« Marisol, entends-tu notre colère ? », «Touraine m’a tuer ». Depuis une semaine, les infirmiers-anesthésistes (IADE) battent le pavé pour dénoncer leurs conditions de travail. Selon Julien Suard de l’AFIADE, le principal syndicat dans la profession, « 90% de la population des IADE » seraient en grève. Pourtant, contrairement à l’usage, aucun chiffre officiel n’a été communiqué par le ministère de la Santé.
Et pour cause : selon nos informations, les services de Marisol Touraine ont organisé ce blackout en demandant expressément et par écrit aux Agences Régionales de Santé de ne pas remonter de statistiques sur la mobilisation.
Pour les représentants des infirmiers, c’est un coup politique évident. « Ils essayent tout simplement d’étouffer notre mobilisation », dénonce Annabelle Payet, représentante de la profession en Région Rhône-Alpes :
« Leur but est de laisser couler l’affaire pour qu’au final, ils puissent tirer un bilan positif du quinquennat. »
Le ministère de la Santé à la manœuvre
Tout commence par un mail daté du 6 mars. Ce dernier, envoyé à l’ensemble des Agences Régionales de Santé, est signé de la « cellule de veille sociale » de la Direction générale de l’offre de soins, un service directement rattaché au ministère de la Santé. Dans ce message, le Ministère indique aux fonctionnaires de l’ARS qu’il « ne [leur, ndlr] est pas demandé de communiquer [les, ndlr] chiffres de grève ».
Dans la foulée, la consigne est transmise à l’ensemble des directions des hôpitaux. StreetPress s’est ainsi procuré 3 mails adressés à l’ensemble des hôpitaux des Hauts de France, d’Aquitaine, et du Vaucluse.
Les mails en question / Crédits : DR
Les infirmiers anesthésistes montrent les dents
Du côté de la direction des ARS, on est gêné aux entournures. Le samedi 11 mars, Sébastien Baillin, délégué syndical CGT et infirmier-anesthésiste, assiste à une réunion à Libourne (33) en compagnie de la conseillère spéciale de Hollande pour la santé et d’Olivier Serre, directeur de la délégation départementale de Gironde, sorte de sous-section de l’ARS Nouvelle-Aquitaine.
L’homme interpelle son directeur à propos d’un de ces fameux mails reçus par un confrère des Hauts-de-France. L’homme botte en touche. « Ce n’est pas normal, cela ne doit pas se faire. En plus, c’est très mal écrit », lui confie le boss de l’Agence régionale de santé . Il lui assure que la consigne n’a été transmise à aucun hôpital de la région. 3 jours plus tard, Sébastien découvre pourtant qu’un mail similaire a été envoyé à plusieurs hosto de la région.
Le ministère fait la danse du ventre
Pour comprendre ce manège pour le moins original, StreetPress a passé quelques coups de fils au ministère. Première réponse, par écrit :
« Nous vous confirmons qu’aucune consigne n’a été passée aux ARS dans l’optique de minimiser l’impact de tel ou tel mouvement social. D’ailleurs, le ministère pourrait presque se montrer outré d’une telle suspicion. »
Dix minutes plus tard, on retente notre chance, capture d’écran du mail polémique à l’appui. Cette fois, la réaction de la DGOS ne se fait pas attendre. On a même la chance de recevoir notre réponse par téléphone :
« D’après ce que nous comprenons, il y a bien eu un message. Mais le ministère n’a pas cherché à dissimuler le mouvement. Il n’y a pas eu la volonté de cacher quoique ce soit. Nous n’avons simplement pas ressenti la nécessité de faire remonter les chiffres de cette grève. »
La DGOS poursuit son explication :
« Dans la majorité des cas, c’est vrai qu’on requiert les statistiques. Il n’y a qu’une infime partie des mouvements sociaux où l’on estime qu’il n’est pas nécessaire de faire remonter les chiffres. Mais vous savez, les infirmiers-anesthésistes sont des professionnels qui expriment leurs griefs de manière très régulière. »
Pour clore son exposé (et pour retomber sur ses pattes), le ministère de la Santé invoque également le fait que lorsque deux mouvements de grève issus du même corps professionnel se suivent de près, il estime que l’engagement des grévistes reste similaire. Pour la présidentielle, on pourrait simplement reprendre les chiffre de 2012. Pourquoi se prendre la tête ?
Contacté par StreetPress, Olivier Serre et l’ARS des Hauts-de-France n’ont pas donné suite à nos demandes d’interview.
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