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    22/11/2013

    Le producteur du groupe culte refait l'histoire du rap en France

    Maître Madj d'Assassin : « L'engagement politique dans le rap est un mythe »

    Par Yannis Tsikalakis

    Maître Madj d'Assassin revient sur 40 piges de musique dans les quartiers. A coup de punch-lines il démonte le mythe du rap politisé. « Comme disait Ice-T, entre un label indé et une major company, c'est juste la taille du mac' qui change. »

    Maître Madj est l‘« homme de l’ombre » et la conscience politique du groupe Assassin. Fin 1992, il monte « Assassin production » autour du groupe culte du rap français. Vous croyiez le mec disparu, en même temps que la conscience politique des quartiers ? Finalement on l’a retrouvé pour une interview en voiture, sur le trajet de retour de son taf’ alimentaire. Il n’a pas pour autant délaissé la musique. Il distille régulièrement ses DJ sets éclectiques dans les bars de l’Est parisien. Une bonne demi-heure de caisse pour tenter de percer un mystère : le rap, c’est de la politique ?

    Ça écoutait quoi comme musique dans les quartiers au début des années 80 ?

    Il faut revenir un petit peu avant, on ne peut pas ne pas évoquer les années 70. Il y a plusieurs choses. Il y avait un gros mouvement rock and roll de rue, les rockers. Dans toutes les cités il y avait des bandes de rockers, les descendants des blousons noirs des années 60. Ils écoutaient le rock and roll des pionniers : Gene Vincent, Eddie Cochran, Elvis. Ensuite dès la deuxième moitié des années 70, il y a une forte identification à la black music américaine. On écoutait beaucoup de James Brown, de Curtis Mayfield, de Barry White, surtout les rebeus, certains antillais aussi, il n’y avait pas encore de jeunes africains dans les cités. Le rock « classique » des 70’s : Led Zeppelin, les Doors étaient également très présents. Et pas que chez les jeunes français, beaucoup de jeunes rebeus connaissaient les Stones. La société française n’était pas si compartimentée que ça.

    C’est aussi le début du rap, aux États-Unis en tout cas…

    En 83 en France, il y a la grande vague smurf, mais c’était finalement une mode de gamins. C’était pas très profond, la plupart des mecs avaient 14-15ans. Le rap n’était pas présent dans les quartiers. Grandmaster Flash ça passait dans le funk. Enfin ce qu’on appelle la funk dans les quartiers populaires, c’est du disco-funk, comme les trucs du label Solar : Midnight Star, Shalamar… Le funk en tant que tel, brut de décoffrage, est en fait très peu écouté.

    Il faut attendre les années 90 pour que le rap devienne la musique dominante dans les quartiers ?

    Il a fallu des hits radio comme le Mia pour que le rap pénètre dans les quartiers, pour que ça devienne un truc populaire auquel les jeunes des quartiers s’identifient, parce que ça parle de leur truc. Avant ça, le rap c’était plus un truc de branchés.


    Clip – Un des plus grands classiques du rap conscient

    Avant, le rap c’était plus un truc de branchés

    Le rap français c’est une identité nouvelle qui se crée ? Par rapport au côté titi parisien, au banlieusard à l’ancienne.

    C’est le contraire. Le rap français ne va pas influer sur le comportement, les us et coutumes, les usages de langage. C’est ce qui se passe dans les quartiers qui alimente le rap. Le verlan, les expressions de manouche… Quand le rap est arrivé en France, c’était du mimétisme par rapport à ce qui passait aux Etats-Unis. Mais les quartiers français ne sont pas les quartiers américains. C’est ce qui se passe dans l’environnement d’une production artistique qui l’influence et pas le contraire.

    C’est les major companies, qui ont mis l’accent sur le côté bad boy du rap ?

    Les majors ont pris les choses en main depuis le début. A l’époque de Rapattitude [1990 NDR], elles sont déjà là. C’est une histoire de commerce. Ensuite, Ils ont senti que le côté mauvais garçon allait marcher. C’est ce qui fait que le côté «chiffonnier – mange merde », est l’identité qui domine dans le rap français. C’est pour ça que par certains égards, il ne véhicule rien de fondamentalement intéressant.

    Pourtant il n’y a pas eu que ça, notamment quand tu faisais partie de cette scène.

    A l’époque où j’étais dedans, le règne du rap dit « de caillera » commençait à peine, mais c’était plus dans un souci identitaire, que dans un souci de se la raconter. L’ affirmation de l’identité des mecs de banlieue était une réaction au truc d’emprunt américain. Ça mettait en avant le côté français. Quand j’ai commencé à entendre certains mots d’argot dans le rap, je me suis dit que ça devenait intéressant, qu’on sortait des anglicismes et que ça allait commencer à parler à plein de gens qui allaient se retrouver dans quelque chose qui leur ressemble.

