Métro Barbès (Paris), aux alentours de midi. Dès la sortie de la station de métro, des vendeurs à la sauvette hèlent les passants pour leur vendre des paquets de cigarettes. Près de là, des groupes de jeunes hommes se pressent contre les balustrades et interpellent des jeunes femmes qui passent par au loin. Quelques mètres plus loin un fumet de marijuana, mélangé à celui du maïs que l’on grille sur un chariot de fortune, vient vous envahir les narines. Vers la rue de la Goutte d’Or, des femmes assises par terre vendent des marchandises diverses. Au milieu de ce fourmillement, une voiture de police passe, mais ne s’arrête pas.
La zone de sécurité prioritaire, ici, les habitants savent vaguement ce que c’est. On retient surtout que Manuel Valls veut mettre un peu d’ordre dans tout ça. Le propriétaire d’un bazar du quartier n’est pas très optimiste : « Il y en a déjà des policiers. Et les CRS on les voit aussi mais ils ne viennent que quand il n’y a personne, le soir. » Un autre commerçant du boulevard de la Chapelle peste : « Vous la voyez, vous, la police ? Il suffit d’être un peu dans le quartier pour voir que rien n’est fait. J’espère que le ZSP changera quelque chose. » C’est ce qu’espèrent aussi Daniel Vaillant maire du 18e arrondissement et Myriam El-Khomri adjointe à la tranquillité publique qui se sont félicités, dans un courrier adressé aux habitants, de voir le quartier de la Goutte d’Or classé en ZSP.
1 Pourquoi une ZSP dans le quartier Goutte d’Or-Château Rouge ?
Dans son courrier, la municipalité énumère les principaux problèmes du quartier : « La vente à la sauvette, la vente d’alcool dans les commerces non habilités, sa consommation sur la voie publique, et les conséquences de cette consommation (regroupements, tapages, miction sur la voie publique), le trafic de stupéfiants, les vols violence, la prostitution et la malpropreté ambiante ont largement dégradé le cadre de vie. »
Le périmètre : C’est l’ensemble du quartier qui est concerné de la rue Ordener au Nord jusqu’au Boulevard de la Chapelle, et à l’Est, le Boulevard Barbès jusqu’à la rue Stephenson. Pour consulter la liste des 14 autres ZSP, c’est “ici”:http://www.lexpress.fr/actualite/societe/la-liste-des-15-zones-de-securite-prioritaires-devoilee_1146266.html
Certains habitants se disent excédés. Comme Jérôme, 39 ans, interrogé par Libération : « Rentrer du restaurant le soir avec sa fille de 6 ans et voir une prostituée turluter un mec en pleine rue, moi, ça me saoule […] J’espère que la ZSP changera quelque chose ».
Joint par StreetPress, Christine Ledésert, directrice du centre social « Accueil Goutte d’Or » est sceptique sur les critères qui ont prévalu à ce classement tout en reconnaissant des problèmes :
« Encore une fois on stigmatise la Goutte d’Or. Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’insécurité. C’est vrai que les vols à l’arraché se sont multipliés ces derniers temps, mais c’est plutôt le mode d’occupation de l’espace public qui pose problème avec ses trafics, ses marchés de la misère… »
Voir une prostituée turluter un mec en pleine rue, moi, ça me saoule
2 Quels seront les moyens concrets mis en œuvre ?
Pour le moment, les ZSP sont en cours de définition. Tout au plus sait-on qu’elles comporteront deux volets :
> Une cellule de coordination opérationnelle des forces de sécurité intérieure : police, gendarmes, enquêteurs, CRS, préfet de police devront unir leurs forces. Dans le quartier, la préfecture de police amplifiera « l’investigation judiciaire», selon le courrier de la mairie.
> Une cellule de coordination opérationnelle du partenariat davantage chargée de la prévention où des acteurs du quartier comme la police de proximité, la mairie, l’éducation nationale, les associations mettront leurs efforts en commun.
3 Va-t-on voir débarquer davantage de policiers et de CRS dans le quartier ?
Le ministre de l’Intérieur a annoncé au mois d’août l’embauche de 500 gendarmes et policiers par an au niveau national. Mercredi, alors qu’il a dévoilé son programme sur la sécurité, il a annoncé que 480 d’entre eux seront affectés en priorité aux ZSP. Une perspective que les syndicats de police et gendarmes ne jugent pas à la hauteur. Joint par StreetPress, Yannick Daniot, porte-parole du syndicat Unité Police est critique: « C’est largement insuffisant au regard des 12.000 postes supprimés les 5 dernières années. » Et d’ajouter : « D’après les informations que nous avons, des CRS viendraient renforcer les effectifs de policiers et de gendarmes. Ils feront donc de la police de proximité mais ce n’est pas leur mission ».
« La présence policière s’est déjà accrue sur le quartier, note Christine Ledésert. Mais les jeunes y sont habitués, je ne suis pas sûre que cela serve à grand-chose. Surtout s’ils se contentent de patrouiller sans interpeller ».
C’est largement insuffisant au regard des 12.000 postes supprimés les 5 dernières années
4 Qui fera quoi ?
Visiblement, pour l’instant, ni associations ni forces de sécurité n’en savent davantage sur le contenu de ce dispositif. Sur ce point, la mairie du 18e arrondissement n’a pas répondu à nos sollicitations.
Du côté du syndicat Unité Police (Force Ouvrière) on regrette « un manque de concertation pour la définition des 15 zones. Nous comprenons l’impératif politique mais nous aimerions être consultés pour la définition des prochaines ZSP », lance Yannick Daniot.
5 La ZSP sera-t-elle adaptée aux différentes formes de délinquance ?
Pour Yannick Daniot « la police ne peut pas régler tous les problèmes. Il y a un vrai travail à faire auprès des familles, des éducateurs, des associations et il faut une coordination forte entre toutes ces composantes ».
C’est un peu la philosophie du deuxième volet des ZSP et dans lequel Christine Ledésert fonde davantage son espoir : « Ca vaut la peine d’investir la cellule de prévention si on nous en donne l’opportunité. Il faut remettre au centre le rôle des parents, favoriser l’accès à l’emploi, accompagner la scolarité, valoriser les formations linguistiques. Et, c’est très controversé ce que je vais dire, mais il faudrait aussi que l’on régularise les sans-papiers, cela permettrait de mettre fin aux réseaux de vente à la sauvette ». Et de conclure sur une note pessimiste : « Il ne faut pas sous-estimer l’effet billard que cette politique ciblée sur une zone géographique donnée peut avoir, c’est-à-dire de déplacer les problèmes dans les quartiers voisins ».
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