la préfecture de police assure qu’elle est toujours en cours.
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Harcèlement moral
Pour les fonctionnaires qui ont dénoncé les diatribes racistes, le calvaire ne s’arrête pas là : on leur a collé une étiquette de « balances ». « Je vote pour qu’ils partent de la brigade. Je n’aime pas les balances », aurait par exemple crié un peu plus tard un autre policier en salle d’appel. Un policier de ce service raconte :
« Ils ont été mis à l’écart. Plus personne ne leur adressait la parole. Ils disaient que c’étaient des balances pour les faire partir. »
Quelques semaines plus tard, l’auteur du rapport est muté à sa demande en province. Deux autres gardiens de la paix victimes de ces propos racistes ont changé de service au sein du TGI. Mais leurs réputations de « balances » les auraient suivis.
Fan du film American History X
En avril 2019, soit quatre mois avant cette scène, le policier chauve avait déjà tenu des propos racistes. Sur le groupe WhatsApp de la brigade d’escorte, l’homme se prend le bec avec une fonctionnaire musulmane pour une histoire d’affectation au sein du TGI. Énervé, il lui lance : « Mets ta bouche sur le bord du trottoir ». La phrase fait référence à une scène du film American History X, un de ses « films préféré », dans lequel un néo-nazi tue violemment et de cette manière un homme noir.
. / Crédits : StreetPress
Extrait d'une conversation du groupe WhatsApp de la brigade d'escorte. / Crédits : StreetPress
Contacté par StreetPress, le parquet de Paris n’avait pas, au moment de la publication, répondu à nos sollicitations.
Le rapport est à lire en intégralité ici
Photo d’illustration du TGI prise en juillet 2020 par Yann Castanier.
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