Sevran (93) – Samedi 16 juin, une petite foule se retrouve devant le stade Jean-Guimier. Les tentes qui servaient de réfectoire pendant le ramadan accueillent une Assemblée Générale. Son ambition : rien de moins que de bâtir « les universités que l’Etat refuse de créer ». En clair, remonter ses manches et construire cinq facs autogérées, qui pourraient accueillir 150.000 personnes et ainsi répondre à l’afflux d’étudiants prévu sur la prochaine décennie.
Ils préfèrent la fac au foot! / Crédits : Clara Martot
Vincennes bis et « ZAD PARTOUT »
Une tribune parue dans Le Monde le 31 mai dernier sifflait le coup d’envoi de cette aventure. Son titre :
« Nous lançons un appel à bâtir les nouvelles universités que l’Etat refuse de créer ! »
Mais qui sont les instigateurs de ce projet complètement fou ? « Un collège d’enseignants et d’étudiants », s’avance un chercheur toulousain dans l’organisation. C’est vague, mais c’est exact. La liste des nombreux signataires de la tribune donne quelques précisions supplémentaires : on retrouve des syndicats et collectifs de lycéens ou d’étudiants. Des enseignants chercheurs comme la politiste Johanna Siméant, l’économiste Frédéric Lordon ou l’historienne Laurence de Cock. Et plusieurs élus de gauche (aussi bien PS, Verts que PC et FI).
La tribune donne un premier rendez-vous le 2 juin sur une terre hautement symbolique : Vincennes. C’est là que 50 ans plus tôt, les mobilisations de mai 68 imaginent le Centre universitaire expérimental. Pendant 12 ans, l’université autogérée accueille des cours de Michel Foucault, Jacques Derrida, Gilles Deleuze et d’autres intellectuels de gauche. C’est là aussi que naissent de nouvelles filières comme le cinéma et la psychologie.
Le 2 juin 2018, ce même parc de Vincennes accueille étudiants et universitaires. La bande-son est assurée par la fanfare invisible de Nuit Debout. Le groupe est rejoint par des dizaines de militants, une énorme banderole annonce l’ambiance : c’est « ZAD PARTOUT ».
Des élus veulent négocier avec le Grand Paris
Deux samedis plus tard à Sevran, la mobilisation s’est réduite à une petite centaine d’âmes. Il faut dire que l’AG se tient en même temps que le premier match de coupe du monde des Français. Les organisateurs du mouvement insistent sur leur autonomie « vis-à-vis d’une quelconque famille politique ». Il n’empêche que les prises de parole de la matinée sont quasi-monopolisées par les élus. Les députées Elsa Faucillon (PCF), Sabine Rubin et Clémentine Autain (FI), ont fait le déplacement. C’est cette dernière qui a proposé d’implanter l’une des facs autogérées sur ce terrain. « Nous, on milite depuis quatre ans pour créer une université ici ! », assure la députée, le doigt pointé vers un champ de blé de 35 hectares :
« Une fac, c’est mieux qu’une piscine de surf, non ? »
Explication : la collectivité du Grand Paris, propriétaire du terrain, voulait construire une piscine à vagues artificielles pour les Jeux Olympiques 2024. Sauf que la discipline n’est plus olympique. Les 35 hectares ont été confiés à un agriculteur via une convention d’occupation précaire, en attendant de leur trouver un nouvel usage. Après sa récolte, les militants espèrent récupérer la convention, mais la procédure risque de prendre des mois. D’où l’accueil chaleureux réservé aux députées du secteur, capables de peser dans la décision. D’ici-là, un embryon d’université pourrait voir le jour sur un petit bout de parcelle non-cultivé.
9.000 heures de cours potentiels
Lieu ou pas lieu, des universitaires et professeurs ont déjà proposé d’y enseigner. Le site internet RogueESR recense un total de 9.000 heures de cours potentiels, sur des sujets aussi variés que la « socio-histoire du système sécuritaire » (Mathieu Rigouste) ou « l’archéologie environnementale et paléoécologie » (Frédéric Magnin).
« Une fac, c’est mieux qu’une piscine de surf, non ? » - Il faut répondre ? / Crédits : Clara Martot
Les organisateurs affirment aussi que des architectes sont motivés, mais aucun plan n’a encore été commencé. Manque aussi la main d’oeuvre, malgré l’appel des enseignants à destination des « ouvriers ». Mais avant de se lancer dans la construction, reste à trancher une question centrale : faut-il demander des sous aux pouvoirs publics ? L’historienne Mathilde Larrère, a sorti lunettes et foulard bohème sur le front. Elle voit dans les débats l’opposition entre « deux tendances pas totalement incompatibles » :
« Certains veulent solliciter l’Etat pour qu’il s’engage financièrement, et certains, dans une démarche anarchiste, veulent un lieu totalement autogéré. Bref, c’est un clivage classique de la gauche. Mais personne n’a envie que le projet meurt. »
« Je suis venue à Sevran parce que c’est un projet dingue, donc c’est enthousiasmant », lance-t-elle, passionnée. Mais l’historienne spécialiste des mouvements révolutionnaires sait que de nombreuses questions doivent encore être tranchées : qu’il s’agisse du salaire des professeurs, du choix du public, de la reconnaissance des diplômes, ou de la couverture sociale des futurs étudiants.
Le troisième acte des débats se tiendra le 30 juin au Consulat, lieu éphémère du 14ème arrondissement de Paris. Et pour la rentrée, certain ont le projet de « récupérer des amphis vides le soir ou des lieux inoccupés, mettre en place des cycles courts pour les migrants et les adultes », déroule un militant assis en tailleur sur le béton chauffé par le soleil, casquette vissée sur la tête. Une manière de donner une première existence concrète à cette université populaire.
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