Belleville, Paris 19e – Alexandre Kauffmann est posé au comptoir du café des Moineaux, situé au coin de sa rue. Ici, tout le monde semble le connaître. Pour le roman Stupéfiants (Flammarion, 2017), dans lequel survenait une mort par overdose, Alexandre Kauffmann avait déjà suivi la brigade des stups. Entre deux espressos, il nous parle de son nouveau bouquin, Surdose. Cette fois, il réenfile sa casquette de journaliste. Ce qui, au départ, ne devait être qu’un article pour le Monde devient un reportage haletant sur 288 pages, publié aux Editions Goutte d’Or. Surdose pourrait passer pour un polar sombre et palpitant, sauf que ce n’est pas une fiction.
Alexandre Kauffmann, posé OKLM.
Pourquoi le nombre d’overdoses chute, depuis quelques années, à Paris ?
Il y a une trentaine d’années, il y avait 150 morts par overdose par an à Paris, presque exclusivement dues à l’héroïne. Aujourd’hui, c’est passé à 20 morts, dont seulement un quart à cause de l’héro. Notamment grâce aux traitements de substitution comme la méthadone ou le Subutex. Un autre quart est représenté, justement, par ces traitements de substitution. : il reste des morts par ces substances-là même si, malgré tout, elles ont un effet positif.
L’héroïne est passée de mode ?
L’héroïne a perdu de la vitesse au début des années 2000, ensuite, elle a fait son retour et maintenant, on est dans une période de stagnation. Par contre, les médecins prescrivent aujourd’hui le Fontanil, un antidouleur au potentiel 100 fois supérieur à la morphine. Il fait partie de la famille des opioïdes comme l’héroïne mais il provoque beaucoup plus facilement une overdose. Il fait déjà des ravages aux États-Unis, avec plus de 20.000 morts par an. Le seul moyen d’intervenir c’est d’encourager les médecins à prescrire cet antalgique avec beaucoup plus de précision.
Comment expliquer l’apparition d’autant de nouvelles drogues ?
Il y a à peu près 50 nouvelles drogues qui apparaissent en France chaque année. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a beaucoup de malins qui détournent la législation. Par exemple les cathinones, famille de drogue qui a le vent en poupe, ont été classés comme stupéfiants. Des chimistes modifient sa composition chimique pour que ça sorte de la classification stup, et ça donne une nouvelle drogue.
Quels sont les nouveaux dangers alors ?
Aujourd’hui les drogues sont tellement nombreuses que les gens les connaissent moins bien, les overdoses se font par confusion. Par exemple, il y a une nouvelle drogue qui est apparue qui est un psychodysleptique rattaché au LSD, qui s’appelle le Nbome. Une jeune anglaise a trouvé ça dans la valise de sa coloc. Elle a cru que c’était de la coke. Elle l’a sniffée et donc a pris une dose 1000 fois supérieure à ce qu’il fallait parce que ce n’est pas la même utilisation. Il y a aussi le cas d’un journaliste qui a acheté de la cocaïne et on lui a vendu de l’héroïne, pure, blanche. Il a perdu la mémoire immédiate et il est en chaise roulante. Mais la vraie raison des overdoses c’est bien sûr qu’il y a trop de came qui est consommée.
Et la mauvaise came ?
Quand on dit overdose, on pense directement came mal coupée, c’est une légende urbaine. Il y a eu quelques cas à la brigade des stups de Paris mais c’est marginal. Aujourd’hui le marché de la drogue est tellement concurrentiel qu’on ne coupe plus les produits avec de la merde, sinon ils tuent leur marché et font un cadeau à la concurrence.
Quelle drogue fait le plus de ravage à Paris ?
La cocaïne est vraiment très présente. Il y a également beaucoup de mélanges. On retrouve de la méthadone mélangée à de la coke ou du GHB. Ces mélanges entraînent un certain nombre de décès. Mais c’est presque toujours la cocaïne qui est impliquée là-dedans, suivi par l’héroïne. Maintenant la cocaïne est de plus en plus pure, donc c’est beaucoup plus facile de faire une overdose qu’avant.
Est-ce que le public a changé ?
