Votre BD s’inscrit dans une démarche de pédagogie dissuasive face à la montée du FN. En quoi consiste-t-elle ?
La présidente est une série de bandes dessinées dont le premier tome est sorti en 2015. On y décrit avec Farid Boudjellal ce que serait le quinquennat de Marine le Pen. Ce qu’on a essayé de faire avec cette série de BD, c’est de rendre palpable l’arrivée du FN au pouvoir. Il nous a semblé qu’il y avait un déni grandissant dans la société à ce sujet.
Le monde politique a-t-il joué un certain rôle dans cette montée ?
Dans le monde politique, certains ont joué avec le feu en se disant que rencontrer Marine Le Pen au second tour, électoralement, ne serait peut-être pas une mauvaise affaire. Ils se disent qu’ils éviteront un score serré au profit d’une large victoire de l’ordre de 60 % pour eux et 40 % pour la candidate du FN.
Or l’histoire ne se répète pas. Rien n’est défini à l’avance. Certains ont pensé reproduire un 21 avril 2002 sauf que ça peut se reproduire mais à l’envers. C’est-à-dire une grosse mobilisation au premier tour dans un contexte de tension dramatique. Et une démobilisation au second tour.
Dans les années 80, il y avait une figure populaire comme Coluche qui réunissait les Français face au rejet de l’extrême droite. Aujourd’hui le monde de la culture semble détaché des classes populaires.
Il y a plus généralement un éloignement entre commentateurs et électeurs. C’est ce qui rend difficile, d’ailleurs, la lecture du résultat du second tour. Paul Krugman dans le New York Times avait écrit un article sur “notre pays inconnu” : on connaît mal notre pays et on a du mal à le sonder.
Le monde culturel par rapport à ça, a tendance à s’éloigner du Français moyen. Il peut apparaître comme donneur de leçon et hautain. C’est pour cela qu’on n’a pas fait une BD de caricature. Je ne dénigre pas ce moyen d’expression mais nous ce n’est pas ce qu’on a choisi. On a refusé de caricaturer Marine Le Pen. Car en faisant cela, on met ses électeurs à l’écart. Ça serait une forme d’entre-soi. Notre petit monde dans lequel on en rigole en la stigmatisant.
C’est pour cela que notre éditeur a tenu à ce que notre BD soit disponible dans les supermarchés et les kiosques et pas uniquement en librairie. Nous sommes partis faire des conférences et des signatures dans des zones rurales reculées et pas uniquement dans les centres urbains. Plutôt que de privilégier une diffusion large sur Paris où le lectorat est déjà mobilisé et anti lepéniste.
Extrait de la BD La présidente /
La droite a su se réinventer dans le paysage médiatique moderne à travers des journaux et des productions numériques. Les courants de la gauche ne sont-ils pas restés sur leurs acquis ?
Je suis historien. Quand j’observe sur la longue durée ce qui se passe, je suis inquiet. Car je vois que la résistance risque de ne se mettre en marche qu’au moment où il y aurait une victoire finale de l’extrême droite.
On ne voit pas de sursaut, dans le fond comme dans la forme, d’un camp de gauche républicain. Il y a eu Nuit debout mais ça a fait un flop car il y a eu une difficulté pour le traduire politiquement et dans la durée.
Si dans deux semaines Marine Le Pen perd, rien n’est gagné pour autant. Le FN monte de plus en plus.
Vous êtes pessimiste pour l’avenir ?
Le pire de ce qu’on décrit dans cette série de BD ce n’est pas le 7 mai en lui-même. C’est ce qui va arriver après. Marine Le Pen, c’est Trump sans les institutions américaines et avec l’état d’urgence entre les mains.
Je ne suis pas sûr que l’on mesure la gravité de mettre l’état d’urgence entre ses mains…
Cela mènerait à un État totalitaire. Le second tome s’appelle justement “Totalitaire”.
Et tous les Français seraient frappés par ce totalitarisme. Certes, elle commence avec les étrangers mais avec le dispositif d’état d’urgence, c’est tout le monde qui est touché. La privation des libertés c’est pour tous les Français !
Est-ce que nous, journalistes et gens des médias, n’avons nous pas participé à la dédiabolisation du FN en voulant faire primer le droit démocratique à l’expression ?
Le cordon sanitaire médiatique, s’il fallait le mettre, c’était dans les années 80-90. Aujourd’hui, ce n’est plus possible avec un parti qui réunit 7 millions de voix. L’outre-mer qui bascule, 48 départements, 18 000 communes qui placent ce parti en tête…
C’est un débat qui n’a plus lieu d’être. Le FN est un parti démocratique. En revanche, il n’est pas républicain (exclusion des étrangers de l’école publique, etc.)
Ce qui m’inquiète c’est que la démocratie scelle le sort de la République, le 7 mai prochain.
D’où viendra ce sursaut républicain d’après vous ?
Face à cette vague, on en appelle à une contre-vague humaniste, à une civilisation de la relation. C’est-à-dire qu’il faut traduire dans les programmes politiques l’urgence d’inscrire les classes populaires dans la révolution globale qui est en train de se produire, notamment en construisant une démocratie éducative et formative, la seule en mesure de relever les défis d’aujourd’hui. Si un candidat est capable de répondre à cette question en programmatique et dans le discours, le FN n’existera plus. Mais ce n’est pas pour demain. Pour le moment, on construit des digues mais elles peuvent lâcher.
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