Pour une « cigarette roulée », un joint peut-être, Yannick est interpellé devant son collège. Dans le véhicule de police déjà, les agents dépassent la limite : quelques claques et des insultes jetées à la figure de l’adolescent insolent. Mais c’est arrivé au commissariat du 19e que son calvaire commence vraiment. Plusieurs policiers le rouent de coups. Il sortira de 24 heures de garde à vue, le visage en sang et le coude cassé. L’Inspection générale des services, a ouvert une enquête.
Dossier
« Regardez ce qu’ils ont fait à mon fils ! » Ousmane(1) tend une photo. Sur l’image, le visage de l’adolescent semble comme déformé. Sa peau, d’ordinaire ébène, a viré au bleu autour de l’œil. Quelques croutes ici où la témoignent de la violence des coups. « Vous vous rendez compte, ce sont les flics qu’ont fait ça. » D’une épaisse pochette, l’homme tire une liasse de documents : son dossier médical. Quatre jours d’hospitalisation pour une fracture causée par une torsion du bras gauche, assorti de complications et 31 jours d’ITT (Incapacité Totale de Travail). Une durée exceptionnellement longue. Dans le petit appartement du 19e arrondissement, le principal intéressé n’est pas là. « Il a envie d’oublier », explique son père. « En public il fait son fier. A 15 ans c’est normal ! » Mais en privé c’est autre chose. « Il pleure la nuit et il me demande ‘papa, pourquoi moi ?‘»
Quelques jours après, Yannick(1) accepte finalement de nous rencontrer. T-Shirt imprimé, jogging noir, baskets. La dégaine banale d’un adolescent de 15 ans, si ce n’est le plâtre qui lui immobilise le coude. « Encore presque deux semaines, ils doivent me l’enlever le 19 », lâche le gamin visiblement soulagé d’en voir le bout. Déjà plus d’un mois qu’il a le bras en écharpe. « Ca m’empêche de dormir », lâche-t-il laconique. Tandis qu’il engloutit une glace, il raconte son histoire. Le ton est monocorde, le visage fermé. Il concèdera à peine « y repenser souvent » et ne « pas trop aimer en parler».
Ze story
Mais que s’est-il passé au commissariat du 19e, le lundi 27 mai en fin d’après-midi ? Devant son collège du 19e arrondissement, Yannick, élève en 3e, squatte un banc, « une cigarette artisanale » à la main. Le lendemain, il sera contrôlé positif au cannabis. Lui affirme avoir fumé le dimanche, mais qu’importe.
Une voiture s’avance dans la rue. « Police ! Police ! », crie « un de [ses] potes ». Yannick balance sa « roulée ». Deux agents, un homme et une femme, s’approchent du gamin. « Levez-vous ! », lâche la femme. « Pourquoi ? », répond l’insolent. L’homme, déplie alors ostensiblement la matraque télescopique. Sans un mot, il attrape Yannick par le bras et l’attire sous un porche. Du côté du collège Sonia Delaunay on confirme la scène, sans en savoir plus sur la suite. En effet, si jusque-là deux assistants d’éducations sont témoins des événements, la suite se fera à l’abri des regards indiscrets.
In the death car
Selon le collégien, le policier lui demande « Pour qui tu te prends ? » « Pour personne » répond Yannick. Là, l’agent l’aurait violement attrapé à la gorge. « Il m’a serré le coup en me plaquant contre la porte », raconte Yannick. En guise de preuve, son père montre une autre photo. On aperçoit nettement des marques violacées autour du cou. « Je n’ai pas peur de toi », aurait répondu fanfaron l’adolescent. « De toute façon on va t’embarquer ». Le policier lui passe les menottes. « Il m’a carrément jeté à l’arrière de la voiture. »
Toutes sirènes hurlantes, le véhicule rejoint le commissariat de quartier. Au volant une femme policière. Sur le siège passager, l’homme qui l’avait attrapé à la gorge. Yannick est assis juste derrière. À ses côté, une autre fonctionnaire de police. La tension monte. L’agent balance trois claques coup sur coup. « Assez fortes quand-même ». Yannick lâche un « petit pédé ». En guise de réponse, un très peu protocolaire « enculé, tu vas voir au commissariat ». Arrivé au poste de police du 19e, il est sorti du véhicule. « Je me suis débattu », raconte l’adolescent. De force, il est jeté en cellule. Autour de lui quatre agents. « Je me suis assis sur le banc ». Le policer, visiblement toujours hors de lui, enlève les menottes du gamin avant de dégrafer sa propre ceinture à laquelle ses armes sont fixées. Il la pose à l’extérieur de la pièce.
