Il est 18h30 et les militants anti-carcéraux de l’Envolée arrivent au compte-gouttes dans les locaux de Fréquence Paris Plurielle, rue de la Solidarité (19e). Au milieu des effluves de tabac, Yas, Stéphane et Sylvia commencent à préparer le conducteur de l’émission de radio de ce soir. Dans le studio, des canettes de bière et des sachets de chips attendent les animateurs sur la table.
« Qui apporte les lettres ce soir ? », demande Sylvia. Yas, une nouvelle bénévole lui répond du tac au tac : « C’est Arthur qui s’en charge. Il est en route ! ».
Quelques minutes plus tard, l’intéressé débarque à la radio. Juste avant le début de l’émission, les bénévoles ouvrent les enveloppes et déplient les lettres. Ils veulent avoir une idée de la teneur que prendra la discussion à l’antenne. « Parfois, on a des difficultés à les relire. C’est pour ça que c’est important qu’on y jette un oeil avant », note Stéphane.
On air / Crédits : Inès Edel Garcia
Être un porte-voix des prisonniers
En 2000, deux détenus rencontrés en prison décident de fonder l’Envolée, un collectif de militants anti-carcéraux. Leur objectif ? Servir de porte-voix aux prisonniers. D’emblée émerge l’idée d’être un trait d’union entre l’intérieur et l’extérieur. C’est de ce souhait que naît l’émission de radio éponyme, diffusée chaque semaine sur Fréquence Paris Plurielle. Chaque semaine, des prisonniers écrivent aux militants. Ces derniers lisent leurs témoignages à l’antenne. « À chaque fois qu’on évoque la prison, on entend toujours des ‘spécialistes’, des psychiatres, des matons, des directeurs », s’énerve Stéphane :
« On n’entend jamais la parole des concernés : les prisonniers et leurs familles. »
Un an plus tard, pour couvrir plus de terrain, l’équipe lance un canard. Celui-ci est envoyé directement aux détenus, qui l’ont demandé, en prison. « L’Envolée, c’est gratos. Parce qu’il faut que ça tourne ! », explique Stéphane, qui a rejoint l’asso en 2005. Pourtant, les exemplaires n’arrivent pas toujours jusqu’aux détenus. Le collectif soupçonne des tentatives de censure.
Courriers du jour / Crédits : Inès Edel Garcia
De Julio Iglesias à Ol Kainry
Devant un verre, Stéphane, le vieux de la vieille de l’équipe, évoque ses années de militantisme radiophonique. Il regrette le manque d’implications des jeunes générations dans la lutte anti-carcérale :
« Il y a eu une période où l’on avait beaucoup de sortants. Ils venaient annoncer qu’ils étaient sortis, saluer les potes restés à l’intérieur et raconter leurs conditions de détention. Aujourd’hui, on en a moins car les jeunes ont admis qu’en faisant une connerie, ils risquent de se faire prendre. Ils ne remettent plus en cause le système ».
Si la jeune génération de détenus se désintéresse de la politique, les jeunes militants sont en revanche de plus en plus nombreux et l’asso’ fait le plein. Ce soir, c’est Yas, 22 ans, qui est à la technique. En régie, elle prépare la playlist diffusée pendant l’émission. Parmi ses titres fétiches, on trouve Afrorate de Bibi Craveur dont le clip a été tourné dans un centre de détention, Wesh les taulards de la Shtar Academy ou encore Milieu carcéral d’Ol Kainry. Stéphane s’amuse de l’évolution dans la programmation musicale depuis que les jeunes ont rejoint l’Envolée :
« Avant, les détenus demandaient du punk et de la chanson française. Parfois du Julio Iglesias. Aujourd’hui, ils veulent du rap et du hip-hop. »
Le téléphone sonne
À 19h pétantes, Yas lance le générique de l’émission. Sur le 106.3 FM, on entend un mix spécialement réalisé pour l’Envolée : Y’a du baston dans la taule. Pendant ce temps, dans le studio, les six animateurs se serrent pour partager un micro à deux. Ils décapsulent les canettes de bière et font circuler les paquets de chips. Les fumeurs grillent quant à eux leur énième cigarette.
Ce soir, deux appels sont attendus. Le premier vient de Chloé. Il y a 54 jours, cette ex-détenue transgenre a commencé une grève de la faim pour protester contre les maltraitances que subit son époux, Pascal, actuellement au centre pénitentiaire de Caen. Elle a perdu 14 kg et fait des prises de sang tous les 3 jours pour prouver qu’elle a arrêté de s’alimenter.
En deuxième partie d’émission, l’Envolée reçoit l’appel de Lydia et d’Adeline, deux proches de prisonniers. Le fils de la première a été incarcéré à Châteauroux tandis que le mari de la seconde l’est encore à Condé sur Sarthe. Ces deux femmes se sont connues grâce à l’Envolée et ont depuis créé le syndicat PRP, pour la Protection et le Respect des Prisonniers. À l’antenne, elles racontent les pressions qu’exercent les gardiens sur elles et leurs familles.
Le bar de Sylvia, le QG de la petite équipe / Crédits : Inès Edel Garcia
Contre toute forme d’enfermement
Quand ils ne sont pas à la radio, les membres de l’Envolée se retrouvent dans le bar que Sylvia tient près d’une porte du périph, dans l’Est parisien. C’est devenu le QG de la petite équipe ! Les murs sont recouverts de cartes postales et d’affiches jaunies par le temps qui donnent à ce troquet un charme désuet. Comme si le temps s’était arrêté, le temps de purger une peine…
Casquette sur le crâne et ballon de rouge à portée de main, Stéphane feuillette le dernier numéro de L’Envolée, publié à l’automne 2017. Et s’emporte :
« Nous, à l’Envolée, on s’oppose à toute forme d’enfermement, que ce soit les prisons, les centres de rétention, les hôpitaux psychiatriques. Tout ce qui assure un contrôle social, en définitive ! »
Derrière son comptoir, Sylvia s’affaire. Ces dernières années, c’est elle qui a repris les rennes du collectif et qui prépare les émissions de radio. C’est aussi la seule à avoir vécu l’incarcération. « J’ai été prisonnière et fille de prisonnier. J’avais 7 ans quand mon père a été incarcéré. La prison, j’ai grandi avec ! », raconte la femme de 41 ans :
« Ils ont fait du chantage [à mon père] si bien que pendant 2 ans, je n’ai pas pu le voir. Qui on a puni à ce moment là ? Eh bien, c’est aussi la petite fille de 7 ans que j’étais ! Si je me bats aujourd’hui, c’est de leur faute ! ».
Tous les récits que L’Envolée reçoit font remonter plein de souvenirs douloureux à Sylvia. « Certains croient que c’est le Club Med parce qu’on est nourris et logés ! Pourtant, la cellule de 9 m2, les trois douches par semaine, la location du frigo à 5 euros et la surveillante qui piétine la photo de ton enfant, c’est plutôt traumatisant », pose-t-elle tranquillement :
« On finit même par perdre la vue. Les murs sont tellement près qu’on n’a plus l’habitude de voir de loin. »
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