Il y a des temps où de lents glissements opèrent, où la distance de l’Histoire nous fera dire : « Nous aurions dû agir ». Ce temps est venu. Samedi 20 avril a une nouvelle fois été l’occasion d’atteintes graves à la liberté de la presse de la part du gouvernement. Des journalistes ont encore été visés par des tirs de LBD et deux d’entre eux, Gaspard Glanz et Alexis Kraland, ont été arrêtés.
Ces actes ne sont pas isolés. Ils prennent part dans un contexte global d’atteinte à la liberté de la presse depuis le début de l’actuel quinquennat. La décision de mettre en place un pool pour couvrir l’actualité de l’Elysée fut la première restriction. Les protestations furent peu nombreuses. C’était de nouvelles pratiques auxquelles il fallait s’habituer. Lors de la première photographie gouvernementale, le pool seul fut convié et non pas les photographes d’autres journaux, agences ou indépendants. Le pool a protesté par solidarité. Ils ont obtenu que soit présent les autres photographes à la photo de la seconde mouture gouvernementale.
La communication Élyséenne a été de plus en plus verrouillée avec des restrictions sévères jusqu’à l’évocation du déplacement de la salle de presse de l’Elysée. Les protestations ont été un peu plus présentes. Ce déplacement de la salle de presse de la cour de l’Elysée vers l’extérieur est pour l’instant suspendu. Mais ces tentatives d’écarter les journalistes sont de nouvelles pratiques auxquelles il fallait encore s’habituer.
Le mouvement des gilets jaunes a démarré. Dès le 8 décembre, sur les Champs Elysées, les journalistes ont été des cibles des forces de l’ordre. De nombreuses atteintes ont été relevées. Parmi les plus marquantes, Yann Foreix, un photographe du Parisien a reçu un tir de LBD dans la nuque à une distance de tir inférieure à celle réglementaire. Il a perdu connaissance et a été évacué par les pompiers vers l’hôpital. Un autre photographe, Thomas Morel-Fort, a eu la main cassée par un tir de LBD. Des journalistes, dont Véronique de Viguerie et Boris Allin, se sont vu confisquer leur matériel de protection. Il y avait une volonté, qui a fait système, de vider les rues et d’empêcher de voir ce qui se passait. Il ne s’agissait pas d’actes isolés, bévues de certains membres. Il y a eu des protestations plus virulentes. Des plaintes ont été déposées. Reporters sans frontières (RSF), les syndicats et les rédactions ont mis en avant ces atteintes.
Mais elles se sont par la suite poursuivies. À Toulouse, lors de différents actes, des journalistes ont été victimes de tirs de LBD, dont le photographe Valentin Belleville début février, ou d’interventions de la police pour les empêcher de travailler. Samedi 20 avril, les journalistes, à Paris, furent une nouvelle fois la cible de tirs de LBD et, fait inédit, arrêtés dans le cadre de leur travail. En tout et pour tout, le journaliste David Dufresne a relevé, de manière vérifiée et documentée, 62 atteintes aux journalistes de la part des forces de l’ordre.
La question est simple : devenons-nous nous habituer aussi à ces nouvelles pratiques ?
Il n’est pas admissible que la presse soit empêchée de faire son travail. Sans liberté d’information, il n’y a pas de démocratie. Sans savoir, l’électeur ne peut voter en connaissance de cause. Edwy Plenel écrivait à juste titre « nous voterons tel des aveugles ». Nous faisons notre travail d’information et nous devons le faire de manière libre, dans le respect de l’État de droit et en sécurité.
Mais au-delà de ce principe inaliénable, le fait de laisser se dérouler ces pratiques coercitives crée un précédent. Que se passera-t-il lorsque le prochain gouvernement dira : « Vous avez accepté ces pratiques sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, pourquoi les changerions nous ? » Il convient donc plus que jamais de ne plus reculer. Il convient de faire respecter la liberté de la presse. Les mises en gardes médiatiques et judiciaires quant aux atteintes de ce droit n’ayant pas suffi, il convient à présent d’agir.
Journalistes, rédactions, syndicats et ONG doivent être solidaires. Le respect de notre métier passe par le respect que nous nous accordons. Il convient de s’en saisir. Il n’est plus question d’accepter de travailler dans de telles conditions. Il serait donc judicieux de mettre en place un boycott de la communication gouvernementale et à tout le moins du ministère de l’Intérieur. Est-il possible, dans l’exercice de notre métier, d’accepter de se faire tirer dessus, matraquer et arrêter le samedi et de tendre un micro le lundi à celui qui nous entrave ? Celui à qui l’on tend le micro est censé défendre l’Etat de droit, il ne le fait pas. Au contraire, il minimise les violences et les atteintes à la liberté d’informer. Arrêtons de relayer sa communication. Ceci doit être une décision collégiale, un journaliste isolé ne peut la prendre, mais l’ensemble d’une profession le peut.
Mirabeau, dans un texte fondateur intitulé « Sur la liberté de la presse », écrivait : « C’est alors qu’on nous présente un véto ministériel ; c’est alors qu’après nous avoir leurré d’une tolérance illusoire et perfide, un ministère soi-disant populaire, ose effrontément mettre le scellé sur nos pensées, privilégier le trafic du mensonge, et traiter comme objet de contrebande l’indispensable exportation de la pensée. » Ce texte date du 10 mai 1789 sous la monarchie absolue. Il est d’actualité le 20 avril 2019 sous la Vème République Française.
Texte rédigé par le photo-journaliste Yann Castanier auquel la rédaction de StreetPress s’associe.
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