Surprise dimanche soir, en regardant les résultats du premier tour de l’élection présidentielle : Paris serait-elle une “bulle” électorale ? Marine Le Pen, troisième de cette élection, réalise un score historique (17,9 % des voix). Pourtant, le FN arrive « seulement » cinquième dans la capitale. En Île-de-France, le parti d’extrême-droite récolte 12.28 % des suffrages et à Paris, 6,2 %. Eva Joly, par contre, double quasiment son score, et Hollande atteint presque les 35 % de voix. Sylvain Crépon, sociologue à l’université Paris Ouest Nanterre, auteur d’ Enquête au coeur du nouveau Front National répond à StreetPress.
1 Comment expliquer un tel décalage entre le vote parisien et celui du reste de la France ?
Sylvain Crépon : La différence est surtout sociologique. L’électorat FN est essentiellement précaire ou a peur de le devenir. C’est le premier parti chez les ouvriers, les chômeurs, les employés. Le FN touche également les petits commerçants et artisans. Des secteurs qui subissent de plein fouet la crise. C’est un électorat assez fragile, ce sont les perdants de la mondialisation. Donc tout sauf un électorat urbain.
À Paris, l’augmentation du prix des loyers a fait fuir beaucoup de catégories précaires, dont les gens susceptibles de voter Front National. C’est donc un score de diplômés, de gens intégrés. C’est un électorat finalement assez social-démocrate, qui a des idées de gauche – notamment en terme de valeurs morales. Un électorat plutôt intégré, pas forcément effrayé par la mondialisation. Le Parisien est plutôt quelqu’un qui est pro-européen.
2 Les jeunes urbains votent-ils différemment par rapport aux jeunes de province parce qu’ils grandissent dans un univers davantage cosmopolite ?
C’est une hypothèse à prendre avec des pincettes. Pendant longtemps, par exemple, dans les cités HLM des zones péri-urbaines pauvres, on a eu un score FN très important, qui venait des “petits blancs”, c’est à dire des classes populaires pas d’origine étrangère, confrontées justement à un environnement cosmopolite. Ils se sentaient rabaissés en étant mélangés avec des étrangers. Or, à Paris, c’est en effet assez cosmopolite et mélangé. Mais la différence, c’est qu’il n’y a pas vraiment cette logique de ghettoïsation qui montre l’étranger comme quelqu’un de dangereux. L’étranger est plutôt perçu comme une personne avec qui on cohabite.
3 Les Parisiens vivent-ils dans un monde imaginaire ?
C’est un monde en tout cas beaucoup plus protégé. Paris s’embourgeoise de plus en plus, à tous les niveaux, même les quartiers populaires sont des quartiers mixtes où ça ne pose pas de problèmes. Ce sont plutôt des exemples de cohabitation réussie ! Donc ce n’est pas forcément imaginaire, mais c’est sans doute en décalage avec ce qui peut se passer dans certaines zones de province. Comme des zones rurales où le vote FN a été très fort, zones où un sous-prolétariat rural très important s’est développé.
À Paris, il n’y a pas vraiment cette logique de ghettoïsation qui montre l’étranger comme quelqu’un de dangereux.
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