En ce moment

    08/02/2018

    « J’ai peur que cela recommence »

    Insultée, frappée, attachée : une jeune femme sans-papiers dénonce les conditions de son expulsion par la police

    Par Tomas Statius

    Le 20 janvier et 3 février 2018, la police emmène Aminata à l’aéroport pour l’expulser vers le Mali. Sauf que l’intervention tourne au vinaigre : coups de pied, insultes racistes et menaces… La jeune femme a décidé de porter plainte.

    « Pourquoi avez-vous décidé de porter plainte ? », interroge-t-on Aminata (1), alors qu’elle est toujours enfermée derrière les grilles du Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil Amelot. Grésillement sur la ligne. Silence pesant. La jeune femme répond finalement :

    « J’ai déposé plainte parce qu’ils n’ont pas le droit de me traiter comme ça. Ils me traitent violemment. »

    Arrivée en France le 19 octobre 2017, Aminata, 29 ans, est enfermée depuis plus de 40 jours dans cette prison pour sans-papiers, installée à deux pas de l’aéroport Charles-de-Gaulles. La préfecture a décidé de son expulsion au Mali, son pays d’origine. Par deux fois, le 23 janvier et le 3 février 2018, la police a essayé de la faire monter de force dans un avion direction Bamako. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les pandores n’y sont pas allés de main morte. Coup de genou, coup de poing, menaces ad hominem… La jeune femme a vécu l’enfer. Le 3 février, elle a décidé de porter plainte devant le procureur de la République de Meaux pour « violences volontaires sur personne vulnérable de la part de représentants de l’autorité publique ». Elle a également signalé l’incident à l’IGPN.

    Filmée nue

    Le 20 janvier, c’est à 7h tapantes que les policiers viennent chercher Aminata. Son avion est prévu à 9h45, au départ de l’aéroport Charles-de-Gaulle. Pour éviter l’expulsion, la jeune femme se cache dans les toilettes du CRA. En vain, les policiers finissent par la trouver. « Une policière m’a mis un coup de genou dans le dos pour me mettre les menottes. » La jeune femme est d’abord emmenée dans le bureau de la Police aux frontières. On lui demande de signer les papiers relatifs à son expulsion. Elle refuse. Première salve d’insultes. Elle est ensuite transférée à l’aéroport Charles-de-Gaulle où elle attend son vol, pieds et poings liés. « Ils m’avaient attaché les pieds et les mains avec une sorte d’élastique », se souvient la jeune femme.

    L’entrée d’Aminata dans l’avion est plutôt mouvementée. « Je criais, je disais que je ne voulais pas rentrer dans mon pays. » Aminata se débat mais rien n’y fait. Dans la cohue, son pantalon descend, laissant entrevoir son sexe. D’après elle, les policiers auraient filmé toute la scène. « Je pleurais beaucoup mais les policiers continuait à filmer », affirme-t-elle. La scène provoque la sidération des passagers du vol qui protestent contre son expulsion. Au bout de quelques minutes, ils obtiennent gain de cause. De retour au CRA, une policière aurait menacé :

    « Tant que je serai là, tu ne seras pas tranquille. Quand tu vas sortir, on va te mettre en prison. »

    « Je pourrais te tuer et personne ne ferait rien »

    Le 3 février, les policiers remettent le couvert. Cette fois-ci, Aminata n’est pas prévenue de son expulsion, comme c’est d’habitude l’usage. Les forces de l’ordre débarquent dans sa chambre au petit matin. « Ils ne m’ont même pas laissé le temps de m’habiller », se lamente la jeune femme :

    « Ni chaussures, ni soutien-gorge. »

    Un des policiers chargés de son expulsion aurait lâché :

    « Il m’a fait remarquer je n’avais pas de soutien-gorge. Il m’a demandé si j’étais une pute. »

    A l’aéroport, Aminata (1) patiente à nouveau. Les pieds et les mains attachés. « Ils se moquaient de moi », poursuit Aminata :

    « Ils me disaient : “Vous les Africains, vous êtes pas des animaux hein ? Eh bah on va vous montrer que vous êtes des animaux.” »

    Les policiers finissent par l’emmener, à bout de bras, dans l’avion. La jeune femme proteste, comme la première fois. Cette fois-ci, les policiers se montrent plus menaçants, affirme-t-elle :

    « Ils ont appuyé fort sur ma gorge avec deux doigts pour me faire taire. L’un d’eux m’a dit qu’il pouvait me tuer et que personne ne ferait rien»

    Sans succès. Selon le témoignage d’Aminata, c’est alors que les hommes en bleu lui mettent une cagoule noire sur la tête. La jeune femme ne voit plus rien. Elle ne peut respirer que par un petit trou percé au niveau de sa bouche. Choqués, les passagers du vol protestent à nouveau. Les policiers la font redescendre, une seconde fois. « La prochaine fois, on te fera une piqûre », aurait menacé l’un des policiers de son escorte.

    « J’ai peur que ça recommence »

    Aminata n’est pas encore sorti d’affaires. Il reste à la jeune femme quelques jours à tirer au Centre de rétention administrative. Tous les jours, les policiers rappellent à Aminata ses deux expulsions manqués :

    « J’ai peur que cela recommence. »

    (1) Prénom modifiée à la demande de l’interviewée

    Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.

    Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.

    Je fais un don à partir de 1€ 💪
    Sans vos dons, nous mourrons.

    Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.

    Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.

    Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.

    Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.

    Je donne

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER