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    10/08/2014

    Farid Ghehiouèche raconte son sommet de Vienne

    Un militant anti-prohibition du cannabis à l'Onu

    Par Farid Ghehiouèche

    Depuis plus de 10 ans, Farid Ghehiouèche participe régulièrement à la Commission des stupéfiants de l'Onu. Sur StreetPress, il témoigne de l'évolution des mentalités dans l'instance onusienne.

    Depuis 2003, j’ai assisté à cinq reprises à la Commission des Stupéfiants de l’ONU. Cela me donne une certaine vue d’ensemble, et avec le recul, je suis en mesure d’exprimer aujourd’hui un avis sur l’évolution de la politique en matière de drogues au niveau international.

    Du 13 au 21 mars à Vienne se tenait la 57e session de cette commission, principal organe de décision des Nations Unies pour le contrôle de certaines drogues. C’est elle notamment qui peut décider de retirer une substance du tableau des stupéfiants établi par les conventions internationales.

    Dix ans après ma première visite, je rentre avec de l’espoir.

    Agit-prop En 2003 à Vienne, j’ai organisé avec l’ONG « Encod » la première manifestation internationale devant le siège de la Commission des Stupéfiants (CND). A l’époque, il s’agissait de réviser à mi-parcours la stratégie adoptée en 1998 à New York et dont l’objectif se résumait à son titre-slogan « un monde sans drogue nous pouvons y arriver ». Un frisson m’avait parcouru l’échine en regardant nos ballons chargés de graines de cannabis et de pavot s’élever dans le ciel, au-dessus du Danube. Une belle image qui restera gravé dans ma mémoire, comme celle de la Free Party organisée sur les trottoirs jouxtant les bâtiments de l’ONU, sous l’œil goguenard de la police autrichienne gardant les lieux.

    Je l’ai appris plus tard, mais cette année-là, le comité d’experts de l’OMS avait déjà recommandé le changement de classification du cannabis au tableau des stupéfiants. Ce que malheureusement la Commission des Stupéfiants a toujours choisi d’ignorer.

    Voix des ONG En 2004, j’obtenais le laissez-passer dans l’enceinte des Nations Unies. Pour la première fois, assez timidement, je tentais d’approcher quelques délégués officiels et de mieux comprendre le fonctionnement de cette Commission des Stupéfiants de l’ONU. Surtout son Office de Contrôle International des Stupéfiants. C’est aussi en découvrant la pauvreté de l’argumentation des « mamies » en charge de l’animation du comité des ONG que j’ai entrepris, avec quelques personnes, de l’investir pour le rajeunir. Nos objectifs : le rendre plus opérationnel en tant que plateforme de dialogue entre les ONG, mais aussi donner à cette coalition une vocation plus militante à l’égard des institutions.

    A cette époque, dans ces couloirs onusiens, je me rappelle ma rencontre avec le chef de la délégation française Michel Bouchet. Pour répondre à mes inquiétudes sur l’évolution de la situation de la jeunesse et notamment celle des quartiers dits « sensibles » comme la Goutte d’Or où j’habitais, le représentant de la France osa me rétorquer qu’il y avait « un narcomarketing à la télé poussant à la banalisation de la consommation ». C’était la première fois que j’entendais ce mot, et comme à son habitude la police innovait dans la linguistique pour masquer ses échecs.


    Où est Farid ?

    Prohibition en échec L’an dernier, je constatais la montée en puissance de l’implication des organisations de la société civile qui œuvrent pour une réforme face à l’échec de la prohibition. Aujourd’hui cette critique est aussi portée par des délégations officielles, notamment d’Amérique Latine.

    Le train de la légalisation est en marche. Dans l’État du Colorado depuis le 1er janvier et bientôt celui de Washington, au cœur des États-Unis berceau de la prohibition, ils ont légalisé. En Uruguay aussi.

    Depuis plus d’un siècle, « la prohibition  » a développé l’art et la manière d’intoxiquer les gens avec des mots d’ordre aussi absurdes que « guerre à la drogue », « tolérance zéro », « peine de mort pour les trafiquants » ou « dis merde aux dealers ».

    J’enrage contre le crime organisé généré par cette politique de prohibition. Cet « interdit » ne sert que les intérêts des organisations criminelles et mafieuses. Plus de 10 millions de personnes meurent chaque année parce qu’elles n’ont pas accès aux antidouleurs. En Afghanistan ou en Birmanie, principaux producteurs de pavot, on meurt à l’hôpital par pénurie de sédatif fort à base d’opioïdes ! Oui, il est plus rentable pour les trafiquants de vendre un produit interdit que de fournir des hôpitaux…

    Diplomatie Vue de l’intérieur, cette 57e session de la CND a manifestement mis le cap sur 2016, et le rendez-vous à New York pour une session spéciale de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur les drogues. Pour résumer, si la pénalisation des consommateurs ne semble plus être le remède affiché pour éradiquer les drogues, la généralisation des programmes de prévention des risques sanitaires devient un enjeu prioritaire.

    Quelques anecdotes :

    > En conférence de presse, face à la délégation de l’Uruguay, je demande si « dans les mois qui viennent, à la faveur des évolutions politiques en Jamaïque et au Maroc où des projets de lois sont en discussion, il serait envisageable de développer une chaîne de commerce équitable. » Et oui ! Au nom du développement alternatif si cher à l’ONU, ne pourrait-on pas offrir la possibilité aux Uruguayens de consommer de la Sinsemilla jamaïcaine ou du haschisch marocain ? Le vice-président de l’Uruguay a joué le jeu :

    « Peut-être dans dix ans. Mais pour le moment nous allons étape par étape et nous voulons prendre le temps de bien faire les choses ».

    > Une conférence sous l’égide du Gouvernement autrichien concernait la bonne utilisation du cannabis en médecine. Gilberto Gerra, chef de département à l’Onu, reconnaissait « l’utilisation bénéfique des cannabinoïdes pour lutter contre une multitude de pathologies, sans trop d’effets négatifs ». Puis il évoquait même « un trésor, qui reste encore à découvrir » :

    « Dans les 70 éléments du cannabis dont on connaît un peu la composition, nous n’avons pas encore suffisamment de travaux de recherche sur quatre d’entre-deux, dont le Dronabinol (THC) »

    Même si les progrès sont lents, la multitude de signes encourageants pèse positivement. Comme souvent dans la diplomatie, au nom d’un consensus universel, on fait trois pas en avant, deux pas de côté et puis un pas en arrière, comme dans une sorte de valse … de Vienne !

    En Afghanistan, on meurt à l’hôpital par pénurie de sédatif !

    bqhidden. Ne pourrait-on offrir la possibilité aux Uruguayens de consommer de la Sinsemilla jamaïcaine ?

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