Matoury, Guyane Française (973) – Le 20 juillet, c’est le grand départ pour Carl (1). À 13 h, heure de Cayenne, le jeune homme entame le voyage retour vers le Guyana, son pays d’origine, bien escorté par trois policiers de la police aux frontières (PAF). Quelques jours plus tôt, le juge a décidé de son expulsion.
Son voyage retour, Carl va d’abord le faire en hélicoptère jusqu’à Paramaribo, la capitale du Surinam, pays qui partage donc des frontières terrestres avec la France. Avant de prendre un avion de ligne à destination de Georgetown, la capitale du Guyana. Pour l’expulser, la police a loué un hélicoptère auprès d’une société privée installée en Guyane, Heli Cojyp. Montant de l’opération ? 4.600 euros, d’après des devis que StreetPress a pu consulter. Adressés directement à la PAF, la facture comprend le transport du sans-papier et de trois policiers jusqu’à bon port… ainsi que le voyage retour.
Pense-bête / Crédits : DR
Il n’y a plus de pilote dans l’avion
Depuis début juin, la préfecture de Guyane espère multiplier ce type d’opérations pour expulser les nombreux sans-papiers guyaniens – originaires du Guyana – qui remplissent son unique centre de rétention. Avant cette date, la pref avait une solution beaucoup plus simple… et moins onéreuse : un vol Cayenne-Paramaribo-Georgetown permettait de renvoyer les sans-pap directement à l’envoyeur. Sauf que la compagnie qui assurait cette liaison, Surinam Airways, a récemment décidé de quitter la Guyane. Or, elle était la seule à faire cette liaison aérienne. Les autorités ont donc dû s’adapter. « En ce moment, nul n’ignore que Surinam Airways a cessé ses vols entre la Guyane et le Surinam », indique le juge, dans un jugement à propos de Carl :
« L’administration y pallie en procédant à des réservations d’hélicoptères. »
Début juin, une ordonnance d’expulsion propose pour la première fois de renvoyer des sans-papiers guyaniens par hélicoptère. Depuis, seules deux expulsions ont été menées à terme. Celle de Carl le 20 juillet, et celle d’un autre ressortissant guyanien le 23. Toutes deux ont d’abord été réalisées dans un appareil appartenant à Heli Cojyp, pour le même tarif de 4600 euros. « [À Paramaribo] Les autorités surinamaises ont gardé les gars et on les transfère ensuite vers Georgetown », prolonge Willy Ranguin, délégué pour le syndicat de police Unité SGP-Police.
Pourquoi ?
Du côté de la maréchaussée, la mesure ne fait pas franchement l’unanimité. Deux tracts, publiés par les syndicats SGP-FO et Alliance police nationale se font l’écho de la grogne. Les renvois par hélico seraient longs et fatigants, s’inquiètent les deux organisations. Et surtout assez inefficaces. Les appareils, trop petits, ne permettent d’expulser qu’un sans-papier à la fois. « C’était un Écureuil [l’hélico habituellement utilisé par la gendarmerie, ndlr] de 5 places », poursuit Willy Ranguin :
« Si vous mettez deux escorteurs, un chef d’escorte, le pilote et son copilote vous avez déjà rempli les cinq places. »
Du côté des avocats et des associations de défense des sans-papiers, on se demande aussi à quoi servent ces hélicos. « Ici, tout le monde passe tout le temps d’un côté de la frontière à l’autre », avance un avocat :
« Les gens sont raccompagnés le soir, ils reviennent le lendemain. La Guyane est une énorme passoire. »
En 2017, 103 Guyaniens ont été renvoyés à partir de Cayenne… À 4.600 euros le vol en hélico (sans compter le billet d’avion), l’addition pourrait être salée : près de 473.800 euros dans le cas où ils seraient aussi à nombreux à être expulsés en 2018.
Les policiers ont pas vraiment le pied marin / Crédits : DR
Et sinon, il y a les pirogues privées
Le quotidien des fonctionnaires de la PAF de Guyane est pour le moins rock’n’roll. Et les reconduites à la frontière prennent régulièrement des allures d’équipées sauvages. Quand les expulsions n’ont pas lieu dans des hélicos, elles se font généralement en… pirogue, poursuit Willy Ranguin. « Ces expulsions concernent en général des Brésiliens ou des Surinamais », rebondit un avocat.
La police dispose d’ailleurs de ses propres embarcations sérigraphiées dont StreetPress a pu se procurer quelques clichés. Difficile pour les fonctionnaires de manœuvrer ces petits rafiots à moteur dans les eaux tumultueuses du fleuve Oyapock qui sépare la Guyane du Brésil, ou sur le fleuve Maroni qui marque la frontière avec le Surinam :
« Et puis les policiers ne sont pas vraiment formés à ça. »
Seule solution ? Privatiser les missions d’éloignement, explique le policier. La PAF ferait depuis peu appel à plusieurs sociétés de piroguiers privés pour faire passer le fleuve aux sans-papiers. Et le tout, sans policier pour superviser les opérations.
Aller / retour en Europe
Le temps des renvois en hélico serait pourtant déjà compté. « La cellule éloignement du centre de rétention est en train de travailler sur des routings par avion pour faire ça via l’Europe ou le Brésil par exemple », affirme Willy Ranguin. Traduction : les autorités seraient prêtes à faire transiter les sans-pap en Europe… avant de les renvoyer sur le continent sud-américain.
C’est un peu la spécialité de la police aux frontières guyanaises, s’amuse le policier. « On a souvent fait ça. Vous trouverez beaucoup de cas de figure depuis des années », affirme le représentant syndical :
« Il n’y a pas de liaison aérienne par exemple avec le Pérou. Eh ben, pour renvoyer des sans-papiers péruviens, on les fait passer à Paris pour aller à Lima. »
Contactées par StreetPress, ni la préfecture de Guyane, ni la société Heli Cojyp n’ont donné suite à nos demandes d’interviews.
Image d’illustration en une
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