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    14/05/2013

    « Le plus dur, c'est de ne pas perdre son sang-froid »

    Avec les bénévoles des hotlines anti-suicide

    Par Youness Rhounna

    Ils reçoivent plus de 20.000 coups de fil par an. Mais « les écoutants » de Suicide Ecoute et SOS Amitiés ne sont pas de simples bénévoles : ils suivent une formation pendant 6 mois. Des pros, comme Gilles, qui entame sa 2e année.

    Tapez « suicide » dans Google, et le numéro de SOS Amitié apparaîtra à côté d’un petit téléphone rouge. A l’autre bout du fil, des « hotlines » sont là pour aider ceux qui veulent en finir. Comme Gilles, la cinquantaine, qui vient d’attaquer sa deuxième année en tant « qu’écoutant » à Suicide Ecoute, une autre association.

    Des appels graves à la « hotline »? « Pas forcément. Mais les coups de fil sont toujours tristes », précise le bénévole au look de professeur de lettres. Surtout, ne pas faire la morale et être toujours concentré pour écouter les «appelants». Durée moyenne d’un appel : 20 minutes. Ils en reçoivent plus de 21.000 par an. « Les appelants disent ce qu’ils ne diraient pas à leur psy », insiste Michelle, une ancienne écoutante de SOS Amitié, qui ajoute: « Des fois on les reconnait, donc eux aussi ».

    Bonne ambiance Avant de devenir bénévole à SOS Amitié ou Suicide Ecoute, il y a 5 à 6 mois de formation avec un psychiatre et un médecin psychologue. La motivation des bénévoles est testée. Surtout, on s’attache à l’équilibre psychologique du futur écoutant. Gilles le reconnait : « Le plus dur, c’est de ne pas perdre son sang-froid. »

    Dans le local derrière la place de la Nation, le poste d’appel est doté d’un lit pour ceux qui font les permanences de nuit. Le turn-over est important. Mais à écouter l’équipe encadrante, aucun bénévole ne terminerait démotivé par les 4 heures de permanence par semaine, passées à écouter les plaintes des suicidaires. Un écoutant de SOS Amitié a même fêté ses 50 ans de bénévolat en 2009.

    « Perclus d’angoisse et de désespoir, à la fin, beaucoup sont apaisés. Et ça fait plaisir ! » témoigne Michelle pour justifier cette bonne humeur. Gilles aussi se satisfait des bons résultats : « Quand on a envie de quitter le monde ou qu’on a des idées noires, notre ligne d’écoute est un point de lumière. »

    Quand on a envie de quitter le monde ou qu’on a des idées noires, notre ligne d’écoute est un point de lumière

    Abandon D’après Gilles, cette ligne d’écoute est indispensable : « On est dans une société de communication, pourtant Suicide Ecoute est nécessaire pour s’épancher. » Il déplore une société où on ne se «déverse» pas assez. « Casque audio sur la tête, on n’est même plus entendu ! » Quant au rôle des proches, la présidente de l’association Isabelle Chaumeil-Gueguen est amère :

    « Soit il n’y a plus d’entourage, l’affaire est réglée ; soit la distance s’instaure parce qu’on ne veut plus s’en occuper. »

    75 % des appelants souffrent d’une pathologie : schizophrénie, troubles bipolaires, etc. Suivis, ils vivent dans la peur de retourner en hôpital, lieu invivable, ou d’un nouveau traitement assommant. Suicide Ecoute leur permet de se plaindre sans conséquences. Parfois agressifs, ils vivent tous dans une grande solitude. Conscients de leur maladie, ils souffrent de cette « folie qui ne se guérit pas ». Isabelle, devenue boss après des années de bénévolat, témoigne : « Ils n’ont pas tellement envie de mourir, ils veulent que cela cesse. »

    Allo ? Des histoires touchent plus que d’autres. Même s’il est très rare d’avoir quelqu’un qui appelle « la corde au cou », Isabelle se souvient de l’appel d’un jeune de 18 ans qui l’avait profondément marquée. Sur le coup, elle n’y croit pas : il s’était tiré une balle dans la tête avec le fusil de son grand-père, pour une histoire de cœur. Du Sud de la France, le garçon s’en était allé rejoindre sa bien-aimée à Paris. Malheur : il découvre qu’elle était déjà « casée ». De retour chez lui, le jeune homme passe à l’acte et, tout de suite après, appelle Suicide Ecoute. Peu à peu, il perdait conscience : « “J’ai froid, je ne vois plus”, qu’il disait. » Isabelle Chaumeil-Gueguen explique que l’adolescent avait refusé d’appeler les secours pour «ne pas faire du tort aux voisins et à sa famille». C’est donc la présidente de Suicide Ecoute qui s’en est chargée. Elle est restée en ligne jusqu’à ce que les pompiers interviennent et sauvent le jeune.

    La corde au cou

    Profils Le jeune homme a fait un « raptus » : un passage à l’acte immédiat. « Ne jamais prendre les ruptures sentimentales à la légère » affirme très sérieusement Isabelle, qui croit savoir que les hommes vivent les ruptures bien plus mal que les femmes. D’ailleurs, ce serait elles qui seraient à l’origine de la majorité des séparations.

    Ce sont les 25-65 ans qui se suicident le plus, très souvent à cause de problèmes de travail et de précarité. Mais elle distingue les jeunes, qui sont incapables de se projeter dans l’avenir, des vieux, qui « se suicident en silence » parce qu’ils pensent être devenus un poids.

    Le point commun, c’est le sens de notre vie qu’on croit perdu. Au fil d’une conversation, les bénévoles « pointent le positif » : aider le voisin à faire ses devoirs, coudre, penser à l’amour pour ses animaux. Tout peut redonner espoir, et verbaliser le suicide permet de désembuer l’esprit.

    Ne jamais prendre les ruptures sentimentales à la légère

    Money A l’origine, Isabelle Chaumeil-Gueguen détestait le côté «catéchisme» du bénévolat. Aujourd’hui, au bout de 9 ans à la présidence de l’association, ce qui « la gave », c’est de se « taper des réunions » avec les fonctionnaires qui lui octroient des subventions. La lourdeur administrative est en décalage avec leur travail d’écoute.

    D’ailleurs l’anonymat de Suicide Ecoute en dérangerait certains. Les pouvoirs publics lui auraient demandé de le lever pour « prendre en charge » (terme qui la rebute) les appelants. « On cherche des responsables pour tout » déplore-t-elle. Et Isabelle de noter que les bénévoles ont déjà le droit d’appeler les secours sur une intuition.

    Suicide Ecoute manque aussi de moyens. Humains, déjà. Matériels, aussi. Son budget de fonctionnement est évalué à 15.000 euros par an. Le loyer est élevé et le ministère refuse de le prendre en charge, préférant subventionner les campagnes de communication. La mairie de Paris octroie 3.500 euros, tandis que les mutuelles – « pour qui le suicide est un coût », donnent 6.000 euros. Le reste, ce sont des dons privés. Isabelle en appelle à la générosité des citoyens et fait remarquer que « l’argent n’a pas d’odeur ».

    « Il est lui aussi anonyme ! »

    L’argent n’a pas d’odeur

    Warning : Les noms des deux écoutants ont été modifiés

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