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    18/05/2017

    « Assa, c’est une black Panther, une guerrière ! »

    Lettre à Adama, le livre d’Assa Traoré pour que le combat continue

    Par Inès Belgacem , Pierre Gautheron

    Assa Traoré sort Lettre à Adama, ce jeudi 18 mai. Un livre qui retrace le combat de toute une famille. StreetPress a voulu prendre de leurs nouvelles.

    « Il faut vraiment que je parte à 12h30 pile. J’ai rendez-vous au tribunal de Créteil, je ne peux pas être en retard », s’excuse Assa Traoré. Son frère, Bagui, est toujours incarcéré à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, en attente de son procès en appel. Pèsent sur lui de fausses accusations selon la grande sœur, qui y voit un moyen de pression : « Il est innocent et nous le savons. Ce procès est un moyen de nous atteindre et de casser la mobilisation. Peu de familles vivent ce que nous vivons. »

    Depuis le 19 juillet 2016 et le décès d’un des leurs au commissariat de Beaumont-sur-Oise, la famille Traoré est sur le devant de la scène, unie. Adama est devenu le visage de la lutte contre les violences policières et eux, les porte-voix :

    « C’est nous qui en avons fait cette icône, pas ceux qui voulaient le salir. Il est important de raconter notre histoire, de rétablir la vérité. On ne laissera personne parler à notre place. »

    Raison pour laquelle elle publie – avec Elsa VigoureuxLettre à Adama, ce jeudi 18 mai. Un livre à la première personne qui retrace le combat de son clan, de la mort d’Adama à aujourd’hui :

    « La parole de mes frères, de mes sœurs, de nos amis et soutiens résonnent à travers moi. »

    10 mois de combat

    Assa balance deux ou trois affaires dans son sac, tourne encore quelques minutes dans son salon, avant que son téléphone ne sonne. La jeune femme de 31 ans vit à un rythme effréné depuis 10 mois. Quelques minutes plus tôt, elle terminait des entretiens pour deux médias différents. Et après sa rencontre avec leur avocat, rebelote. « Il n’y a pas un jour où l’on ne pense pas à lui, pas un jour sans qu’on ne parle d’Adama. Il était tellement aimé », sourit-elle tendrement, avant de répondre rapidement à un SMS. Assa Traoré est devenue la figure de proue du mouvement. Anciennement éducatrice spécialisée à Sarcelles, ce fort caractère se consacre aujourd’hui exclusivement au combat pour la mémoire de son frère :

    « Ça prend énormément de temps, mais ça n’est pas un combat qui me fatigue. On lui doit et on va le porter pour lui et pour toutes les familles dans cette situation. »

    Elle poursuit : « Certains proches sont ravagés par cette affaire ».

    Des carnets pour coucher la souffrance sur le papier

    A Beaumont-sur-Oise, Yssoufe Traoré sirote son soda dans un gobelet de fast-food, assis à une des tables de la terrasse du Bardo. L’établissement est seulement à quelques mètres de l’endroit où son frère s’est fait coincé par les gendarmes, en juillet dernier. « Aujourd’hui, le combat est ancré en nous », assure-t-il déterminé, entouré par une petite dizaine d’amis de la famille. Il embraye :

    « Notre vie a changé. On se réveille avec ce combat, on se couche avec, on ne parle que de ça. C’est pesant parfois. Il y a à la fois la force qu’on s’apporte mutuellement dans la famille, et toujours ce sentiment de faiblesse. »

    Yssoufe était chauffeur de bus avant d’être arrêté et placé en détention. Outrages, menaces de mort et violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique, autant de chefs d’accusation qu’on lui impute. « C’est faux, je jure être innocent. » Depuis, il a perdu son travail. De « l’acharnement », encore, selon la famille :

    « On a déjà perdu un frère et ils en mettent d’autres en prison. C’est dur pour la famille, pour les mamans, pour nos enfants. »

    Sa mère a même reçu des menaces de mort dans sa boîte aux lettres. « On a déjà entendu des gendarmes nous dire “ne fais pas le malin si tu ne veux pas finir comme ton frère». »

    Dans son livre, Assa confie avoir offert des cahiers à ses frères et sœurs, et aux amis d’Adama. Pour qu’ils se confient, pour qu’ils couchent sur papier la souffrance de ce combat. Elle écrit :

    « Il s’est passé tant de choses que nos mémoires épuisées ne suffisent plus à imprimer ce que nous affrontons (…) Ces carnets, nous les avons remplis de gris, de nos mots, de nos dessins, de toutes ces dates, ou même de nos vides. »

    « Notre force c’est le groupe »

    « Ça a toujours été une deuxième maman pour nous, Assa. Elle nous a toujours protégés », sourit Ysouffe. Son ami d’enfance, Mohammed, ajoute à sa gauche : « C’est une combattante depuis toujours. J’étais avec elle en 5e ou en 6e, je ne sais plus. Elle a toujours été comme ça. » Du côté de Boyenval, le quartier de Beaumont d’où viennent les Traoré, Lotfi, Adel et Rédouane rigolent quand on leur parle du tempérament Assa :

    « C’est une Black Panthers ! Une guerrière ! C’est la force du groupe. »

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    Adel et Rédouan posés à Boyenval. /

    « Quand Assa a proposé de faire ce livre, on l’a évidemment tous suivis », raconte Lotfi, qui explique que la grande sœur ne prendrait pas d’initiative sans en discuter avec le reste du comité, Vérité et Justice pour Adama. « On prend les décisions ensemble. Elle est devant et nous sommes tous les petites mains derrière. Quand il y a besoin, elle nous appelle. On sera là ! »

    « Ce n’est pas moi, ou la famille Traoré, qui porte ce combat. C’est Beaumont et les quartiers limitrophes », explique Assa, en attrapant ses clés. Il est l’heure de filer. Dans l’ascenseur, elle confie :

    « Nous sommes vraiment bien entourés. Notre force c’est le groupe. C’est pour ça qu’on continue à avancer. On se soutient, on se pousse mutuellement. Et quand on voit que notre combat s’internationalise, ça ne peut nous faire que du bien. »

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    "On est ensemble, il n'y a pas d'individuel", Lotfi /

    Le combat continue

    Il y a quelques jours, le groupe était reçu à Milan, en Italie, pour un festival sur les Droits de l’Homme. Les médias européens et internationaux suivent les avancées des différents procès. Et le livre devrait être traduit dans plusieurs langues. Assa :

    « Ce livre, c’est une façon de donner notre vérité et d’extérioriser. Mais c’est également des fonds pour continuer de se battre. »

    Les frais de justice liés au procès autour d’Adama, mais également de Yssoufe, Bagui, Yacouba, et d’autres amis visés par les mêmes chefs d’accusation que les frères Traoré, sont importants selon la famille. Tous les bénéfices du livre seront donc reversés au comité. « Cet argent est nécessaire pour continuer le combat. » Assa conclut, avant de partir définitivement pour le tribunal :

    « Notre état d’esprit est intact, comme au premier jour. Nous sommes déterminés. Ensemble, nous sommes fort. »

     Lettre à Adama, de Assa Traoré et Elsa Vigoureux, aux éditions Seuil.

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