« Je voulais dire un bonjour à tous les prisonniers d’Île-de-France ; les mecs soyez forts, vous allez sortir. Les gars, tenez le coup, faut pas faire de conneries », explique David sur le répondeur de Radio Notre Dame. Il est 17h et l’équipe du Téléphone du dimanche est au complet, bien installée dans un petit studio sans charme. Depuis 35 ans, l’émission diffuse mots doux, encouragements, nouvelles du monde ou salutations d’auditeurs solidaires à tous les prisonniers de France et de Navarre. Elle est diffusée uniquement le dimanche. Le seul jour sans parloir pour les détenus. Animée par des bénévoles, tous catholiques pratiquants, elle se veut une ligne de vie pour ceux qui sont derrière les barreaux, explique Bérangère :
« 70% des détenus n’ont jamais de contact avec l’extérieur. »
Famille bigarrée
En ce dimanche de novembre, c’est Bérangère qui s’y colle en première. La jeune femme de 30 ans, mince dans son jean flottant, prend le micro pour l’émission de radio depuis trois ans maintenant. Virginie, la taulière, tout sourire, est au standard. Depuis dix ans, elle alterne entre ce poste et la présentation. Dès 16h30, elle reçoit les premiers coups de fils, avant que l’émission ne commence. « Vous passerez en premier, comme d’habitude », annonce-t-elle à Yves, un monsieur qui appelle tous les dimanches. Virginie rit beaucoup, prend le temps de demander des nouvelles. Depuis le temps, elle connaît bien les personnes au bout du fil. Elle se rappelle d’un petit garçon qui appelait tous les dimanches, jusqu’à ce que son père soit transféré dans une prison en dehors des ondes de radio Notre Dame :
« Il avait sept ou huit ans et voulait parler à son papa. Il a arrêté d’appeler mais a continué à donner des nouvelles pendant un temps. »
Des proches, des mères de famille, des anciens détenus, croyants ou non… À l’écoute, les témoignages et messages très divers donnent la sensation d’entrer dans la discussion d’une famille bigarrée. Il y a Jacqueline, la maman qui appelle de Guadeloupe pour son fils Frédéric : « J’espère qu’à cette heure-là tu as déjà pris ton repas. (…) Je pense aux détenus qui n’ont pas de maman ou de papa ou de famille, alors ». Marc, un vieux monsieur en maison de retraite, qui joue tant bien que mal du violon à l’antenne. Ce soir, c’était « Petit papa Noël ». « J’ai l’impression de discuter avec des amis. C’est mon rendez-vous du dimanche », confie Liliane. À 73 ans, elle appelle tous les dimanches depuis deux ans. Pour son fils Stéphane, incarcéré à Fleury Mérogis, et pour ses compagnons de cellule aussi. De sa voix gaie, elle « passe toujours le bonjour à ceux que (son) fils connaît » :
« Beaucoup sont très seuls. (Elle) donne des idées de recettes de cuisine, des conseils d’émission, des ateliers auxquels participer. Il faut bien qu’ils s’occupent. »
Habituée de l’antenne, Annie, 75 ans, intervient aussi toutes les semaines. Au début, elle ne faisait qu’écouter et un jour elle s’est décidée, « je lis des poèmes pour leur donner quelque chose de beau ». En plus d’appeler, elle correspond avec Stéphane, « on s’écrit de grandes lettres de deux pages ». Celles-ci sont réceptionnées par la radio, qui se transforme alors en boîte aux lettres. Leurs échanges durent depuis deux ans, « je lui écris comme à un fils » raconte cette mère de famille.
« C’est le seul contact de l’extérieur ou on parle de vous, pour vous. »
Derrière des messages remplis d’espoir, de petites astuces, de chansons, il y a l’inquiétude de ne pas laisser les détenus seuls. « C’est très dur pour les familles d’avoir un proche en prison. Il y en a qui viennent un peu et puis qui les laissent », explique Liliane. Paul (1) ancien prisonnier, est dehors depuis deux ans. Il appelle lui aussi dès qu’il peut, ou laisse des messages par mail, qui sont ensuite lus à l’antenne. « J’ai appelé presque tout de suite en sortant, c’était comme une évidence ». Antoine, lui aussi, écoutait l’émission derrière les barreaux. « Quand vous êtes là-bas, c’est le seul contact de l’extérieur où on parle de vous, pour vous. En prison, vous êtes seulement un numéro, il y a une totale absence d’identité », explique l’homme qui est sorti de taule :
« À 17h, au moment de l’émission, tout le monde est rentré dans sa cellule. On écoute seul si on a une radio. C’est une source de repère temporel. Un rendez-vous dominical. Rien n’existe d’autre. On se demande : qui va appeler ? Qui va parler? Quels messages vais-je recevoir ? »
Aujourd’hui, il est passé de l’autre côté du transistor. Le jeune mec évite, tout de même, d’évoquer ses difficultés à se réinsérer :
« Je veux leur donner de l’espoir avant tout. »
L’après, c’est une préoccupation majeure, poursuit Liliane. Son fils sortira sûrement en début d’année prochaine. Elle multiplie les messages de soutien. « Bon courage aux détenus dans leur démarche parce que c’est le parcours du combattant », lâche-t-elle de sa voix guillerette. Elle aimerait que les regards sur les anciens prisonniers changent :
« Ça fait peur à tout le monde. Il faudrait que tout le monde s’y mette, surtout au niveau politique. Si personne ne leur tend la main c’est normal de récidiver. »
Une émission qui résiste malgré le peu d’appels
Aujourd’hui, le Téléphone du dimanche n’existe que grâce à ses bénévoles. « Être peu nombreux, c’est une fragilité et une force en même temps, pour créer des liens », raconte Bérangère. Souvent, les détenus et leurs proches ont entendu parler de l’émission par les aumôneries en prison. Mais malgré sa longévité, elle reste confidentielle. Jean-Michel, encore un habitué, exhorte tous ceux qu’il croise à passer à l’acte. « Je leur dis toujours: Appelez ! ». Et Paul se demande comment faire en sorte que l’émission soit plus connue, « il faut en parler, les gens en prison s’enferment aussi sur eux-mêmes. Ils attendent que le temps passe. »
Depuis sept ans, le Téléphone du dimanche a perdu en audience. Si aucun chiffre officiel n’existe, le nombre d’appels, lui, a fortement diminué. « Il y a dix ans, on avait 50 appels par émission, on n’arrêtait pas, c’était à la chaîne. Maintenant il y a une dizaine d’appels en moyenne », raconte Virginie. En cause : (probablement) l’augmentation du nombre de téléphone portable qui circule dans les prisons. Paul a constaté « [qu’] il y en a de plus en plus, et il y a des trafics ». Reste que les derniers résistants sont fidèles au poste.
(1) le prénom a été modifié
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