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    11/03/2025

    Legal-protection.fr, action-juridique.fr, Bee Expert…

    Des sites montés par des escrocs arnaquent des dizaines de sans-papiers

    Par Léna Rosada

    En France, les démarches pour obtenir ou renouveler ses papiers pour des étrangers sont de plus en plus difficiles. Des sites exploitent leur détresse administrative face à la dématérialisation des demandes et les arnaquent de centaines d’euros.

    Une voix rassurante au bout du fil qui assure qu’elle va débloquer vos démarches administratives. C’est tout ce dont rêvent les personnes étrangères confrontées à des difficultés de régularisation, comme Pierre et sa compagne Valeria, en décembre 2022. Cela fait alors des mois que le couple attend une réponse de la préfecture pour la demande de titre de séjour de Valeria, étudiante étrangère de 26 ans. « Nous étions désespérés et prêts à tout pour qu’elle puisse enfin avoir un titre de séjour », explique Pierre. « On ne savait plus vers qui se tourner et on s’est retrouvés à chercher des informations sur Internet. Alors j’ai cliqué sur le premier lien poussé par le moteur de recherche… » Un site en apparence rassurant apparaît : action-juridique.fr. « Votre dossier accepté par la préfecture ! », peut-on y lire, inscrit en lettres capitales sur une bannière aux couleurs du drapeau français. « Nos juristes en droit des étrangers pour résoudre vos problèmes avec l’administration française. » Après un échange téléphonique avec une femme qui se présente comme juriste, le couple fait un versement de 300 euros via un lien de paiement, en échange de la promesse de voir la demande en préfecture débloquée. Puis, c’est le silence. Pendant des mois, le couple attend en vain. Malgré des dizaines d’appels et de mails, Valeria reste sans papiers, et sans relancer ses démarches. C’est la violence de trop : Valeria fait une tentative de suicide après l’arnaque d’Action-juridique.

    De nombreuses personnes étrangères, confrontées à des demandes de titres de séjour ou de naturalisation, se retrouvent sur cette page web extrêmement bien référencée par les moteurs de recherche. Derrière une présentation rassurante, qui prétend vendre un accompagnement administratif, se cache une escroquerie de la société Sylkad, détentrice du site web. Comme avec Valeria et Pierre, leurs conseillers poussent au téléphone les clients à payer… Puis disparaissent, sans rien faire pour avancer les démarches. Pire, pour avoir cru aux promesses des arnaqueurs, plusieurs personnes se sont retrouvées sans papiers, et donc sans droits et à la merci d’une possible obligation de quitter le territoire français. Anissa, qui leur avait confié sa demande de changement de titre de séjour du statut étudiant au statut salarié en 2022, raconte :

    « À cause d’eux, j’ai passé deux ans à avoir peur, à ne pas pouvoir sortir du territoire, à travailler sans assurance-maladie. »

    « Et quand j’ai enfin obtenu le changement de statut sur mon titre, j’ai dû payer près de 350 euros de taxe pour le retard », ajoute-t-elle. StreetPress a réuni quinze témoignages de victimes, situées aux quatre coins de la France, qui ont versé entre 250 et 400 euros à ces sociétés, sans obtenir aucune aide dans leurs démarches.

    À LIRE AUSSI : Sur les réseaux sociaux, le business de l’aide à la régularisation

    Arnaques en série

    Le nombre de victimes est sans doute beaucoup plus important. Derrière le site action-juridique.fr se trouve Radhi Bouloussa, un entrepreneur d’origine tunisienne à la tête de plusieurs autres sociétés. Au moins une d’entre elles opère similairement : Legal protection, qui hameçonne avec le site Internet legal-protection.fr. Une troisième société, Bee Expert, a été utilisée pour réceptionner les paiements de certaines des victimes. Sur ses réseaux sociaux, Radhi Bouloussa s’affiche entre la côte d’Azur et la Sicile, sur des voiliers de luxe loués à plus de 10.000 euros les deux semaines. L’entrepreneur, qui dirige également des sociétés de commerce de matériel informatique, y vante aussi les mérites d’une application qui permet le démarchage par SMS. Pendant ce temps, Zidane, 70 ans, fait la queue à l’aide alimentaire après avoir fait confiance à Legal protection et prend des anxiolytiques pour faire face à la situation. Il témoigne :

    « Ils m’ont pris mes derniers sous, sans les colis, je ne pourrais plus manger. »

    Contacté, Radhi Bouloussa n’a pas souhaité répondre aux questions de StreetPress. Du côté de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), l’organisme étatique indique avoir reçu en 2024 « près de 650 signalements en lien avec des sites internet proposant des démarches administratives en ligne » via sa plateforme Signal Conso. Une vingtaine porte sur « des demandes de régularisation/renouvellement de titres de séjour ». Mais l’administration a refusé de communiquer des « éléments concernant des entreprises spécifiquement identifiées, celles-ci pouvant faire l’objet de plaintes ou d’enquêtes en cours ».

