Paris, 10e arrondissement – Ce samedi 26 mai, derrière une énorme banderole « c’est nous on braque Paris, c’est nous l’grand Paris » – en référence au morceau Grand Paris de Médine – c’est le Comité Adama, et avec lui les quartiers, qui ont pris la tête de la manifestation contre les politiques de Macron. Youcef Brakni, porte-parole du comité, explique :
« Nos luttes, celles des quartiers populaires, n’ont jamais été une priorité ni pour les partis, ni pour les syndicats. Nous avons décidé de rentrer par effraction dans ce mouvement social et de prendre la place qui est la nôtre. »
Au côté d’Assa Traoré et sa famille, derrière la banderole, on trouve d’autres familles victimes de bavures policières ou, notamment, les intellectuels Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie. Ces derniers expliquaient dans une tribune parue dans le Monde, que cette prise du cortège de tête est « un moment [historique] clé » pour « réinventer une gauche puissante et un mouvement social contemporain ».
Les équipes sont déterminés. / Crédits : Yann Castanier
Cette « Marée populaire » a été lancée par François Ruffin de la France Insoumise, rejoint par une cinquantaine de syndicats, partis politiques et associations. Elle proposait de « rassembler toutes les forces sociales, syndicales, associatives, politiques pour construire et réussir ensemble un grand rendez-vous citoyen ». Youcef Brakni poursuit :
« Nous voulons nous faire entendre. Si nous sommes là, c’est pour imposer un rapport de force à la fois vis-à-vis de la gauche et de l’Etat. »
Rejoindre le cortège de tête – ce groupe de militants radicaux qui s’impose en tête des manifestations – permet au Comité Adama de s’associer aux combats sociaux sans se ranger derrière les bannières de partis politiques. Mais aussi d’imposer ses propres revendications.
Quartiers, exilés, étudiants, tous solidaires !
« Macron, t’es foutu : les quartiers sont dans la rue ! », scande le cortège de tête de cette « Marée Populaire ». Parmi eux, il y a Abdouab*, un grand bonhomme en veste en cuir, qui tient une banderole pour les droits des exilés : « L’asile est un droit, vos mensonges sont criminels ». « I am here to claim our rights », articule-t-il dans un anglais hésitant. Il pointe ensuite du doigt Anouck*, une étudiante de Paris 8, qui prend la suite. La jeune femme participe à l’occupation d’un des bâtiments de sa fac depuis quatre mois. Une centaine de migrants y réside. Une petite moitié est venue manifester avec elle aujourd’hui :
« Nous voulons obtenir des régulations, des places à l’université ou encore des logements pour les exilés. »
Les quartiers en tête. / Crédits : Yann Castanier
Les occupants de Paris 8, comme les étudiants de Jussieu et d’autres, ont rejoint le Comité Adama en tête de cortège. « Les violences policières touchent les quartiers et les immigrés plus généralement. Nos luttes sont les mêmes », explicite Anouck. Elle poursuit :
« Et puis il y a plusieurs slogans : racisme d’Etat, solidarité des migrants, Gaza… J’ai l’impression que chaque lutte est entendue et représentée. »
Juste derrière, il y a Act Up et Fred Navarro, un vieux de la vieille de l’asso. 32 ans qu’il se bat au sein de l’organisation, où il a été président et co-président. Aujourd’hui, le bonhomme en chemise à fleurs est simple militant :
« Nous serons toujours du côté des opprimés. Le racisme d’Etat est une injustice. Et par ailleurs, les migrants manquent de soins contre le VIH. Raison pour laquelle nous défilons derrière la famille Adama et les sans-papiers. »
"Nous sommes tous des enfants de la Palestine", scande la foule. / Crédits : Yann Castanier
SORTEZ LES FUMI' / Crédits : Yann Castanier
Des collectifs pour les droits des réfugiés – Paris d’Exil, FUIQP,… -, pour Gaza, des militants féministes et décoloniaux – Mwasi, le collectif asiatique décolonisé,… - mais aussi des asso LGBTQI – Act Up, le Refuge -, pour les travailleurs du sexe – Strass – et les collectifs d’étudiants en lutte, ont répondu à l’appel du Comité Adama. Leur revendications sont sur la banderole en début de cortège :
« Les crimes policiers, la gestion coloniale des quartiers, l’autonomie politique, l’apartheid scolaire, le racisme d’Etat, tout le pouvoir au peuple ».
Comment organiser le cortège de tête ?
« On nous avait proposé de participer à La fête à Macron, mais en nous expliquant que nos discours devraient plus tourner autour des politiques sociales que des bavures policières », explique Youcef Brakni. Le groupe redoute l’instrumentalisation politique et préfère esquiver le rendez-vous. Mais alors, comment faire irruption dans les revendications sociales populaires ?
« Les quartiers sont plus que quiconque concernés par ces questions. Dans certains endroits, il n’y a aucun services sociaux. Quand nos travailleurs ont besoin de soutien – les Chibanis face à la SNCF ou les nettoyeurs des gares de Paris Nord – personne n’est là. Où sont les syndicats à ce moment là ? »
Impossible, selon lui, que les luttes des descendants de l’immigration post-coloniale soient prises au sérieux. « Il y a des inégalités dans la société, elles existent de la même manière dans les mouvement sociaux. » Des discussions avec l’Action antifasciste Paris-Banlieue fait naître l’idée de participer au cortège de tête. Un « espace intéressant » pour Youcef Brakni, qui rassemble habituellement ceux qui veulent dépasser l’engagement classique des syndicats ou partis. Des réunions s’organisent pour décider des modalités d’organisation :
« Nous avions convenu d’une tête de cortège défensive, parce qu’il y a des familles, des sans-papiers,… une intervention policière serait dangereuse. »
Assa Traoré et Youcef Brakni à la tribune. / Crédits : Yann Castanier
Une référence aux moyens radicaux des Black Blocs, très visibles sur les derniers rassemblements. Une centaine d’entre eux était présent dans la manifestation, tout de noir vêtus. Ils ont mis à mal quelques vitrines de banque ou d’assurance, sans pour autant désordonner le cortège.
« Ce n’est qu’un début »
À la tribune, sur les marches de l’Opéra Bastille, Assa Traoré crie au mégaphone, avec l’aplomb qu’on lui connait :
« Aujourd’hui, on a pris la tête du cortège ensemble. Le peuple a pris la tête du cortège. Et ça n’est qu’un début ! »
Appel à la révolution de Assa Traoré. « Tuons le système » pic.twitter.com/SPplsa8cSc
— Inès Belgacem (@InesBgc) 26 mai 2018
Selon le cabinet Occurence, qui a réalisé un comptage indépendant pour un groupe de médias dont France info ou Europe 1, 31.700 manifestants ont défilé ce samedi – 80.000 selon la CGT, 21.000 selon la police. Un chiffre en baisse par rapport à la fête à Macron – 38.900 selon les médias, 40 000 selon la préfecture, 160 000 selon les organisateurs. Aucun chiffre pour le seul cortège de tête n’est pour le moment connu.
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