La vision qu’on avait de l’héroïnomane dans les années 90 lorsque c’était l’hécatombe, c’est le mec retrouvé dans les vapeurs chimiques d’une Sanisette, sur un matelas sale dans un squat ou entre deux poubelles. Mais il y avait déjà à cette époque-là ce qu’on appelle des populations cachées, c’est-à-dire intégrée, qui consommait de manière plus propre. Ce qui a changé aujourd’hui c’est que ça touche toutes les couches de la population et que c’est consommé de manière beaucoup plus discrète. Aujourd’hui, on ne retrouve plus de victimes mortes dans la rue ou dans des squats, mais des personnes mortes à leur domicile. Dans le livre, on suit les enquêtes pour l’overdose d’un dentiste, d’une étudiante en histoire de l’art et d’un informaticien, preuve que ça touche tous les milieux.
Quels sont les profils des dealeurs ?
D’abord il y a les petites mains, ce qu’ils appellent « les tocards », c’est ceux qui sont exploités par les têtes de réseaux. Ça peut être des mecs de cité, certains ne sont même pas majeurs et vont livrer après les cours. Mais pas seulement. Dans le milieu gay, où tournent beaucoup de drogues chimiques, c’est des gens qui vendent sur internet, qui ne sont pas dans le milieu « voyou ». Ils se montrent d’ailleurs beaucoup plus coopératifs avec la police.
Est-ce qu’avec les nouvelles technologies, c’est plus simple qu’avant de se procurer de la drogue ?
La manière d’acheter la drogue a totalement changé. Il y a des dealers qu’on contacte par WhatsApp, parce que c’est indéchiffrable. Ils viennent vous livrer à domicile de la coke, de la MDMA, du haschich, ce que vous voulez. Quant aux produits de synthèse comme les cathinones, c’est commandé directement sur internet, sur des sites basés à l’étranger. Surtout en Hollande ou dans des pays de l’Est. C’est devenu plus facile de se procurer de la drogue mais aussi moins dangereux, parce qu’avant il fallait être en contact avec des réseaux.
Est-ce que la police a dû adapter ses méthodes ?
Pour ce qui est des commandes sur internet, c’est très dur d’agir parce qu’il faut des commissions rogatoires internationales qui se perdent dans l’anonymat. En revanche, pour les plates-formes de livraison par WhatsApp, la police essaye de s’adapter. Maintenant tout passe par la téléphonie, c’est ça qui permet de résoudre 99 pour 100 des affaires. Quand la brigade trouve un cadavre, c’est presque plus le téléphone qui intéresse les inspecteurs que le cadavre. Après avoir analysé le sang, ils vont tout remonter par son téléphone. L’autre problème c’est que les dealeurs bien organisés utilisent des téléphones satellitaires. Donc aujourd’hui c’est une course technologique.
Un livre addictif ! (fallait bien que quelqu’un fasse la blague…)
Comment agit l’État pour lutter contre les drogues ?
Il agit très très mal ! En France on a une des législations les plus répressives d’Europe. C’est toujours la loi de 1970 qui s’applique, elle met sur le même plan le haschisch et l’héroïne. En plus elle est hybride puisqu’elle considère que tout usager de produits stupéfiants doit être surveillé par l’autorité sanitaire. Donc ils considèrent à la fois les consommateurs de drogue comme des délinquants et des malades. Il y a une schizophrénie législative. Ce sont les seules personnes malades qui sont punies par la loi…
Quelle est la solution selon vous ?
Le nombre de cas d’overdoses a été divisé par plus de dix en 30 ans grâce aux produits de substitution, pas grâce à la répression. La solution est donc médico-sociale. Si j’avais un avis à donner, ce serait de légaliser toutes les drogues et de mettre en place un accompagnement médico-social adapté pour pouvoir mieux traiter les usagers et expliquer les risques. En Hollande et au Portugal, pays qui ont mis en place des législations beaucoup plus tolérantes, les consommations baissent. En France, on manque de courage politique. Il faut aussi faire évoluer les mentalités. C’est à ça que sert ce livre, c’est à lui seul un manuel préventif.
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