    À LIRE AUSSI : Dans la file d’attente de la sous-préfecture, « on nous pousse au marché noir »

    Pour convaincre les victimes de payer, les escrocs s’appuient sur les informations personnelles que ces dernières leur confient. Selon les situations, ils demandent parfois d’acheter de faux timbres fiscaux ou promettent de faux rendez-vous en préfecture, une denrée rare depuis la dématérialisation des demandes de titres. Anissa explique :

    « J’ai tout envoyé par mail, papiers d’identité, justificatif de domicile, de scolarité… »

    Mais surtout, une fois détenteurs de l’accès aux comptes ANEF, le service de l’administration numérique des étrangers en France, ces organismes ont le contrôle sur les démarches administratives de leurs victimes. Aux promesses et aux mensonges peuvent ainsi succéder les menaces, quand l’arnaque est découverte ou que les réclamations se font trop pressantes. Sarah en a fait l’expérience : après avoir envoyé des documents personnels, elle se ravise et refuse finalement de payer les 300 euros demandés. L’employée d’Action-juridique l’appelle des dizaines de fois, avant de l’insulter et de la menacer dans des enregistrements vocaux que StreetPress a pu consulter :

    « Vous êtes impolie, à cause de vous, je vous préviens, le dossier de votre mère sera bloqué pendant huit mois ! »

    Un mensonge qui décourage tout de même Sarah de signaler l’entreprise. Autre exemple, en réponse à un commentaire négatif sur leur page Google, Anissa, elle, a vu les détails privés de sa situation publiés en représailles, au vu et au su de tous. Tout est bon pour dissuader les victimes d’entamer des poursuites. Leurs bureaux ? De simples domiciliations administratives louées à des tiers, sans locaux ni employés, comme à Paris. « J’ai essayé de m’y rendre pour réclamer des explications. Le concierge m’a dit que je n’étais pas la première victime à essayer de les retrouver », témoigne Pierre qui s’est rendu dans le 1er arrondissement de la capitale, le compagnon de Valeria. Sur le site d’Action-juridique, une adresse en Suisse est même indiquée, alors qu’il est en réalité hébergé sur des serveurs français, à Aix-en-Provence. De quoi décourager plusieurs personnes de poursuivre en justice. Pierre confirme :

    « Mais on se dit qu’un procès coûterait beaucoup plus cher que les 300 euros qu’ils nous ont extorqués, alors on n’a pas osé porter plainte. »

    Allô, c’est la préfecture

    Pour trouver des clients à arnaquer, les escrocs vont jusqu’à se faire passer pour la préfecture. « Comme c’était une première pour moi, j’ai fait des recherches sur Internet et j’ai tapé “préfecture de Guyane”. Un numéro est apparu, je l’ai composé… », nous raconte Sergeana à propos du renouvellement de la carte de résidente de dix ans de sa mère. Au bout du fil, ce ne sont pas les services de l’État, mais bien ceux de Legal protection.

    « Au téléphone, la dame m’a dit que comme ma mère était en retard, nous devions payer 300 euros pour pouvoir procéder au renouvellement. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/action-juridique-services-prefectoraux_0.jpg

    Capture d'écran d'échanges avec Legal-protection, tirée du téléphone d'une des victimes. La société entretient le flou sur sa position dans les institutions et parle de « service préfectoral ». / Crédits : DR

    La jeune femme croit avoir à faire à des « services préfectoraux ». De son côté, Zidane affirme n’avoir jamais cherché à contacter le site et avoir reçu directement sur son téléphone un appel d’une dame se présentant comme faisant partie « d’un bureau qui travaille avec la préfecture ».

    La société Legal protection a été créée en 2021 et elle escroque encore en octobre 2024. Les sites web d’Action-juridique et de Legal protection sont toujours en ligne. Pourtant, au moins deux des victimes affirment avoir expliqué oralement à des agents de la préfecture l’arnaque dont elles ont été victimes. Contacté, le ministère de l’Intérieur assure que ses services sont « attentifs aux sites frauduleux qui monnayent des démarches qui sont gratuites sur les sites officiels de l’administration » et renvoie vers la plateforme Signal.conso en cas « d’une fraude ou d’une arnaque ».

    Illustration de Une de Yann Bastard et texte de Léna Rosada.