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    29/03/2010

    La catharsis publicitaire d'un réalisateur de réclames

    Hervé De Crécy, co-réalisateur de Logorama: «Les œuvres d'art sont le seul moment où l'on reprend le contrôle sur les marques»

    Par Benjamin Gans

    Sur StreetPress, le réalisateur Hervé De Crécy revient sur le succès de Logorama. Il nous confirme que parmi les 2.500 logos à l'affiche, aucun n'a couché pour tourner dans son court-métrage oscarisé.

    Salut Hervé, pas trop débordé depuis que t’as eu l’Oscar ? On doit te demander beaucoup d’autographes.

    Non pas d’autographes. Par contre assez débordé pour trouver le temps de répondre à toutes les interviews.

    Un oscar du court-métrage, c’est un mini Oscar en fait? T’es sûr que c’est pas du toc?

    Non, tout pareil que les autres! Plaqué or, très lourd.

    Maintenant que j’ai vu Logorama, j’ai peur de Ronald MacDonald. Ça doit être encore pire pour toi qui l’a réalisé ?

    Ronald a toujours fait peur. Et surtout aux enfants. J’ai une amie qui petite ne voulait pas entrer au McDo à cause de la statuette en résine assise sur le banc, qui regardait les enfants d’un œil luisant.

    Mais tu n’as pas fait des cauchemars avec plein de logos quand tu réalisais le film ?

    Bien sûr, on est devenus un peu obsédés. On prenait en photo les camions de livraison dans la rue quand il y avait dessus un logo qu’on aurait pu utiliser.

    Je te demande ça car Logorama on dirait le cauchemar d’un publicitaire fou, quelque part entre le clip The Child d’Alex Gopher auquel tu as participé, et Qui veut la peau de Roger Rabbit. Le but du film, c’était de faire une catharsis du monde publicitaire ?

    C’était particulièrement cathartique pour nous, qui sommes habitués à réaliser des films pour des marques et donc habitués à la contrainte du discours de la marque. Il y a une jouissance à se réapproprier des icônes de marques existantes et d’en pervertir la signification. Sinon j’étais assistant d’Antoine Bardou-Jacquet sur The Child C’est sûr qu’il y a des similitudes entre le principe de ce clip et Logorama. Comme le fait d’utiliser des signes pour construire un univers complet et raconter une histoire qui a une portée au-delà de l’usage classique de ces signes.

    Hervé de Crécy, the Story:

    Juillet 1973: Naissance à Dijon
    1999: Entre dans le collectif H5.
    De 2000 à 2010: Réalise avec H5 des pubs pour Gatorade, Areva, Total, Toyota, Cartier, Vuitton, Wolskwagen. Le collectif réalise aussi des clips pour Massive Attack, Royksopp, Zebda, Air, Goldfrapp, Super Fury Animals et d’autres
    2009: Logorama est sélectionné au Festival de Sundance et à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes
    Mars 2010: Oscar du meilleur court-métrage d’animation pour Logorama

    «Ronald a toujours fait peur. Et surtout aux enfants»

    Vous avez fait ce film ne sachant pas si vous alliez être poursuivi pour infraction au droit à l’image. Tu n’es pas surpris qu’aucune marque ne vous ait fait de procès ?

    Avec un prix à Cannes dès la sortie du film, nous étions déjà un tout petit peu protégés, car les marques auraient peut-être des scrupules à s’attaquer à un film primé, ou peur d’une contre-publicité. Avec l’Oscar, j’espère qu’on est totalement blindés maintenant. Mais rien n’est sûr.

    Des marques ont-elles insisté pour que leurs logos fassent partie du film ?

    Oui, on a eu ça aussi.

    Des logos ont-ils couché pour être dans le film? Je pense à la petite flamme Esso qui est sacrement bien roulée…

    Dans son fuseau blanc? En matière de femme tu as des goûts un peu surannés…

    Sérieusement tu ne crains pas que les spectateurs du film deviennent clients des 2.500 marques citées ? Un peu comme s’ils avaient vu 2.500 pubs en même temps…

    Une étude scientifique récente a montré que nous étions tous soumis quotidiennement à environ 2.500 marques. En gros un Logorama par jour ! En tous cas Logorama n’a pas l’air de porter tort aux marques, je viens de voir que McDonald avait augmenté ses ventes de plus de 5% l’an dernier.

    Synopsis

    Logorama est un court-métrage d’animation d’abord conçu par ses trois réalisateurs comme un droit de réponse à l’invasion des marques dans notre quotidien. Dans un Los Angeles cauchemardesque où ne vivent que des logos, Ronald Mc Donald sème la terreur. Poursuivi par une police de Bibendum Michelin, il prend en otage d’insupportables et innocents bambins en dévastant tout sur son passage

    «Il y a une jouissance à se réapproprier des icônes de marques existantes et d’en pervertir la signification»

    Tu as un logo préféré dans tous ceux que tu as sélectionnés ?

    J’adore Michelin, pour plein de raisons. Parce que le logo est très ancien, qu’il a très bien su évoluer avec son temps – contrairement à beaucoup d’autres. Et qu’il est extrêmement sympathique, et il est fait de pneus blancs, ce qui est très chic.

    Non seulement des logos stars ont participé au film mais tu as eu aussi quelques vedettes pour faire les voix.

    Absolument. En VO, on a pu par le biais de notre productrice à Los Angeles approcher l’équipe de David Fincher, notamment les scénaristes Andrew Walker et Gregory Pruss (Seven, Sleepy Hollow…). Grâce à eux nous avons eu les voix de David Fincher lui-même (pour Pringles Original!), Joel Mickaely (Ghost World), Matt Winston (Little Miss Sunshine, Fight Club), Bob Stevenson, Aja Evans… Quant à la VF, notamment grâce à l’aide de Canal + , on a pu entrer en contact avec Omar & Fred, les Lascars (IZM, Alexis Dolivet, El Diablo), Pauline Moingeon, Gilles Gaston-Dreyfus, et Elie Medeiros.

    Tu n’as pas l’impression que les logos sont des parasites presque incontrôlables qui s’introduisent partout même dans les œuvres d’art ?

    Je pense que lorsqu’ils sont repris dans les œuvres d’art c’est le seul moment où l’on reprend le contrôle et on les dévie de leur rôle strictement commerçant.

    Même l’Oscar est une marque déposée. Elle aurait pu figurer au casting de votre film situé à Hollywood, vous y aviez pensé ?

    Il y a une malédiction avec l’Oscar. On nous a dit par exemple qu’il ne vaut mieux pas toucher un Oscar si on veut avoir la chance d’en avoir un jour. Donc je crois qu’on a bien fait de ne pas le mettre dans le film…

    C’est ta première œuvre de fiction, c’est quelque chose qui te tente ?

    Oui, avec François Alaux on est d’ailleurs en train de travailler sur un format plus long, un film de 30 minutes, en prises de vues réelles. Avec de vrais acteurs, en chair et en os…

    Je t’échange trois lutins du court-métrage et mon Opel Corsa avec ses 82.000 km au compteur contre ton Oscar, ça te va ?

    Même si je le voulais, je n’aurais pas le droit. L’Académie est très stricte: on ne peut ni échanger, ni revendre, ni fondre, ni jeter un Oscar. Les deux seules choses que l’on peut faire est de le transmettre à ses héritiers ou de le rendre à l’Académie.

    La première partie de Logorama

    La seconde partie de Logorama

    Source: Benjamin Gans | StreetPress

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