Punching ball
« Lève-toi ! », « J’ai obéi ». Sans prévenir, un premier coup de poing le cueille au coin de la bouche. « J’ai essayé de me défendre et de lui en mettre un aussi », assure Yannick. Sans succès. Puis un second policier lui décroche un coup, toujours au visage. C’est l’œil qui morfle. « Je suis retombé, assis sur le banc. » Ensuite il se saisit de Yannick, lui fait une clef de bras. Le premier agent monte sur le banc : « il m’a balancé deux coups de pieds dans le coude, alors que l’autre me bloquait avec la clef de bras. » Le coude est cassé, ce qui n’empêche pas un agent de lui remettre les menottes. Yannick pense que la tempête est passée, mais le policier le plus violent revient à la charge. Coup de pied dans les couilles. « J’étais vraiment sonné ». A l’entrée de la cellule, plusieurs agents observent la scène sans broncher.
Yannick demande à aller aux toilettes. « A la sortie, ils m’ont fouillé ». Puis direction le hall d’accueil du commissariat. « Ils m’ont menotté le poignet droit à une chaise en métal et j’ai attendu là ». Finalement, il est emmené dans le bureau d’un officier de police judiciaire. On prend ses empreintes, photos, relevé d’identité : « ils m’ont demandé mon nom, mon âge, mais je n’avais pas ma carte d’identité ». A ce moment seulement, on lui signifie sa mise en garde à vue. Yannick demande à voir un avocat et un médecin. « Il viendra dans la soirée », lui répond le policer. Les parents de Yannick sont prévenus. Sa mère se rend immédiatement au commissariat. « Elle a attendu trois heures sur un banc. Je ne savais même pas qu’elle était là. Finalement, ils lui ont dit de repartir et qu’elle serait prévenue quand la garde à vue serait terminée ».
Il pleure la nuit et il me demande ‘papa, pourquoi moi ?
Oh my doc ! L’avocat commis d’office n’arrivera qu’aux alentours de minuit. « Quand j’ai donné son nom à l’accueil, une voix s’est élevée du fond de la salle – ‘je suis sa mère’ – J’ai à peine eu le temps de lui expliquer que pour le moment, je ne pouvais rien lui dire. Quand je suis reparti elle n’était plus là. » Maître Desgranges rejoint son client : « J’ai découvert l’adolescent complètement hagard. Il avait la bouche tordu à cause d’un coup et il se tenait le bras. » Il s’entretient quelques minutes avec lui pour qu’il raconte sa soirée infernale. « Il parlait sur un ton monocorde, on voyait qu’il était choqué ». Ensuite, il assiste l’adolescent pendant son interrogatoire. Yannick est ramené en cellule. « Je me suis endormi sur un matelas jaune ».
Au réveil, plusieurs agents viennent le chercher et le conduisent chez le médecin. Un prélèvement d’urine se révèle positif au cannabis. « Il a aussi noté que j’avais des marques au visage ». Quant à son coude, le doc lui lance un « ça passera ». Il conclut à 3 jours d’ITT comme le montre un document de la procédure auquel StreetPress a eu accès. L’expertise de l’Unité Médico Judiciaire, elle, attribuera 31 jours d’ITT, tandis qu’une expertise faite à l’hôpital conclura à 45 jours d’ITT… Le premier docteur est donc passé à côté de la fracture. Retour au commissariat, nouvel interrogatoire. Finalement il ne sera relâché qu’à 18 heures après 24 heures de G.A.V avec le coude toujours cassé.
Boeuf-carotte
« On ne peut pas laisser passer ça », lâche le père encore en colère. Une plainte contre X a été déposée pour « coups et blessures volontaires en réunion (…) par des personnes dépositaires de l’autorité publique, sur mineur de quinze ans », par maître William Bourdon, l’avocat qui suit désormais le dossier. Joint par StreetPress, le ministère public confirme que l’Inspection Générale des Services – la police des polices – a ouvert une enquête. La Préfecture de Police, n’a quant à elle pas répondu à nos sollicitations. Yannick, de son côté, espère, sans grande conviction, « que les coupables seront condamnés ».
Le jeune homme a du mal à se remettre du passage à tabac. « Depuis ça, il ne va plus en cours », raconte son père visiblement un peu débordé par la situation. « Je suis très fatigué et je n’arrive pas trop à dormir. » Le collège lui propose de ne passer son brevet qu’en septembre. Après il doit rentrer en seconde gestion.
*les noms ont été modifiés à la demande des témoins
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