    Par certains égards, le rap ne véhicule rien de fondamentalement intéressant

    Il y avait un côté militant, engagé à l’époque.

    L’engagement politique dans le rap c’est un mythe. On était isolés. On a été 3-4 à faire ça. Le rap français a été très peu politique. Certains se mettaient à faire du rap avec du texte, avec du sens, engagé, mais c’était aussi une sorte de mimétisme, parce que c’est aussi avec Public Enemy que certains ont découvert le rap. La plupart des textes un peu politiques, il en reste quoi ?

    Les textes d’Assassin étaient teintés de marxisme, pourquoi la rencontre entre rap et militantisme de gauche ne s’est-elle pas faite ?

    C’est une dimension que j’ai amenée et que je revendique. Je pense que la rencontre ne s’est pas faite parce qu’au début des années 90, après la chute du mur de Berlin, on entendait que l’idéologie est morte, qu’il n’y a plus de classes sociales, que la lutte des classes c’est de l’archaïsme. Certains, comme moi, avaient les bagages culturels pour comprendre que c’était une esbroufe. Mais certains ont été bercés par ce genre de discours idéologique. Dans les années 70-80, il y avait une conscience de classe. La Marche des Beurs de 83 n’aurait pas eu lieu si ce n’était pas le cas. Il faut avoir une conscience de sa classe pour dire « je suis fils de travailleur immigré ». Les mecs savaient que leurs pères étaient des ouvriers.

    Il y a le côté idéologique, mais il y a aussi la facilité. NTM quand ils allaient à la télé ils disaient « arrêtez de nous parler de politique, parlez-nous de musique »… IAM c’était pareil ils disaient « y’en a marre, on nous pose toujours des questions sociales ». Si ce n’est pas votre truc dites-le. Le politique, c’est pas à 10 heures du mat c’est ton truc, à 14 heures c’est plus ton truc. Même nous, avec Assassin on avait des paradoxes. La rébellion a une aussi valeur marchande dans cette société. Notre positionnement c’était notre fonds de commerce. Mais on est allé au-delà parce qu’on s’est imposés d’agir notamment au travers de concerts de soutien. On avait aussi notre site internet dans lequel on se faisait les relais de causes qui nous semblaient justes.

    Ces démarches engagées on les retrouvait plus dans le rock alternatif. Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de passerelles avec le milieu rap ?

    Bien sûr, on les retrouvait plus dans le rock alternatif. Je pense qu’en France dans le milieu rap, il y a un grand problème de culture. La plupart des gens ne savent pas ce qu’est la culture rock. Il y a une image d’Epinal selon laquelle le rap, le hip-hop, c’est des durs et le rock c’est des petits bouffons. Mais dans mon parcours, j’ai croisé certainement des mecs plus burnés dans le rock que dans le rap. Je ne te parle pas de faire le coup de poing, mais de cohérence entre le discours et le degré d’investissement. Des gens capables d’aller au bout de ce qu’ils disent, de ce qu’ils sont. Pour faire un concert de soutien dans le milieu du rap, il fallait se lever très tôt. Tout le monde te trouvait toutes les raison possibles et imaginables pour ne pas y participer.

    La plupart des textes un peu politiques, il en reste quoi ?

    J’ai croisé certainement des mecs plus burnés dans le rock que dans le rap

    Après, le côté matérialiste est devenu plus assumé ?

    C’est plus assumé parce que c’est aussi plus véhiculé globalement dans la société genre :  « On s’en bat les couilles de la culture, l’essentiel c’est la thune ! ».

    Avec la crise de l’industrie du disque, le recours à l’autoproduction, les mentalités peuvent-elles changer ?

    Je ne crois pas que le fait d’être producteur indépendant te donne une éthique particulière. On n’est pas indé par conviction, mais par nécessité. Comme disait Ice-T, entre un label indé et une major company, c’est juste la taille du maquereau qui change. C’est une métaphore un peu poussée, mais en fin de compte, c’est assez juste.

    Le succès du rap a-t-il quand même été bénéfique pour la visibilité des habitants des quartiers ?
    En musique, j’en ai rien à cirer de la visibilité des noirs et des arabes ou autre minorité, moi ce qui m’intéresse, c’est la qualité de la musique. Est-ce que ça participe à entretenir le patrimoine culturel de l’humanité ? Si c’est pour faire de la musique pourrie, faites autre chose. Personnellement, j’écoute surtout des choses antérieures aux années 2000. Peut-être qu’on a fait le tour, que tout a été dit. Je ne sais pas… Je n’ai pas l’impression qu’aujourd’hui, on vive, en termes de musique, ce qu’on pouvait vivre il y encore 20 ans.

    Pour tomber sur un des mix de Madj aux côtés de DJ Requiem ou encore Viktor Coup?k, le suivre sur son facebook

    bqhidden. On n’est pas indé par conviction, mais par nécessité

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