Mardi 2 juin 15h, ambiance pots de peintures et coloriages au siège de l’Acort (Assemblée citoyennes des originaires de Turquie), à Strasbourg Saint-Denis. Une dizaine de jeunes est en plein brainstorming sur des slogans et prépare des banderoles pour un rassemblement de soutien prévu le soir. « Vire les photos avec des drapeaux, on ne doit se laisser récupérer par aucun mouvement politique », râle Orhan. Son accent le trahit, mais le jeune homme se présente comme un citoyen du monde et voudrait interdire les drapeaux turcs à la manif. « Je soutiens tous les peuples qui luttent pour leur liberté, en Turquie comme ailleurs ». Sur son site web, l’Acort affirme carrément qu’il s’agirait d’une lutte internationale altermondialiste. Tout un programme.
Sur les pancartes, on trouve du #occupytaskim et des photos récupérées sur un Tumblr stambouliote. Eda, en robe à fleurs, insiste sur l’importance de Facebook dans la mobilisation :
« On a créé l’événement vendredi et il s’est répandu sur le net comme une trainée de poudre. »
Gürsoy, a, lui monté un blog pour traduire en français les témoignages de ceux qui manifestent sur place. De Paris, la jeunesse turque aimerait prendre sa part au mouvement, et singe les codes des indignés, d’Occupy, et des printemps arabes à la fois.
Rivalité A 19 heures, fontaine des Innocents, plusieurs centaines de personnes sont réunies. Mais en plus de notre petite bande d’Indignados, des fans d’Atatürk, des anarchistes kurdes et des militants communistes défilent côte à côte au soleil. « Ce mouvement a permis de fédérer tout le monde », veut croire Alim, avec sa grande barbe blanche, qui distribue des fascicules d’extrême gauche. « Nous sommes les Çapulçu (sans-culottes), tous ceux qui n’ont pas leur place dans la Turquie d’Erdogan ». Un terme employé par le premier ministre pour critiquer les manifestants, devenu depuis symbole de ralliement de tous ses opposants.
Pas loin de jeunes avec t-shirts à l’effigie d’Atatürk, le drapeau rouge du MLKP (Parti communiste marxiste-léniniste du Kurdistan) est brandi. Des mouvements politiques ennemis jurés depuis un siècle, et dans les coulisses de la manif, les dissensions persistent. « Il y a eu des violences au début du rassemblement car certains groupes d’extrême gauche n’ont pas supporté qu’on brandisse le drapeau de la Turquie », tacle une manifestante.
Certains groupes d’extrême gauche n’ont pas supporté qu’on brandisse le drapeau de la Turquie
Barbouzes Dimanche 9, c’est la manifestation du mouvement kémaliste le TGB, l’Union de jeunesse de la Turquie, sous la pluie fine du Trocadero. Ercan, un des leaders, n’hésites pas tirer sur les organisateurs de la manif du mardi. « L’Acort cherche à récupérer politiquement le mouvement de contestation. Nous sommes là pour défendre l’héritage d’Atatürk. La liberté, la laïcité, ce n’est ni de droite ni de gauche. »
Posters, t-shirts, drapeaux, Atatürk est partout. Il y a quelque chose de quasi-religieux dans le culte que vouent tous ces manifestants au « fondateur de la Turquie moderne ». Ercan, ex-directeur artistique chez Publicis a tout plaqué pour rejoindre Istanbul il y a deux ans. Il manifeste « aussi pour combattre l’impérialisme américain qui cherche à déstabiliser la Syrie et l’Iran pour récupérer les puits de pétrole. »
Avec ses lunettes noires et son béret vissé sur le crâne, une de ses camarades la joue parano. Elle craint pour ses biens en Turquie et préfère rester anonyme. « Je viens la incognito, car Erdogan envoie ses sbires dans les manifs pour nous ficher ». Une heure plus tard, les faits semblent lui donner raison. Quatre types en costumes se présentent comme des « touristes de passage » et prennent des photos des manifestants. Ils assurent à tout le monde qu’à Istanbul tout est rentré dans l’ordre et qu’il ne sert plus à rien de manifester. « Ils étaient déjà la mardi et ont agressé ma fille à la fin de la manif » assure la femme aux lunettes noires.
Dur, dur Ercan compte bien continuer à manifester jusqu’à la chute du régime. « Il a été élu en trafiquant les votes électroniques, on peut le renverser ! ». Mais pour Yagmur, 23 ans, il est temps d’arrêter. « Cela va nous décrédibiliser si on continue ». En vérité derrière l’enthousiasme général qui règne lors des rassemblements, peu espèrent le grand soir. « Le pays est encore pauvre, et les islamistes de l’AKP savent parler aux couches défavorisées ». Pas facile de « combattre un dictateur » quand il a été élu par les urnes.
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