Aujourd’hui, au tribunal des prud’hommes de Paris, aurait dû se tenir l’audience d’une employée licenciée abusivement, selon ses avocats, par la société MKT Sociétal, un centre d’appels. Déjà repoussé, le procès se tiendra finalement en janvier 2013. Jusque-là, rien d’étonnant. Sauf que l’employée qui porte plainte est une détenue de la maison d’arrêt de Versailles. Le détail fait l’affaire et pose à nouveau la question du statut de ces travailleurs atypiques, exclus du droit commun du travail et sous-payés.
Pourquoi cette absence de contrat de travail en prison ?
Fabrice Guilbaud : En prison, les travailleurs ne sont pas encadrés par le droit commun du travail mais par le Code de procédure pénale. Ils n’ont donc pas de contrat de travail (article 717-3). Les détenus ressentent un profond sentiment d’injustice, notamment parce qu’ils n’ont aucune indemnité en cas d’arrêt maladie et parce qu’ils sont sous-payés. Ils se comparent eux-mêmes à des travailleurs du tiers-monde ou à des esclaves modernes. Il ne s’agit pas d’une zone de non-droit mais d’une zone d’exclusion du droit du travail organisée par l’Etat : c’est parce qu’ils sont détenus qu’ils sont privés du droit commun, cela fait partie de la peine. Changer, cela impliquerait d’agir sur la conception et l’organisation de la peine.
Cette nouvelle plainte d’une détenue licenciée peut-elle aboutir à un changement ?
F.G : D’abord, ce n’est pas le premier cas de plainte relative au statut et à la rémunération des détenus. Après, je ne connais pas ce cas particulier et il faudrait voir avec l’Observatoire International des Prisons (OIP). Mais jusqu’à maintenant, la réponse était invariablement la même : le tribunal des prud’hommes se déclare incompétent. Malgré les voix qui s’élèvent en faveur d’une réforme du travail des détenus – pour inventer un contrat de travail adapté – je doute que ce procès débouche sur une modification des dispositions juridiques. Quoi qu’il en soit, il est important de donner de la visibilité à cette situation.
Et de la visibilité au fait que les détenus soient sous-payés ?
La rémunération du travail en prison n’est pas respectée. En principe, un décret du Code de procédure pénale fixe un seuil minimum de rémunération (SMR). Actuellement, il est à 3,94 euros de l’heure (ndlr : le smic horaire brut est de 9€40 depuis juillet dernier) mais sur le terrain, il est rarement atteint. Dans les faits, le SMR est plutôt un plafond qu’un seuil et les détenus restent majoritairement payés à la pièce, qui reste un mode de rémunération pratique pour l’administration et les entreprises : on paye les gens selon leur productivité, ce qui permet de ne pas se soucier d’organisation du travail. Du coup, l’hétérogénéité des salaires est forte et varie souvent du simple au triple dans le même atelier. Les détenus qui travaillent bénéficient aussi de gratifications non négligeables en prison : ils peuvent par exemple prendre une douche tous les jours contre une tous les deux jours.
Les revenus du travail permettent aux détenus d’améliorer leur quotidien. Avec cet argent, ils envoient du courrier, ont accès à la télé, achètent des cigarettes, la presse et peuvent varier d’alimentation. Ce travail les rend financièrement indépendants vis-à-vis de leur famille. Ce n’est, bien sûr, pas la seule motivation. Les détenus veulent travailler pour sortir de leur cellule, pour s’occuper. En maison d’arrêt, le temps d’enfermement est proche de 23 heures sur 24. Or, en travaillant, ils « s’évadent » pendant le travail et retrouvent le rythme d’une vie « normale ». C’est très important pour eux.
Pourtant les chiffres de l’administration pénitentiaire montrent une baisse du nombre d’actifs en prison…
Une grande majorité de détenus souhaite travailler, mais il n’y a pas suffisamment d’emplois. Si le taux d’activité dans les prisons françaises est passé de 46,5 % en 2000 à 39 % en 2010, c’est parce que la population carcérale s’est accrue de 22,2 % sur la même période, alors que le volume d’emploi n’a progressé que de 8,3 %. Au reste, il faut distinguer le cas des maisons d’arrêt (MA) où seulement un tiers des détenus travaillent et celui des établissements pour peine (EP) où le taux d’activité est de 53 %.
Cette différence tient au temps des peines : le séjour moyen en MA est de 6 mois contre plusieurs années en EP. Les activités proposées en MA ne demandent pas de compétences fortes – il s’agit par exemple de glisser dans des magazines un cadeau ou un échantillon – et leur temps de travail est réduit à 25 heures. D’un point de vue pratique, les MA sont parfois de vieux établissements où aucune place n’était prévue pour les ateliers. La situation est totalement différente dans les EP, où les ateliers sont équipés, le travail comprend un temps d’apprentissage, il s’insère dans la longue durée de la peine et les détenus y travaillent 35 heures par semaine. Or les maisons d’arrêt sont plus nombreuses et plus peuplées que les établissements pour peine.
div(border). Qui est Fabrice Guilbaud
Maître de conférences à Amiens, sociologue spécialiste du travail en prison auquel il a consacré sa thèse et une enquête de terrain sur deux ans (2004-2006), dans cinq prisons pour hommes et en 2010 dans deux prisons pour femmes.
Je doute que ce procès débouche sur une modification des dispositions juridiques
Ils peuvent par exemple prendre une douche tous les jours contre une tous les deux jours
Le taux d’activité dans les prisons françaises est passé de 46,5 % en 2000 à 39 % en 2010
Finalement, le travail en prison importe plutôt pour la vie en prison que pour la réinsertion future.
Quel travail sert mieux qu’un autre la réinsertion, c’est très subjectif : comment savoir ? Certes, le travail est peu épanouissant mais c’est plutôt l’accès au travail qui compte. En-dehors de la prison, il y a de nombreux métiers pénibles mais qui permettent tout de même d’avoir une place dans la société, un certain pouvoir d’achat, des droits sociaux. En revanche, la question de la formation professionnelle, du suivi des détenus, de l’invention de formules de décloisonnement sont des pistes importantes dans la réflexion sur la réinsertion.
Cet article est en accès libre, pour toutes et tous.
Mais sans les dons de ses lecteurs, StreetPress devra s’arrêter.
Je fais un don à partir de 1€Si vous voulez que StreetPress soit encore là l’an prochain, nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons, en presque 15 ans, démontré notre utilité. StreetPress se bat pour construire un monde un peu plus juste. Nos articles ont de l’impact. Vous êtes des centaines de milliers à suivre chaque mois notre travail et à partager nos valeurs.
Aujourd’hui nous avons vraiment besoin de vous. Si vous n’êtes pas 6.000 à nous faire un don mensuel ou annuel, nous ne pourrons pas continuer.
Chaque don à partir de 1€ donne droit à une réduction fiscale de 66%. Vous pouvez stopper votre don à tout moment.
Je donne
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER