À la terrasse d’un bar, Pauline, étudiante sourde à l’institut pratique de journalisme de Paris, n’en revient toujours pas : après un an et demi de galères, elle vient d’obtenir une subvention pour financer la traduction de tous ses cours en LSF (langue des signes française). Traduction dont elle a surtout besoin pour comprendre les cours de télé ou de reportage, dans lesquels les échanges sont nombreux. Pour les cours plus magistraux, cette grande brune de 28 ans arrive à lire sur les lèvres.
Loi de 2005 « J’ai été chaleureusement accueillie dans l’école. Mais concrètement, rien n’était prévu pour l’intégration d’étudiants sourds. » En dépit de la loi du 11 février 2005, dite « pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées. » Loi qui propose que « les établissements d’enseignement supérieur (…) assurent leur formation [des étudiants sourds, ndlr] en mettant en œuvre les aménagements nécessaires à leur situation dans l’organisation, le déroulement et l’accompagnement de leurs études. »
Pas évident de se faire subventionner la traduction de ses cours en langue des signes et pourtant : à écouter Ivan Botte, chargé de mission au relais handicap de Paris 3, tout va pour le mieux et la marche à suivre est simple. Après s’être inscrit à l’université, l’étudiant sourd se rend à la médecine préventive de la fac où un médecin évalue et prescrit l’accompagnement nécessaire (interprète LSF, codeur LPC – langage parlé complété, preneur de notes, ou aménagement des exams). Les financements alloués par le ministère aux universités sont ensuite calculés selon les déclarations des médecins et hop, c’est dans la poche !
Sauf qu’en réalité, c’est moins simple. Voici 5 commandements pour espérer dégoter la précieuse subvention.
1 Les mêmes cours que tout le monde, tu suivras Eh oui, les étudiants sourds, pour limiter les coûts, sont bien inspirés quand ils suivent les mêmes cours que leurs potes. Un membre de l’administration de Paris 8 (qui préfère rester anonyme) constate :
« Aujourd’hui les étudiants sourds de Paris 8 sont principalement réunis en science du langage. Ainsi, un interprète est engagé pour plusieurs élèves et on limite les coûts. Mais l’année prochaine, les étudiants souhaitent poursuivre en éco, en socio, en sciences politiques… On risque de multiplier par trois les financements demandés ! Et là, ce n’est pas sûr qu’ils soient facilement accordés… »
Et puis si vous pouviez vous arranger pour avoir envie de pratiquer un métier manuel, ce serait pas plus mal. Justine, secrétaire de l’ETSF, la commission des étudiants sourds de France, s’énerve : « on tend encore à nous réserver des métiers simples, des métiers manuels et les études courtes qui vont avec. » Et c’est effectivement l’impression qui ressort quand on s’arrête sur la liste des formations professionnelles dispensées par l’INJS (l’institut national des jeunes sourds) : au choix, coiffure, couture, menuiserie ou encore, horticulture… De quoi agacer également Daniel Simon, responsable pédagogique à l’INJS de Metz : « il n’est pas si loin le temps où l’on pensait que la langue des signes était la langue des singes et qu’elle devait être proscrite. »
2 A Paris, tu habiteras Mieux vaut habiter la région parisienne ou vouloir venir y étudier. À Toulouse par exemple, l’association des parents d’enfants sourds s’est déplacée jusqu’au ministère de l’Education nationale, à Paris, pour dénoncer les manquements des facs de la région à leur obligation. « La loi de 2005 est loin de s’appliquer partout. On devrait les poursuivre en justice pour non-respect d’obligation », ajoute Patrice Dalle, son président.
On tend encore à nous réserver des métiers simples, des métiers manuels et les études courtes qui vont avec
La marche à suivre pour dégoter une subvention est simple. Mais la réalité l’est beaucoup moins.
(Photo : johanlb)
3 Dans le public, tu iras Si Mathieu Scaravetti, du cabinet ministériel de l’Education nationale, confirme que la loi s’applique bel et bien à tous les établissements de l’enseignement supérieur, publics comme privés, la loi est plus avancée dans le public. C’est en tout cas ce que Pauline raconte. En septembre 2011, tout juste étudiante à l’IPJ, un établissement à l’époque privé, elle lance les démarches pour obtenir ses subventions. Sans succès. En 2011, son école passe du statut privé au statut public en se rattachant à l’université Paris Dauphine. Du coup, Pauline bénéficie du relais handicap de la fac qui lui conseille de réitérer sa demande, cette fois directement au Conseil Général. Et là miracle, la subvention est accordée !
4 Le statut d’apprenti, tu auras Ce sera plus simple pour obtenir une subvention. Pauline poursuit : « j’ai une amie qui souhaitait devenir chef de service, mais qui a dû attendre deux ans pour accéder à la formation : l’école ne souhaitait pas payer d’interprète pour une seule élève, même si elle était parfaitement compétente. » Dans le même esprit, une école d’architecte contactée par StreetPress et préférant rester anonyme avoue n’avoir aucun étudiant sourd et, surtout, n’avoir rien prévu pour anticiper une telle situation.
5 Pas trop exigeant sur la traduction, tu seras Et ce, pour deux raisons. D’abord parce que la loi de 2005 ne prévoit la traduction que de 200 heures de cours par élève (sur 700 dans le cas de Pauline) pour un budget de 10 000 euros. Pour le reste, démerdez-vous. Alors que, pour Patrice Dalle, président de l’association des parents d’enfants sourds (APES), « le français pour un sourd, c’est comme une deuxième langue, leur langue c’est la LSF ». D’où quelques difficultés pour suivre les cours sans interprète.
Mais, surtout, même les cours traduits ne le sont pas forcément bien. Pour limiter les budgets, les facs font appel à des interprètes low-cost. Pauline raconte :
« Les très grosses boîtes de traduction sont moins chers, mais l’étudiant n’a jamais le même interprète et ne peut pas tisser de relations de confiance avec. En face, les interprètes ne peuvent pas se familiariser avec le jargon des cours. »
La nouvelle tendance ? L’arrivée de ceux qu’on appelle des « interfaces » , des gens qui maîtrisent la LSF mais sans être diplômés ni suivre la déontologie qui s’applique aux interprètes (l’interdiction de tout commentaire par exemple). D’où l’énervement de Patrice Dalle :
« les moyens alloués à la surdité sont un faux problème parce qu’il existe de nombreuses solutions pas forcément très onéreuses. Par exemple, les cours traduits pourraient être filmés afin d’être réutilisés et un fichier national pourrait recenser les cours traduits pour que les étudiants sourds s’y regroupent. »
Ça y est, vous avez rempli les 5 commandements ? Bien joué, ce n’était pas évident. Preuve de la difficulté du parcours, les chiffres : selon une enquête du ministère de l’Education pour l’année 2010-2011, dans l’ensemble des universités et IUT français, seulement 630 étudiants sont sourds et malentendants.
Selon une enquête du ministère de l’Education pour l’année 2010-2011, dans l’ensemble des universités et IUT français, seulement 630 étudiants sont sourds et malentendants.
“Les très grosses boîtes de traduction sont moins chères, mais l’étudiant n’a jamais le même interprète et ne peut pas tisser de relations de confiance avec.”
(photo : marc e marc)
[Lire aussi] Pauline, l’étudiante en journalisme, c’est moi
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